Prix Nobel d’économie : les institutions « inclusives » pour la prospérité

Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson ont reçu le prix Nobel en sciences économiques pour leurs travaux sur les institutions. Décryptage.

Le prix de la Banque de Suède en Sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, plus communément appelé le « Prix Nobel en Sciences économiques Â», a été décerné le 14 octobre par la Banque de Suède à trois économistes Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson pour leurs travaux sur le développement.

Au cÅ“ur de leur analyse ? La qualité des règles sociales permettant la prospérité par l’entreprise. La ville de Nogales à la frontière du Mexique et des États-Unis est un bon départ pour comprendre le travail des lauréats 2024.

Coupée en deux par une haute clôture frontalière entre l’Arizona (USA) au nord et le Sonora (Mexique) au sud, elle présente en effet l’avantage d’une « expérience Â» tout à fait intéressante pour les chercheurs en sciences économiques et sociales.

En effet, alors que la géographie, le climat et la culture sont les mêmes des deux côtés de la séparation, Nogales la mexicaine est nettement plus pauvre que Nogales l’américaine. Comment expliquer cette différence ?

Le rôle des institutions

En réalité, le « mystère Â» des deux Nogales représente, depuis plus de deux siècles et demi la quête des économistes : comprendre pourquoi certaines nations ont pu s’enrichir alors que d’autres sont restées pauvres. Et souvent même : pourquoi certaines sont devenues pauvres après s’être pourtant enrichies. La réponse tient dans une large mesure dans la qualité de ce que les économistes appellent les « institutions Â».

Ce sont les règles sociales encadrant la politique et l’économie. Nogales la mexicaine vit sous les institutions mexicaines, pas vraiment
optimales. Nogales l’américaine bénéficie des institutions américaines, pas parfaites certes, mais de bien meilleure qualité. Les déterminants de la prospérité d’une nation se trouvent ainsi au croisement du droit, de l’économie et de la politique.

Certaines sociétés sont parvenues à développer des institutions dites « inclusives Â». On y trouve alors une élite au pouvoir (politique et économique) qui « inclut Â» le reste de la société dans les décisions et dans les mécanismes de prospérité économique fondés sur l’entreprise.

Ces sociétés prospèrent. Les institutions inclusives comprennent l’état de droit, les pratiques démocratiques et l’économie de marché en concurrence. Au contraire, lorsque, dans une logique de court terme, les élites veulent accaparer le pouvoir politique et économique au
détriment des masses, les institutions sont alors « extractives Â».

C’est alors la prospérité pour l’élite minoritaire, mais la misère pour la majorité de la population.

L’origine des institutions

Comment expliquer que certaines nations pauvres demeurent dans le piège d’institutions « extractives Â» ? Une hypothèse développée par les auteurs récemment nobélisés remonte dans l’histoire et part du type de colonisation subie par les pays en question.

Les contrées très densément peuplées étaient colonisées par un nombre restreint de colons qui instauraient typiquement des institutions extractives pour maintenir le travail autochtone dans l’esclavage.

A l’inverse, les régions peu peuplées attiraient de plus nombreux colons mais qui ne pouvaient profiter du travail d’esclaves et devaient ainsi travailler eux-mêmes, ce qui nécessitait des institutions « inclusives Â» pour les motiver.

Le travail des nobélisés soutient ainsi que des règles sociales de type inclusif et démocratique ont tendance à favoriser la prospérité économique.

Une petite anecdote…

Il se trouve qu’il y a une dizaine d’années l’économiste, Emmanuel Martin, notre collaborateur au Méridional, avait été le directeur scientifique d’un ouvrage auxquels avaient participé deux des lauréats de la semaine dernière, Daron Acemoglu et James Robinson.

Et il n’est pas peu fier du « Prix Nobel Â» reçu par ces derniers. L’ouvrage, sous l’égide de l’Institut de Recherches Fiscales et Économiques (IREF) et co-dirigé par le président et le directeur de l’IREF, Jean-Philippe Delsol et Nicolas Lecaussin, proposait une analyse critique de la vision, de la théorie et des résultats empiriques de l’économiste français Thomas Piketty, ancien conseiller économique de François Hollande.

Il remettait notamment en cause les politiques fiscales visant à « taper très fort Â» sur les très hauts revenus, rappelant que les « riches Â» sont très souvent des entrepreneurs et des investisseurs et créent donc directement ou indirectement des emplois. Le livre avait d’ailleurs fait l’objet d’une version américaine par l’institut CATO.