Corinne Vezzoni, figure marseillaise de l’architecture, fait partie des sept finalistes du Grand Prix national de l’architecture 2024. Ancrée dans le territoire méditerranéen, elle défend une vision sensible aux enjeux écologiques et sociétaux.
La reconnaissance d’une carrière dédiée à l’architecture. Corinne Vezzoni et son agence, Corinne Vezzoni et associés, font partie des sept agences finalistes du Grand Prix national de l’architecture 2024.
Institué en 1975, ce prix représente la plus haute distinction pour une agence dont la démarche a marqué son époque, mêlant production architecturale et réflexion sur la ville et ses enjeux contemporains.
Pour cette édition, le jury, présidé par la ministre de la Culture, a désigné les agences qui ont su conjuguer engagement sociétal, originalité et cohérence.
Le jury, sensible à la parité et à l’inclusion dans ce processus de sélection, a également souligné l’importance de l’apport des femmes dans le secteur de l’architecture, rappelant la richesse des perspectives qu’elles apportent.
La lauréate du Prix des Femmes Architectes en 2015 incarne cette diversité et cette vision renouvelée du métier. « C’est une belle reconnaissance… », nous confie Corinne Vezzoni, enthousiaste.
Un ancrage méditerranéen, loin des cercles parisiens
Dans son parcours, la lauréate de la Médaille d’Or de l’Académie d’Architecture en 2020 a fait le choix audacieux de rester ancrée à Marseille, malgré la tentation parisienne. « Tout se passe à Paris, on le sait, surtout si tu veux vraiment avoir une visibilité internationale ».
Mais elle restait convaincue « qu’à un moment donné, la question territoriale et environnementale allaient rebattre les cartes. L’ancrage dans un territoire fait que tu as des réponses très justes par rapport à ton environnement. »
Cette décision s’oppose d’ailleurs à la trajectoire de nombreux lauréats précédents, souvent parisiens ou installés dans la capitale pour rayonner au-delà de l’hexagone et être au plus près des ministères.
Mais le pari de cette Chevalière des Arts et des Lettres promue en 2016 est clair : croire à une architecture qui tire ses forces des spécificités locales, de la mer et du vent.
Des réflexions écologiques au cœur de ses projets
Ses projets, souvent, l’ont emmenée ailleurs. Mais ses racines méditerranéennes, elles, ont forgé son style. Une architecture qui compose avec la violence des éléments, cette mer et ce vent qui remuent les façades et les idées. « J’ai travaillé sur l’usage des éléments méditerranéens, qui peuvent être très violents : le vent, les pluies diluviennes qui provoquent des inondations. »
Parmi ses réalisations marseillaises emblématiques, le Centre de conservation et de ressources du MuCEM témoigne de cette approche. Ce bâtiment discret accueille les collections du musée tout en respectant l’équilibre urbain.
Mais la finaliste du Grand Prix ne se contente pas de Marseille. À Aix-en-Provence, elle a également conçu theCamp, un campus dédié à l’innovation au cÅ“ur de la pinède, où se dessine le monde de demain. « Un lieu où l’on réfléchit à comment on vit, comment on crée, en lien direct avec la nature », explique-t-elle. Des projets qui prouvent que le Sud peut aussi être le laboratoire de nouvelles façons de penser la ville.
Penser autrement la ville et la nature
Sa nomination, la Chevalière des Arts et des Lettres la doit à ses positions tranchées. Elle ne dessine pas pour plaire, mais pour penser un rapport différent entre la ville et la nature. « J’ai été souvent invitée à l’Élysée pour parler de ces questions, et j’ai participé aux réflexions sur la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) », précise-t-elle.
Elle n’a jamais hésité à écrire dans Le Monde, à secouer le cocotier des urbanistes, à dénoncer la minéralisation excessive des villes. Pour elle, l’avenir se construit avec ce que le sol nous donne, et non en l’étouffant sous une couche de béton.
À son actif, des projets ambitieux comme Réinventer le Havre, où elle redessine la gestion des eaux et l’érosion des sols, et les gares du Grand Paris, une réflexion sur les mobilités.
En Arabie saoudite, son projet d’écoquartier à Al-Ula se construit avec la terre locale, défiant le désert et la chaleur. « Un défi important où on n’a rien amené de l’extérieur, tout a été pensé pour se protéger de l’ensoleillement très fort », raconte-t-elle avec cette passion qui la caractérise.
Mais si ses projets la mènent loin, c’est à Marseille que tout a commencé. Un bâtiment, surtout, a marqué le début de son ascension : les Archives départementales des Bouches-du-Rhône. « Ce premier bâtiment m’a fait connaître alors que j’étais totalement inconnue. On m’avait donné deux terrains et j’ai proposé de laisser l’un en jardin plutôt que de construire dessus. »
Un choix audacieux, à l’image de sa carrière, qui annonçait déjà son style. « Je proposais de ne pas consommer le sol, de laisser la place à la nature. »
Le grand oral
Aujourd’hui encore, elle défend cette approche. Actuellement, la lauréate travaille sur le concours du J0 à Marseille, un projet emblématique de transformation urbaine.
Elle vient également de remporter un projet de groupe scolaire et médiathèque à Beaulieu-sur-Mer, entièrement construit en pierre locale, pour minimiser l’impact écologique. « On essaie de mutualiser les usages pour libérer du sol, c’est une approche qui me tient à cœur », dit-elle avec conviction.
Et entre deux compétitions, elle planche sur un projet pour les Manufactures de Sèvres, tout en explorant de nouvelles idées pour réconcilier nature et urbanisme.
Mais avant de s’attaquer à ses prochains projets, c’est l’oral du Grand Prix qu’elle doit préparer. Le 3 décembre, face au jury, la Chevalière des Arts et des Lettres devra défendre son parcours et ses convictions. « Il faut fournir des dossiers, j’ai un oral le 3 décembre », précise-t-elle, consciente de l’enjeu.
Une victoire viendrait consacrer son parcours singulier et rappeler que Marseille a toujours son mot à dire face aux diktats parisiens.
La liste des finalistes.
Atelier Architecture Perraudin : Connu pour sa réflexion autour des matériaux bruts et locaux, l’agence explore une architecture enracinée dans le respect des ressources.
BQ+A – Architecte et associés : Une équipe qui se distingue par ses projets mêlant innovation et approche sociale, attentive aux dynamiques locales et aux communautés.
Bruther : Agence parisienne qui a fait de la flexibilité de l’espace sa marque de fabrique, avec des bâtiments à la fois puissants et adaptables.
Encore Heureux : L’agence défend une architecture joyeuse et expérimentale, avec une attention particulière aux réemplois et à la réutilisation des matériaux.
Jean et Aline Harari architectes : Un duo qui marie architecture et paysage, en quête de nouvelles harmonies entre le bâti et son environnement.
Muoto : La sobriété constructive est au centre de leur démarche, avec des projets qui privilégient l’efficacité et l’économie des moyens.