Lancé en 2021 par Emmanuel Macron, le plan Marseille en Grand promettait une transformation profonde de Marseille. Trois ans plus tard, le bilan révèle des avancées timides, une gouvernance floue et un horizon toujours incertain pour la cité phocéenne.
En septembre 2021, depuis le Palais du Pharo, Emmanuel Macron dévoile le plan Marseille en Grand. Cinq milliards d’euros pour redonner un peu de dignité à une ville cabossée par ses écoles en ruine, ses immeubles qui s’effondrent et ses quartiers coupés du monde. « Un engagement historique de l’État », martelait alors Benoît Payan, le maire (divers gauche) de Marseille.
Le plan ambitionnait de faire de Marseille un territoire plus inclusif, développant une dynamique métropolitaine plus intégrée. Mais derrière les chiffres et les annonces, l’implémentation sur le terrain révèle « des insuffisances intrinsèques et organisationnelles », comme le souligne le rapport de la Cour des comptes publié lundi 21 octobre 2024.
Une gouvernance et une stratégie floues
Le rapport, qui dresse un premier bilan de ce plan, met en lumière une gouvernance en deçà des enjeux. Conçu rapidement, le plan n’a pas bénéficié d’une concertation suffisante entre les acteurs locaux et l’État, un point critique relevé par les magistrats : « La conception rapide et centralisée, sans phase d’étude préalable ni concertation, a fragilisé la mise en œuvre. »
La réforme de la métropole Aix-Marseille-Provence, initialement présentée comme une condition préalable, reste inachevée. Le rapport pointe ainsi que « la réforme des relations financières entre la métropole et ses communes membres n’a pas été engagée », ce qui handicape la métropole dans la gestion des projets.
La Cour souligne les tensions persistantes sur les questions budgétaires, avec des reversements annuels de la métropole vers les communes, estimés à 178,47 millions d’euros sur des bases jugées irrégulières. Ces transferts grèvent sa capacité d’action et ralentissent la mise en œuvre des projets structurants.
À la fin de 2023, seulement 1,31 % des milliards promis sont tombés dans la cagnotte. Une miette, à peine, qui laisse l’air rance des promesses non tenues.
Des écoles rénovées, mais une pédagogie à la traîne
Dès 2020, le rapport de la Chambre régionale des comptes pointait un patrimoine scolaire en état de délabrement avancé. Près de 38 % des écoles présentaient des « désordres techniques et fonctionnels forts », nécessitant des interventions d’urgence.
Le plan Marseille en Grand, lancé en 2021, visait à corriger ces lacunes en rénovant 188 écoles « en souffrance » sur les 470 que compte la ville, pour un budget de 1,5 milliard d’euros. Un chantier titanesque confié à une société publique locale d’aménagement d’intérêt national.
On a cru, un temps, à une amélioration. À la fin de 2023, un tiers des chantiers étaient ouverts. Cependant, « la conduite des opérations bâtimentaires et l’expérimentation de nouvelles modalités d’organisation pédagogique ne sont pas suffisamment mises en lien », constate la Cour des comptes. Le contraste entre les bâtiments rénovés et l’absence de réforme pédagogique laisse un goût d’inachevé.
Des logements réhabilités, mais la mixité sociale oubliée
Le volet logement du plan se concentre sur la réhabilitation des copropriétés dégradées, mais ignore la question de la mixité sociale. La Cour critique « l’absence de mesures visant à améliorer la mixité sociale et à lutter contre la ségrégation résidentielle ».
Si les efforts pour améliorer les conditions de vie de nombreux habitants sont louables, le manque de vision globale fragilise la cohésion sociale de la ville.
Mobilité, un réseau en quête de cohérence
La question des transports n’échappe pas non plus aux incohérences. Le plan prévoyait le financement de 15 projets de transport inscrits au plan de déplacements urbains de la Métropole.
Mais ces initiatives peinent à dessiner une stratégie métropolitaine d’ensemble. « La liste des projets retenus et leur priorisation font l’objet de dissensus », déplore la Cour, citant notamment le prolongement du tramway d’Aubagne jusqu’à La Bouilladisse, qui reste déconnecté des besoins des quartiers nord de Marseille. Ces quartiers, qui concentrent les défis sociaux et économiques les plus importants, demeurent mal desservis, accentuant les inégalités d’accès aux services et aux emplois.
Des choix de priorités contestés
Le GIP transport, mis en place pour coordonner les efforts de mobilité, n’a pas réussi à établir une vision cohérente. La priorité donnée à des projets comme le tramway vers La Bouilladisse est critiquée pour sa logique locale, tandis que le projet de tramway vers les Catalans, contesté par la Ville de Marseille, illustre les divergences de priorités. La Ville privilégie des axes de désenclavement pour les quartiers populaires du nord, alors que la métropole mise sur des liaisons touristiques.
En conséquence, les quartiers les plus isolés de Marseille restent dépendants de la voiture. La ZFE (zone à faibles émissions), en vigueur depuis 2023, ajoute une pression supplémentaire : dans le 3e arrondissement, 52 % des véhicules risquent à terme de ne plus pouvoir circuler, sans que les alternatives de transport soient à la hauteur des besoins. Le rapport de la Cour souligne le manque de solutions d’accompagnement pour ces populations, augmentant le risque de marginalisation.
Un État omniprésent, des résultats limités
Le rôle prépondérant de l’État dans le plan Marseille en Grand met en lumière la difficulté des acteurs locaux à prendre en main leur destin. « L’État s’investit de manière significative dans des domaines de compétences relevant des collectivités territoriales », analyse le rapport, ce qui reflète une dépendance des collectivités aux financements et aux décisions de l’État. Malgré cet engagement, la lenteur administrative et le retard dans le déblocage des fonds entravent les ambitions du plan.
« L’organisation du plan Marseille en Grand est insuffisante au regard des enjeux qu’il porte », conclut la Cour, pointant le manque de cadre contractuel et de coordination entre les différents acteurs. La lenteur de la mise en œuvre accentue le fossé entre les attentes des habitants et les résultats concrets sur le terrain.
Des attentes déçues
Le plan Marseille en Grand a permis de mettre en lumière les défis de la ville et l’importance d’une intervention d’envergure. « Le plan a réussi à attirer l’attention sur les problématiques de Marseille et de sa métropole », admet la Cour, mais la fragilité de sa mise en œuvre, associée à une gouvernance éclatée, compromet les résultats escomptés.
La Cour des comptes appelle à une « formalisation rapide du plan et à une meilleure coordination entre les acteurs ». Sans ces ajustements, les ambitions initiales risquent de se diluer dans la complexité administrative et les rivalités politiques, au détriment des habitants de la ville.
Une mise en perspective des critiques par le ministère des Territoires
Suite à la publication du rapport de la Cour des comptes, le ministère des Relations avec les Territoires et de la Décentralisation a fait part de sa réaction. Selon cette autorité, le rapport offre une « photographie des entretiens conduits au deuxième semestre 2023, qui ne reflète plus la situation actuelle ».
Le ministère insiste sur les progrès réalisés, affirmant que 90 % des mesures sont désormais engagées et que l’État continue de jouer un rôle central pour accompagner les projets, en étroite collaboration avec les collectivités.
« L’absence de centralisation de la décision, mise en exergue par la Cour, est adaptée à la nature même du plan », précise la direction ministérielle, qui défend le choix de contractualisations sectorielles indépendantes pour chaque thématique afin de « s’appuyer sur des instances existantes et éviter un millefeuille administratif ».
La représentation gouvernementale met également en avant des avancées concrètes, comme la livraison de six nouvelles écoles à la rentrée 2024, quatre autres prévues d’ici la fin de l’année, ainsi que la finalisation de cinq projets de mobilité, dont la ligne 4 du bus à haut niveau de service qui devrait desservir plus de 45 000 habitants.
N.K.