Jean-Yves Baeteman : « L’Apex doit être la boîte à outils de l’international pour la région Sud »

Jean-Yves Baeteman, président de l'Apex. Crédit - N.K.

Jean-Yves Baeteman, président de l’Apex, veut renforcer les liens entre les acteurs marseillais et le commerce international, malgré les défis logistiques et économiques.

Jean-Yves Baeteman, fondateur de Batimex, spécialiste de l’équipement de la maison et des luminaires, est à la tête de l’Apex, l’association qui regroupe les acteurs du commerce extérieur en région Sud. Sa mission : apporter un soutien stratégique aux entreprises locales pour les aider à s’imposer sur la scène internationale.

Pour lui, l’Apex doit être une « boîte à outils » complète, offrant formations, expertises et un accès privilégié à un réseau consulaire unique en France. Dans un entretien avec Le Méridional, il aborde les enjeux actuels : la décarbonation, la compétition mondiale, et la nécessité de maintenir une économie locale dynamique, malgré une forte dépendance aux importations asiatiques.

Il alerte également sur les blocages du port de Fos, responsables de la perte de trafic au profit de Gênes et Valence. Malgré ces écueils, Jean-Yves Baeteman reste optimiste sur le potentiel de la région, qui peut capitaliser sur ses talents et son hub numérique en pleine expansion, faisant de Marseille le cinquième hub numérique mondial.

Quel est le rôle de l’Apex dont vous êtes président ?

L’Apex fédère toutes les forces vives de l’international dans la région Sud. On y trouve aussi bien des sociétés d’import-export que des banquiers, des avocats, des spécialistes dans divers domaines d’expertise.

Nous organisons quarante événements par an, avec notamment des « paroles d’expert Â» dans de nombreuses spécialités : la propriété intellectuelle, les incoterms, la logistique, ou encore la douane (qui sont nos partenaires, avec les lois qui évoluent en permanence).  

Nous sommes également partenaires avec les pays : nous avons, en effet, la chance à Marseille d’avoir la plus grande délégation consulaire de France, avec soixante-quatorze consuls ! Nous les utilisons très souvent et leur donnons la parole.

Parlez-nous des « routes de l’international Â»

Nous utilisons beaucoup nos experts dans ce que l’on appelle les « routes de l’international Â». Nous rassemblons des élèves, de Kedge Business School, du lycée Perrimond, de la Cadenelle, ou de l’IAE d’Aix.

Tous ces jeunes ont une vocation à l’international mais ils ne savent pas encore ce que c’est réellement que de faire du commerce international !

Donc on fait pitcher devant eux quelqu’un de CMA CGM, la consule générale des États-Unis, un grand spécialiste, ou même un VIE en visio à Dakar qui explique son travail quotidien à l’international là-bas.

L’international c’est aussi de l’emploi à l’international. Quel est votre rôle en la matière ?

L’Apex dispose également d’une cellule emploi puisque l’on fait « matcher Â» toutes les offres et demandes d’emplois à l’international. Cela va de la simple alternance jusqu’au confirmé +++.

J’ajoute que nous avons également une branche qui reçoit les familles des expatriés arrivant à Marseille, et ne savent pas où se loger ou bien où scolariser leurs enfants : c’est « B’wellcome Â». Cela commence par l’apprentissage de la langue, l’établissement des papiers etc.

L’Apex se veut ainsi la boîte à outils du commerce international et nous offrons à tous nos membres et au plus grand nombre des solutions et une véritable expertise sur tout une série de sujets.

Comment voyez-vous l’activité à l’international en ce moment ?

Je suis intervenu au Top Transport Europe au palais du Pharo à Marseille, où l’on a beaucoup parlé de décarbonation, de transport intermodal : il est donc question de changer beaucoup de choses. Mon avis personnel cependant c’est qu’on continue plus que jamais à importer beaucoup de Chine : sur une chaîne de voiture 90% des pièces détachées viennent de Chine ou d’Asie, en tous cas.

Parmi le top 10 des plus grands ports mondiaux en termes de trafic de container, il y en a sept chinois, et le premier européen, c’est Rotterdam avec 10 millions de containers. Il faut savoir que Shangai c’est 45 millions de containers, Ningo-Zhoustan, 35 millions.

Et Marseille ?

A Marseille, on ne fait que 1,5 million de containers… Alors évidemment nous n’avons pas l’économie capable de justifier autant de trafic. Mais il y aussi le fait que depuis que je travaille, soit 45 ans, le port de Fos est régulièrement en grève.

Résultat : Marseille n’est plus inscrit dans la liste des principaux ports européens pour les bateaux chinois. Ces derniers font désormais escale à Gêne-Livourne et partent ensuite pour Barcelone-Valence. Cela a réellement été un coup de grâce. Il est vrai que cela va un peu mieux mais on a encore des blocages de quelques personnes qui empêchent 150 000 autres de travailler.

Comment « naviguer Â» dans l’activité à l’international ?

L’international, ce n’est en effet pas une science exacte ! C’est un secteur sujet à de nombreux aléas. Le cours du dollar par exemple. En juillet 2022 un euro était égal à un dollar. Il est vrai que cela peut booster les exportations de la zone euro vers la zone dollar. Mais à l’import cela a été un crève-corps.

Pour deux raisons. D’abord le fret se cote en dollars donc mécaniquement le coût augmente avec le dollar. Ensuite pendant la période Covid le fret était coté à 15 000 au lieu de 1 500 dollars le container. Doube pleine donc, et cela a plombé l’économie, conjoncturellement.

Autres éléments aléatoires : l’Evergiven qui a encastré son bulbe d’étrave dans le canal de Suez en mars 2021. Également : les attaques de Houthis sur les porte-containers en mer rouge. L’Égypte a par exemple perdu 70% de son trafic. Or, un porte-containers qui passe par le canal de Suez paie 500 000 dollars de droits en moyenne, qui vont dans la poche du gouvernement égyptien. Le trafic a donc été détourné par le Cap de Bonne Espérance, ce qui induit un voyage de 10 à 15 jours de plus et de fioul en plus sans la possibilité de refiouler avant Tanger.

Il y a donc de nombreux aléas dans ce secteur et nous sommes la boîte à outils et à la boîte à information de l’international. Nous informons en permanence nos adhérents, avec un réseau WhatsApp très large, avec le collectif de l’international dans lequel on trouve La cité de l’entrepreneur, les Entreprises de la Vallée Verte, Marséa, soit 600 sociétés qui utilisent l’international.

Comment voyez-vous l’impact des choix budgétaires actuels ?

Notre pays a une dette publique de 3000 milliards d’euros. Chaque français nait donc avec 50 000 euros de dette en moyenne. Monsieur Barnier a 63 milliards d’euros à trouver. Soit en réduction des dépenses, soit en augmentations des recettes.

S’agissant de la réduction des dépenses : supprimons des avantages acquis. Quant à augmenter les recettes : surtout ne pas impacter les entreprises, notamment les PME et les ETI qui crèvent déjà d’avoir un gros problème de rentabilité !

Pour les grands groupes, c’est différent ?

Certes ce n’est pas la même chose pour les très grands groupes mais, cependant, attention ! Nous avons la chance d’avoir à Marseille une société comme CMA CGM. Marseille ne serait pas la même si CMA CGM n’y avait pas mis son siège. Il faut arrêter de dire « ils se sont enrichis » : il faut se souvenir qu’en 2019 ils perdaient beaucoup d’argent. Ensuite, ils en ont gagné et tant mieux pour eux, et… pour nous ! Attention à ne pas les pousser à aller établir leur siège à Beyrouth par exemple. Et c’est la même chose pour d’autres grands groupes.

Marseille, toujours dynamique tout de même ?

Nous avons la chance à Marseille d’avoir un tissu industriel diversifié : pas que du savon et des calissons ! Il y a d’ailleurs de l’agriculture (le riz) et de la Tech’, beaucoup de Tech’.

Par exemple, Marseille est en train de devenir le cinquième hub mondial en fibre optique avec des câbles qui partent de chez nous pour alimenter l’Afrique et l’outre Atlantique en data. Ce n’est pas ailleurs, c’est à Marseille ! Nous avons des pépites à Marseille, nous avons des talents. Ne les gâchons pas !

Emmanuel Martin, économiste