Invitée par la Cepac à la Maison Estrangin, Alice Detollenaere raconte son combat contre le cancer du sein. Camille Lacourt, nageur retraité et désormais parrain du Ruban Rose, est à ses côtés. Entre le choc de la maladie et la reconstruction, récit d’une lutte à deux voix.
C’est ici, au siège emblématique de la Caisse d’Épargne Cepac, que la voix d’Alice Detollenaere résonne ce matin. Dans l’ancienne demeure bourgeoise, construite en 1902, les murs semblent retenir chaque mot d’un récit où se mêlent douleur et espoir. L’auditoire, attentif, écoute cette histoire que l’ancienne Miss égrène, sans fausse pudeur, sans fard.
Sa voix, douce mais ferme, tranche l’air. « Tout a commencé par une palpation. J’ai senti une boule dans mon sein. » Elle pèse chaque mot, comme pour ancrer son histoire dans le présent, comme pour ne rien laisser s’effacer.
Camille Lacourt, ex-champion des bassins, écoute en silence à ses côtés. Entre eux, des regards échangés, ceux de deux êtres qui ont partagé l’épreuve, traversé la tempête et en portent encore les marques, malgré les apparences.
« J’ai pris sa main et je lui ai montré où toucher »
Cinq ans plus tôt, le quotidien bascule. Un simple rendez-vous médical, une scène presque banale. Alice sait, sent que quelque chose ne va pas. Le médecin, pourtant, ne détecte rien.
Alice insiste, poussée par une intuition et une histoire familiale marquée par la maladie, du côté maternel. « Il ne trouvait rien, alors j’ai pris sa main et je lui ai montré où toucher. »
Finalement, le praticien accepte de prescrire des examens supplémentaires, par précaution plus que par inquiétude. Elle n’a que 32 ans. Quelques jours plus tard, le verdict tombe, glacé : cancer du sein.
Le choc est brutal, le chemin pour comprendre et se faire soigner, bien plus long. Les semaines qui suivent transforment la vie d’Alice en un parcours semé d’embûches et d’inquiétudes. Une suite de rendez-vous sans fin, où chaque étape semble plus chaotique que la précédente.
Les jours se transforment en semaines de rendez-vous. Pour chaque examen, chaque mammographie, chaque consultation, Alice doit avancer les frais. Dans cette lenteur et cette incompréhension, la question de l’argent devient un fardeau à part entière : « On arrivait au point où je ne savais même plus comment payer », lâche-t-elle.
La maladie devient doublement pesante : il y a le cancer, et il y a la question de l’argent. Un jour, alors qu’une intervention est enfin prévue, Alice annule. « Je ne le sentais pas », livre-t-elle.
L’Institut Curie, un tournant
L’Institut Curie, une évidence, « parce que j’étais à Paris. » Là -bas, tout change. « En l’espace d’une journée, j’ai passé tous les examens, rencontré les médecins, tout était plus humain, plus adapté à ma situation. »
Le contraste est saisissant. Plus de démarches, plus de semaines à tergiverser, plus de comptes à régler. À Curie, elle se sent enfin traitée pour ce qu’elle est : une patiente, pas un numéro, et retrouve une forme de dignité, celle que les démarches interminables avaient commencé à lui arracher.
Ne pas laisser la maladie devenir son identité
La maladie n’est pas seulement une affaire de diagnostics et de traitements. Elle frappe aussi les équilibres fragiles de la vie quotidienne, des projets, des ambitions. Celle qui avait construit sa carrière sur son image ne sait que trop bien comment fonctionne ce monde. « Si les personnes avec qui tu travailles, tes clients, apprennent par un bruit de couloir que tu as un cancer, clairement, on ne va pas te rappeler. »
Pour éviter cette mise à l’écart insidieuse, elle a choisi de parler la première, de raconter son combat avant que d’autres ne le fassent pour elle. Se réapproprier son histoire, c’était aussi refuser de laisser la maladie devenir sa seule identité.
« Être là quand il le fallait, et à l’écart quand c’était nécessaire »
À ses côtés, Camille Lacourt écoute. À peine un an après leur rencontre, la maladie s’immisce dans leur histoire. « On venait d’emménager dans notre premier appartement. Et puis, la maladie a tout bousculé », confie-t-il.
Habitué à affronter la pression des compétitions, l’athlète se retrouve dans un rôle inconnu. « J’ai essayé de passer rapidement la phase de colère, de déni, et de rester dans l’action. » Il cherche le soutien de son préparateur mental, cherchant dans ses méthodes sportives la force d’être présent.
Face à cette épreuve, Camille comprend qu’il doit trouver un équilibre nouveau : être présent, mais sans imposer, accompagner sans écraser. « Être là quand il le fallait, et à l’écart quand c’était nécessaire. »
La mastectomie, le choix de la vie et la paix de l’esprit
Lors de sa consultation à l’Institut Curie, la chirurgienne propose à Alice une mastectomie préventive pour réduire les risques, une décision que des célébrités comme Angelina Jolie ont également prise.
La question de la récidive pèse lourd, et Alice se retrouve face à un dilemme : conserver une partie du sein avec le risque de revivre l’angoisse permanente des contrôles, ou choisir l’ablation. « Je n’étais pas prête à vivre ce stress en permanence », explique-t-elle.
Le jour où l’opération est fixée, Camille reçoit un message d’elle : « Tu veux des gros, des petits ? » Un trait d’humour pour dédramatiser, même si, avoue-t-il en souriant, « je pensais qu’elle déambulait dans la rue, qu’elle ne savait plus ce qu’elle disait. »
Après la mastectomie, les médecins lui proposent de revenir six mois plus tard pour la reconstruction mammaire. Mais, à ce stade, Alice est passée à autre chose. « On dépasse quelque chose finalement, nos priorités changent », dit-elle, mesurant la « chance » qu’elle a eue de ne pas avoir subi de traitements lourds. L’essentiel est ailleurs : « Les femmes ne sont pas réduites à leurs seins. » La priorité n’est plus dans l’apparence, mais dans la résilience, dans la vie qui continue malgré tout.
Une voix d’homme dans le combat rose
Pour Alice et Camille, témoigner de leur parcours dépasse le simple partage de leur histoire. En rendant leur lutte publique, ils espèrent briser les tabous qui entourent le cancer du sein, ouvrir le dialogue et rappeler l’importance vitale du dépistage.
Camille, aujourd’hui parrain du Ruban Rose, porte cette responsabilité avec conviction même si il a hésité au départ, dit-il. « Au début, je ne me sentais pas légitime ».
L’association insiste, lui parle des autres, des hommes en coulisses, discrets, ceux qui veillent en silence, dont Camille doit se faire le porte-parole compte tenu de sa notoriété. « Il y a beaucoup d’hommes qui soutiennent, comme moi, et qui ne sont jamais visibles. »
Alors qu’octobre tire sa révérence et avec lui les rubans roses, le témoignage d’Alice et Camille s’impose comme un rappel : la vigilance ne connaît pas de fin.
Deux voix, une histoire partagée, et cette volonté farouche de dire que l’épreuve, aussi cruelle soit-elle, révèle souvent une force insoupçonnée, un espoir tenace, et pour chacune touchée par la maladie, l’espoir de voir, un jour, sa vie en rose.