Les agences de notation reviennent sur le devant de la scène, et leur « note de la France » suscite, une fois de plus, inquiétude et débats. Moody’s, Fitch, Standard & Poor’s… qui sont ces arbitres de la dette, et que signifie leur fameux verdict ? On vous explique leur rôle, leur impact sur les finances publiques, et pourquoi la note de la France devient un enjeu sensible.
Fin octobre, Moody’s, comme Fitch en septembre, a rendu son verdict sur la fameuse « note de la France ». Mais de quoi s’agit-il exactement ? Qui sont ces agences de notation et quel est leur rôle ?
Pourquoi, chaque fois qu’elles publient une nouvelle évaluation, la tension monte ? Faut-il vraiment s’inquiéter de cette dernière notation ? Décryptage d’un système qui continue de susciter autant d’interrogations.
Les « Big Three » : qui sont les agences de notation ?
Elles sont nombreuses, mais ce sont surtout trois d’entre elles qui font la pluie et le beau temps sur la scène économique mondiale : Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s, les célèbres « Big Three ».
Ces agences de notation privées évaluent le risque de défaut des dettes émanant d’États, de collectivités locales ou d’entreprises. Pour saisir l’impact de leur rôle, il est essentiel de comprendre comment l’État se finance.
Comment l’État finance ses dépenses
L’État lève l’impôt pour financer ses dépenses, mais cela se révèle souvent insuffisant, créant un déficit. Pour combler ce dernier, il emprunte en émettant des obligations, c’est-à-dire des titres de dette.
Dans le cas de l’État français, ces titres sont principalement les « bons du Trésor », à rembourser en moins d’un an, et les « Obligations Assimilables du Trésor » (OAT), qui ont des échéances de deux à cinquante ans.
Contrairement à un prêt bancaire remboursé par versements mensuels, l’État rembourse ses obligations en une seule fois à l’échéance. Il est fréquent qu’il emprunte à nouveau pour rembourser les dettes arrivées à terme, une pratique appelée « roulement » de la dette.
OAT : le nerf de la dette publique
Les OAT, qui constituent la majorité de la dette de l’État, sont vendues chaque mois lors d’enchères organisées par l’Agence France Trésor (AFT). Cette dernière annonce ses besoins de financement à deux moments distincts chaque mois : pour les obligations à échéance longue et pour celles à échéance plus courte.
Des banques accréditées, les « spécialistes en valeur du Trésor » (SVT), soumettent des offres d’achat confidentielles, et l’État attribue les OAT aux meilleurs enchérisseurs. Les SVT peuvent ensuite conserver les OAT ou les revendre sur le marché secondaire à des investisseurs.
Taux d’intérêt : quand la confiance s’effrite
Cette rémunération dépend du taux d’intérêt que l’État devra payer à l’investisseur, un taux souvent fixe, mais qui peut aussi être variable ou indexé sur l’inflation.
Le taux d’intérêt des obligations d’État est déterminé en partie par les taux de la banque centrale et, surtout, par la qualité de l’obligation, c’est-à-dire la fiabilité de l’emprunteur. Un État perçu comme fiable attire davantage d’investisseurs, qui acceptent des taux plus bas.
En revanche, si l’emprunteur présente un risque de défaut, moins d’investisseurs souhaitent acheter sa dette, et ceux qui acceptent exigent une « prime de risque » – soit un taux d’intérêt, ou « rendement », plus élevé.
Plus le risque de défaut est important, plus le coût de la dette augmente… jusqu’à un point où les investisseurs se raréfient, risquant la banqueroute, comme en Grèce dans les années 2010.
Quand la note baisse, les coûts explosent
Des taux d’intérêt élevés impliquent pour l’emprunteur des charges financières accrues, en plus du remboursement du « principal » des émissions arrivant à échéance. Par exemple, la « charge de la dette » en France atteint cette année près de 50 milliards d’euros, soit presque le budget de l’éducation nationale !
En 2022, la Banque Centrale Européenne (BCE) a relevé ses taux pour lutter contre l’inflation, impactant les taux des obligations d’État.
Le taux d’intérêt des OAT françaises à 10 ans est ainsi passé de près de 0 % fin 2021, grâce aux taux bas de la BCE, à près de 3 % récemment. Mais le Portugal, qui avait connu des difficultés il y a une douzaine d’années, bénéficie actuellement d’un taux légèrement inférieur (2,75 %). La dette de la France est-elle donc devenue plus risquée ?
Les fameuses agences de notation ont pour rôle de mesurer le risque de l’emprunteur, et donc la qualité de sa dette. Elles évaluent la capacité de remboursement en analysant un ensemble de données économiques, telles que la croissance, l’évolution des finances publiques et le contexte politique et social. La « note » qu’elles attribuent utilise un système de lettres allant de AAA (la meilleure) à C ou D (les plus faibles), bien que les classifications varient légèrement selon l’agence.
Toute « dégradation » de cette note indique un risque accru de non-remboursement, entraînant ainsi une hausse des taux d’intérêt.
En dessous de certaines notes, de nombreux investisseurs institutionnels doivent, en raison des règles de gestion des risques, se défaire de ces obligations, ce qui complique la situation financière de l’emprunteur et peut provoquer des effets en chaîne, parfois rapides.
Un avenir sous pression pour la France ?
En mai 2024, Standard & Poor’s a abaissé la note de la France de AA à AA–, le quatrième échelon dans son système de notation. En septembre, Fitch a maintenu cette note à AA– mais avec une perspective négative, une position reprise par Moody’s vendredi dernier avec son équivalent « Aa2 ». Cela implique qu’en l’absence d’améliorations notables, la note pourrait être dégradée davantage lors de la prochaine évaluation.
La France reste pour l’instant perçue comme un pays à faible risque, notamment grâce à la capacité de l’État à prélever l’impôt. Mais sans réformes structurelles de ses finances publiques, les perspectives risquent de s’assombrir. En considérant le budget actuel et les débats parlementaires qui l’entourent, l’inquiétude semble justifiée.
Éclairage
Quand les agences de notation se trompent. Les agences de notation sont souvent critiquées pour leur modèle économique. En effet, ce sont les émetteurs de titres eux-mêmes qui paient le service de notation, créant ainsi un potentiel conflit d’intérêts pour l’agence. De plus, elles ne sont pas légalement responsables des notes qu’elles attribuent. Cette situation a parfois mené à de graves erreurs : à la fin des années 2000, la majorité des titres « subprimes », notés AAA peu avant la crise, ont rapidement chuté en catégorie C ou D, révélant les limites de ce système de notation.
Emmanuel Martin est économiste à la Faculté de Droit
et de Sciences Politiques d’Aix-Marseille Université.
SUR LE MÊME SUJET