La métamorphose des immeubles oubliés de la rue Jean Roque racontée

Stefania Guiducci, architecte du patrimoine de l'agence Archigem et Michael Metais, responsable pôle "recyclage de l'habitat indigne" Spla-IN. © N.K.

Derrière les fissures et le délabrement, une histoire de quatre siècles. La rue Jean-Roque à Marseille, longtemps laissée pour compte, se refait une santé. Une réhabilitation, où passé et futur s’entremêlent, racontée par Stefania Guiducci, architecte du patrimoine.

Avec son accent italien marqué, Stefania Guiducci, architecte du patrimoine, s’avance sous les poutres d’un bâtiment : « À votre avis, de quand date cet immeuble ? » demande-t-elle, les yeux pétillants de curiosité.

La réponse est loin d’être évidente. C’est ici, au 34 de la rue Jean-Roque, dans le 6e arrondissement de Marseille, que se joue une partie de l’histoire de la ville, entre murs fissurés et tomettes séculaires.

Aux 34, 36, 38 et 40 rue Jean-Roque, les travaux débutent pour transformer des immeubles dégradés en logements sociaux de qualité. Un chantier emblématique, symbole de la lutte contre l’habitat indigne dans une ville marquée par les fractures sociales.

Des pierres qui ont traversé les siècles

Ces immeubles, érigés entre 1660 et 1705, témoignent d’une époque où Marseille étendait ses bras au-delà de ses remparts, sur des terrains autrefois appartenant au couvent des Capucins. « Les gens pensent souvent que ces immeubles datent du XIXe siècle, mais ils sont bien plus anciens », explique l’architecte de l’agence Archigem en parcourant du doigt une coupe du bâtiment.

Là où d’autres verraient un tas de pierres fatiguées, Stefania Guiducci, casque vissé sur la tête, voit un trésor. Un trésor que l’on restaure pierre après pierre, poutre après poutre.

Elle montre les traces du temps : les tomettes du XVIIe siècle au quatrième étage, les boiseries usées, les fissures nées des multiples rénovations maladroites du XXe siècle. « Ce sont des logements construits pour des familles modestes venues travailler dans la ville portuaire en pleine expansion. Ce n’était pas des hôtels particuliers, comme on pourrait croire. »

Un projet ambitieux de réhabilitation

Les numéros 34 à 40 de la rue Jean-Roque, à deux pas de la rue d’Aubagne où les effondrements de 2018 ont laissé des traces indélébiles, sont aujourd’hui entre les mains de la Spla-In AMP et du groupe Vilogia. Ils s’apprêtent à vivre une véritable renaissance.

Dans le cadre de la concession d’aménagement multisites conclue avec la Métropole Aix-Marseille-Provence en janvier 2023, cette réhabilitation fait partie du plan « Marseille en Grand » et du Projet Partenarial d’Aménagement (PPA), visant à redonner vie à un patrimoine oublié datant de quatre siècles tout en l’adaptant aux besoins contemporains.

Un diagnostic à la loupe

Stefania Guiducci décrit avec passion le diagnostic patrimonial minutieux qui a précédé les travaux. « On n’est pas dans la simple rénovation. Il faut comprendre chaque élément pour savoir ce qui peut être sauvé. »

Le chantier est titanesque. Chaque fissure, chaque affaissement raconte une histoire. Pas question de tout détruire pour repartir à neuf. Le maître mot : conserver. « On ne veut pas effacer la mémoire des lieux, mais au contraire la faire revivre », explique l’architecte.

Ainsi, des structures en bois du XVIIe siècle seront conservées, renforcées là où le temps a laissé ses marques. Une chirurgie fine, respectueuse de l’histoire.

Le défi du numéro 40

Mais au numéro 40, le chantier est plus complexe encore. « Ce bâtiment-là a souffert de mouvements de fondations qui ont affecté les immeubles voisins. On a vu des fissures se dessiner en diagonale sur la façade, un signe clair des déformations du sol », commente Stefania Guiducci, désignant les murs fragiles.

Ce bâtiment, le plus délabré des quatre, a été le premier à être mis sous arrêté de péril. Mais il est aussi celui où le défi est le plus audacieux : la création d’un duplex atypique au 5e étage, rare en plein centre-ville ancien. « Ici, c’était la solution idéale pour maximiser la lumière et créer un espace de vie moderne tout en respectant l’architecture historique », explique Stefania Guiducci.

Allier passé et modernité

Dans cette réhabilitation, chaque détail compte. Il ne s’agit pas simplement de rafraîchir les murs et de remettre en état les logements. « Nous transformons ces bâtiments pour en faire des logements sociaux de haute qualité », explique l’architecte.

Là où il y avait autrefois 20 appartements vétustes, il y en aura 16, tous traversants, dotés d’extérieurs et construits avec des matériaux biosourcés comme la chaux et le chanvre.

Mais le projet ne s’arrête pas là. Une chaufferie bois commune, installée au numéro 40, assurera le chauffage de tous les immeubles réhabilités. « Cette chaufferie commune permet de réduire les charges pour les futurs habitants, tout en respectant l’environnement », précise l’Italienne. Le bois, livré une à deux fois par an, chauffera les logements sans empiéter sur la tranquillité du quartier.

Redécouvrir l’architecture bioclimatique

La visite continue, et Stefania s’arrête un instant devant une fenêtre, observant la lumière qui traverse l’espace. « Ces immeubles ont été pensés pour être traversants, pour profiter des courants d’air. C’était une architecture bioclimatique avant l’heure ».

Aujourd’hui, tout l’enjeu est de redonner à ces bâtiments leur intelligence originelle, tout en les modernisant.

Le projet inclut également la transformation du rez-de-chaussée en local à vélos, une réponse aux défis de la mobilité contemporaine. « Ce local à vélos remplace un espace qui n’était pas adapté à l’habitation. »

Une course contre le temps

Le chantier, démarré en septembre 2024, devrait voir les travaux de gros Å“uvre achevés d’ici à 2025, sous la houlette de la Spla-IN. Ensuite, Vilogia prendra le relais pour les travaux de second Å“uvre, nécessitant encore plusieurs mois d’intervention. La livraison complète des logements est prévue pour l’été 2026.

Avec un budget de 3 millions d’euros, financé par l’État, avec une participation de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (Anru), la Métropole Aix-Marseille Provence et la Ville de Marseille, cette opération s’inscrit dans un programme plus large de réhabilitation de 172 immeubles dégradés d’ici 2032.

Dans ces ruelles marseillaises, où l’histoire se mêle aux ambitions de demain, la rue Jean Roque deviendra un modèle de ce que peut être la réconciliation entre le passé et l’avenir. L’indigne et la dignité !

N.K.

SUR LE MÊME SUJET