À la caserne du Muy, le procès de la rue d’Aubagne promet d’être hors normes. Six ans après l’effondrement qui a endeuillé Marseille, le tribunal judiciaire se mobilise pour un marathon judiciaire inédit, avec 87 parties civiles, des mesures de sécurité renforcées et des dispositifs techniques pour une audience qui s’annonce à la hauteur du drame.
Le 7 novembre prochain, Marseille sera le théâtre d’un procès que le président du tribunal judiciaire, Olivier Leurent, qualifie de « hors normes » – même si l’appellation officielle n’a pas été octroyée par le ministère de la Justice.
Cette audience, qui fait suite à l’effondrement meurtrier des immeubles de la rue d’Aubagne en 2018, se déroulera sur plusieurs semaines (jusqu’au 18 décembre) « un calendrier exceptionnellement long dans le cadre judiciaire, » et se tiendra dans la salle spécialement aménagée de la caserne du Muy. Un espace conçu pour des dossiers de cette ampleur.
« Cette salle, inaugurée en janvier 2022, était un souhait de la juridiction de longue date pour pouvoir absorber et juger ces dossiers, qui reflètent la complexité de la juridiction marseillaise, » précise Olivier Leurent, soulignant qu’elle est conçue pour accueillir « des contentieux de masse, mais aussi des contentieux particulièrement complexes. »
Un labyrinthe judiciaire de six ans
Lors d’une conférence de presse, Olivier Leurent a exposé la dimension exceptionnelle de l’organisation : 87 parties civiles, plusieurs centaines de personnes impliquées, et des enjeux à la fois locaux et nationaux. « Cette affaire a marqué la ville par son tragique bilan humain et son impact symbolique, » a-t-il rappelé.
Pour le président du tribunal judiciaire, la complexité du dossier réside dans la combinaison de faits étalés sur des années, des enquêtes multiples et des procédures techniques approfondies, qui ont nécessité six années d’instruction.
« Six ans d’instruction, ça peut paraître long, mais je vous rappelle qu’il y a eu de très nombreuses expertises, demandes de contre-expertises, auditions, interrogatoires, » précise-t-il, avant d’ajouter que la juridiction « n’a quand même pas perdu de temps » pour instruire un dossier d’une telle ampleur, malgré un nombre considérable d’auditions et de documents à traiter.
Une logistique de précision
La caserne du Muy, récemment rénovée, est équipée pour accueillir ce type d’événements avec une capacité de 400 places et un dispositif de pointe permettant la diffusion d’images, de photographies et de vidéos qui serviront de support aux audiences.
Elle est également dotée d’un système de traduction simultanée en italien, arabe et espagnol, destiné aux parties civiles qui souhaitent un accès complet aux débats.
Sur le plan logistique, leur accueil sera scrupuleusement encadré. Des vacataires ont été recrutés pour gérer l’émargement manuel des participants, un retour aux méthodes traditionnelles après l’indisponibilité d’un logiciel utilisé lors de précédentes affaires. « Nous aurons donc recours à un émargement à l’ancienne, avec la signature sur un tableau de chaque partie civile et de chaque avocat, » précise Olivier Leurent, ajoutant que cette mesure vise à garantir la présence et l’éligibilité à l’aide juridictionnelle.
En outre, un budget de 200 000 euros a été débloqué pour assurer la prise en charge des frais de déplacement, d’hébergement et de restauration des parties civiles. Ces dernières bénéficieront de paniers-repas, la caserne étant située en périphérie avec peu de services de restauration aux alentours.
Un accompagnement renforcé pour les victimes
En matière d’accompagnement, l’association d’aide aux victimes (AVAD) a mis en place des équipes de psychologues et de juristes financées par des subventions publiques, pour des entretiens personnalisés et un suivi des victimes au cours du procès.
Un guide d’accueil, diffusé par les avocats, précise l’accès aux services, les modalités de prise en charge et les consignes de sécurité. Les parties civiles auront aussi la possibilité de porter un cordon rouge pour signaler leur souhait de ne pas répondre aux médias. Une centaine de journalistes est d’ailleurs attendus représentant une quarantaine de médias essentiellement français.
Enfin, Olivier Leurent a précisé que ce procès inédit implique des mesures de sécurité exceptionnelles et un effort constant d’anticipation, même si « le risque zéro n’existe pas ».
La juridiction reste toutefois prête à s’adapter face aux imprévus, « avec la petite expérience accumulée au fil des années dans ce type d’affaires. »
L’habitat indigne en ligne de mire
Ce procès s’inscrit dans un contexte judiciaire marqué par une politique renforcée contre l’habitat indigne. Depuis le drame, les signalements de la mairie pour insalubrité ont afflué, atteignant près de 1 000 procédures. « Nous avons reçu un nombre très important d’arrêtés de mise en sécurité, auparavant appelés arrêtés de péril, » explique pour sa part Nicolas Bessone, procureur de la République, précisant que cette nouvelle qualification juridique vise à renforcer le suivi des bâtiments dangereux.
Depuis 2020, le parquet de Marseille a traité 28 affaires de logements insalubres, obtenant 25 condamnations, dont six avec des peines de prison ferme. Dans les cas les plus graves, les propriétaires encourent jusqu’à 15 ans d’emprisonnement.
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