Le Campus Cyber Euromed a ouvert ses portes le 22 octobre à Marseille. Entre promesses de renouveau et ambition numérique, Kévin Polizzi défend un projet pensé pour sécuriser le territoire tout en formant les talents de demain. Rencontre avec un entrepreneur déterminé à faire de la cité phocéenne un bastion de la cybersécurité.
C’était un de ces soirs où la République enfile son costume sur-mesure. Juillet 2023, à l’Élysée, Emmanuel Macron réunit une poignée de Marseillais pour un dîner. Au menu : le plan « Marseille en grand ». Les milliards pleuvent pour les écoles, les transports, pour la ville en pleine crise existentielle.
Mais le président a un message pour ses convives. « Maintenant, c’est à vous de jouer. Proposez des projets pour Marseille », lance-t-il aux patrons locaux, sans se départir de son sourire de circonstance.
Kévin Polizzi, patron d’Unitel Group, prend la balle au bond. Son idée ? Un campus de cybersécurité, pour faire de Marseille un bastion numérique, loin des clichés de carte postale. « Ce soir-là , je me suis engagé auprès du président à livrer un projet concret pour le territoire. Et on l’a fait ». Moins d’un an plus tard, le campus s’enracine dans la tour Mirabeau, avec sa silhouette massive qui défie la passerelle autoroutière, en plein Euroméditerranée.
« C’est l’un de mes rares projets qui a réussi à créer un consensus total, où tout le monde se retrouve autour de la table, sans opposition, » confie Kevin Polizzi, l’air amusé. « C’est un consortium de consensus, plaisante-t-il, pour une fois, personne ne dit que ça ne marchera pas. Tout le monde sait qu’il est concerné. » La dynamique est lancée, et l’entrepreneur voit plus loin que les traditionnelles promesses d’unité.
Marseille, terre de contrastes numériques
Kévin Polizzi n’en est pas à son coup d’essai. L’homme a déjà marqué de son empreinte l’écosystème numérique local, avec la création de data-centers, son implication dans le développement de la French Tech à Aix-Marseille, l’acquisition de The Camp… « Ce campus, c’est la suite logique de tout ce que j’ai fait dans le numérique depuis plus de dix ans », glisse-t-il, au 3e étage flambant neuf. « Il fallait s’attaquer à la cybersécurité, un domaine où notre région est à la traîne. »
Dans la région, seulement 19 sociétés spécialisées dans le domaine, contre 130 à 160 ailleurs. Un désert numérique que le patron ambitionne de combler. « On est sous-dotés à la fois parce que nos entreprises ne sont pas sensibilisées sur la thématique, mais aussi parce qu’on se retrouve face au syndrome de la poule et de l’œuf : qui commence ? Est-ce qu’on met des prestataires qui font le boulot ou est-ce que les entreprises créent d’abord la demande ? »
Le constat est sans appel et le contraste frappant. Cinquième mondial des télécoms avec ses câbles sous-marins et ses data centers, Marseille reste un nain de la cybersécurité. « C’est tout le paradoxe, » souligne Polizzi. « On accueille les plus grandes boîtes mondiales comme Disney et Netflix, qui viennent consommer nos ressources, l’énergie, le foncier, mais on n’a pas réussi à transformer cela en emploi réel dans le domaine de la cybersécurité. »
Les menaces, ce terrain mouvant
Et pendant ce temps, la menace plane, tapie dans l’ombre. Ce retard laisse la région vulnérable. La ville, qui concentre 50 % du PIB régional via son industrie, est exposée à des attaques sur ses infrastructures critiques, notamment dans les secteurs de la santé et du maritime.
Les opérateurs d’intérêt vital (OIV) comme l’aéroport de Marseille et le Grand Port Maritime sont en première ligne face aux cyberattaques. « Imaginez une attaque sur les systèmes de l’aéroport : plus aucun avion ne décolle, les passagers bloqués, le chaos total. Ça peut arriver du jour au lendemain. »
Il rappelle la crise de 2020, lorsque les systèmes informatiques de la ville de Marseille ont été mis à genoux par une attaque en plein Covid : « On a mis neuf mois pour tout remettre en ordre. Pendant ce temps, c’était la débrouille générale, on ne comptait même plus les morts correctement. » Des anecdotes glaçantes, qui traduisent l’urgence de se doter d’une meilleure résilience face à ces menaces numériques.
Les types d’attaques, eux, se diversifient constamment. « Il y a la menace silencieuse, où des hackers récupèrent des données sensibles pour de l’espionnage ou de l’influence. Ensuite, la paralysie partielle, avec des attaques qui bloquent des terminaux précis. Et enfin, la paralysie totale, le cauchemar absolu. »
Quant aux origines de ces attaques, elles sont souvent lointaines. « C’est une réalité historique qu’elles viennent souvent des pays de l’Est, où les salaires sont plus bas et où la cybercriminalité rapporte rapidement, » observe Kevin Polizzi. « Les Russes se spécialisent dans l’espionnage, les Nigérians dans les faux e-mails et les arnaques au phishing. » D’autres régions, comme la Syrie, la Turquie, ou la Chine, sont plus tournées vers les attaques de paralysie.
« Ce que les pompiers font dans la vie réelle, le campus doit le faire dans le monde virtuel »
Les défis de la cybersécurité sont omniprésents, mais souvent sous-estimés. « Beaucoup de PME locales n’ont pas conscience de leur vulnérabilité. Elles ne mesurent pas à quel point la menace est réelle et constante, et elle ne vient pas uniquement des cybercriminels », souligne Kévin Polizzi. 60 % des cyberattaques en 2023 ont ciblé les PME, les rendant particulièrement vulnérables.
Avec la directive européenne NIS 2 qui impose de nouvelles obligations pour garantir la résilience de structures critiques, ce sont environ 1 500 organisations du territoire qui vont devoir s’adapter rapidement pour répondre aux nouvelles normes de cybersécurité.
Dans ce lieu totem marseillais, l’idée est de donner vie à « un super pompier numérique » pour la région. « Ce que les pompiers font dans la vie réelle, le campus doit le faire dans le monde virtuel. »
Attirer les experts et former les talents de demain
Alors, sur les deux étages de la tour Mirabeau (2000 m2) on prépare les esprits aux crises de demain. L’ambition de ce campus est claire : bâtir un écosystème résilient. « À Marseille, on a pris le problème à l’envers. À La Défense, le Campus Cyber rassemble l’élite dans une tour de 26 000 mètres carrés, mais ici, on est sous-dotés en entreprises de cybersécurité, il fallait d’abord créer l’écosystème », explique Kévin Polizzi, en soulignant le positionnement unique du campus marseillais.
Le projet vise à attirer les experts, à former les talents et à développer des solutions adaptées aux besoins locaux. La tour abrite des espaces de coworking pour les start-ups, des salles de formation, et un fablab où les entreprises peuvent simuler des cyberattaques et apprendre à y répondre. « On a besoin d’une communauté soudée, d’un écosystème qui sait se parler », explique Kevin Polizzi.
Pour répondre à cette menace, le campus a développé une plateforme numérique, baptisée ARES, qui facilite la mise en relation avec des prestataires spécialisés. Ce guichet unique permet de simplifier l’accès aux solutions de cybersécurité, qu’il s’agisse de diagnostics pour PME ou de dispositifs de gestion de crise pour les collectivités.
Mais l’enjeu est aussi de combler le manque de prestataires compétents. « On manque de spécialistes pour répondre aux besoins des entreprises locales. C’est un vrai enjeu de formation. »
C’est là qu’intervient la plateforme d’alternance. « Aujourd’hui, un jeune qui cherche une alternance dans la cyber s’inscrit sur la plateforme du Campus Cyber, et on lui propose dix entreprises près de chez lui », explique-t-il. Objectif : rapprocher les talents des entreprises, pour combler les lacunes en matière de sécurité numérique. « Sincèrement, si le gamin est bien orienté, on n’a aucun problème à lui trouver une alternance efficace à côté de chez lui », assure Polizzi.
À ce titre, « le Campus Cyber, c’est du no profit. 100 % de l’argent généré par le campus sera réinjecté dans l’écosystème d’enseignement et de formation. »
Un pont vers la Méditerranée et l’Afrique
L’ambition ne s’arrête pas aux frontières de la région. Pour Polizzi, Marseille doit devenir la tête de pont numérique vers la Méditerranée et l’Afrique. « On est la porte de l’Afrique, mais on ne l’a pas encore vraiment ouverte », confie-t-il, le regard tourné vers le large. La ville doit capitaliser sur sa position géographique, sur sa culture des échanges, pour faire émerger des champions de la cybersécurité prêts à se déployer à l’international.
Avec sa casquette de patron, Kevin Polizzi sait que l’avenir ne se construira pas sans une forme de pragmatisme, loin des envolées lyriques. « Pour sauver Marseille, il faut créer 50 000 emplois. Le Campus Cyber, c’est une pierre à l’édifice, mais ça ne suffira pas à tout régler », admet-il. Sa franchise détonne, dans un univers où les annonces tonitruantes sont la norme.
Les soutiens institutionnels ne manquent pas, la Région Sud et la Métropole sont dans le paysage, mais l’argent, lui, vient du privé. « L’État est à nos côtés, mais ici, ce sont les entreprises qui mettent la main à la poche », précise l’homme d’affaire.
Parmi elles, l’aéroport de Marseille, CMA CGM, propriétaire des lieux, la Française des Jeux, ou encore Unitel Cloud Services. « Chacun vient avec ses enjeux, mais tout le monde a compris qu’on ne pouvait plus jouer en solo. »
Le 22 octobre, le campus a officiellement ouvert ses portes, prêt à faire de Marseille un bastion de la cybersécurité. Plus qu’un projet, une offensive collective.