Avec le Festival de la Ville Autrement, l’urbanisme se rebelle à Marseille

© Jezael Melgoza

Le 18 octobre, Marseille ne sera plus tout à fait Marseille. Avec le Festival de la Ville Autrement, l’urbanisme devient un art de rue, un acte de résistance. Pendant une journée, architectes, artistes et citoyens se battent – au sens propre comme au figuré – pour réinventer la ville de demain. Chaos organisé ou génie collectif ? Une chose est sûre, personne ne sera épargné.

Oubliez les colloques où l’on s’endort en écoutant parler béton et plans d’urbanisme. Au Festival de la Ville Autrement, organisé par l’association « Va Jouer Dehors ! », une journée de débats enflammés, de spectacles déjantés et de performances décalées pour réinventer la ville.

Aucun compromis : on fait tomber les murs – littéralement et symboliquement – pour proposer une ville qui ressemble aux gens qui y vivent.

Prévu à l’origine sur quatre jours, le festival a dû être condensé en une seule journée. En cause, les budgets de l’État gelés, empêchant d’obtenir les financements dans les délais. Une réalité bien 2024, où même réinventer la ville se heurte aux coupes budgétaires. Ce n’est pas pour autant que la journée ne sera pas riche et déjantée !

Le 18 octobre 2024, l’ancien site de l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA-M) à Luminy devient le théâtre de cet événement unique. Et quand on dit ‘théâtre’, on pèse nos mots : ce festival, c’est plus du rituel urbain que du Le Corbusier. Ça débat, ça crie, ça réinvente la ville entre des saynètes d’ombres chinoises et un repas perché.

Le 18 octobre 2024, l’ancien site de l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA-M) à Luminy devient le théâtre de cet événement unique. © Claudia Goletto

« Un acte politique »

Dès 13h, les rencontres, débats, performances et spectacles vont s’enchaîner sans répit. Ce festival éphémère deviendra un véritable laboratoire à ciel ouvert, où chaque minute sera dédiée à penser et imaginer une ville plus inclusive, plus verte, plus humaine.

Au lieu des habituels schémas d’urbanisme froids, ce festival brasse artistes, philosophes, urbanistes et citoyens dans un immense laboratoire urbain. Matthieu Poitevin, architecte et fondateur du festival, mène la danse avec son style inimitable : dire tout haut ce que les autres chuchotent, et bousculer les conventions pour réinventer la ville en un espace vivant et évolutif.

Pour lui, l’architecture n’est pas juste un métier : c’est « un acte politique ». Il ne se contente pas de bâtir des structures, il souhaite bâtir des ponts entre les gens, les idées et les cultures. Son festival, c’est sa façon de bousculer les lignes, de faire de l’architecture un acte collectif, subversif et profondément humain.

Un « NON » retentissant à la ville figée

Le thème cette année ? « NON ». Pourquoi ce cri de révolte ? Parce qu’il est temps d’en finir avec les projets d’urbanisme déshumanisés, ceux qui détruisent la ville pour le profit de quelques-uns. Ici, on ne rêve pas de gratte-ciels, mais de logements pour tous, de rues vivantes et de places où se rencontrer.

Comme le souligne Matthieu Poitevin : « On ne peut plus construire la ville pour quelques-uns. Il faut la réinventer pour tous. » Ce festival, c’est donc un grand NON aux modèles obsolètes, et un grand OUI à la créativité, à l’audace et à l’envie de faire de la ville un lieu de vie, pas un musée de béton.

Dire NON à une ville désincarnée et OUI à l’expérimentation. Pour Matthieu Poitevin, l’urbanisme doit être subversif, collectif et surtout vivant. C’est sous cette bannière que se mobiliseront les cinquante intervenants, venus de 15 pays différents.

Ils ont une mission : dire NON aux tours sans âme, aux villes gérées comme des produits financiers, et à l’urbanisme de la spéculation. À la place, ils imaginent une ville participative, joyeuse, où chacun a son mot à dire.

Le chaos créatif des idées

Le Festival de la Ville Autrement, ce n’est pas juste une histoire d’architecture, c’est surtout un véritable champ de bataille d’idées. La journée sera ponctuée de tables rondes où l’on débat sans retenue sur l’avenir de la ville.

Au cÅ“ur de ce bouillonnement, il y a le grand Bazar D, l’espace où tout se mélange et se confronte. C’est là que les idées fusent dans tous les sens, un véritable chaos organisé qui invite à réinventer la ville.

Pas question d’un débat lisse et conventionnel : le Bazar D est conçu pour bousculer les certitudes, avec des questions qui dérangent comme : « Comment arrêter la ville chiante ? », « Pourquoi le désordre est-il nécessaire ? », ou encore « Comment recréer du lien ? ».

Ce grand bazar des idées est un laboratoire à ciel ouvert, où les visions alternatives de la ville prennent forme dans un joyeux désordre. Architectes, penseurs et citoyens s’y retrouvent pour proposer leurs utopies urbaines.

Chaque proposition, aussi radicale soit-elle, trouve sa place dans ce maelström d’énergies créatives, toutes dirigées vers un même but : une ville plus vivante, plus humaine.

Parmi les sujets abordés ? Des réflexions audacieuses comme « Faire des maisons autrement », ou encore le « Skaturbanisme », un concept qui explore l’intégration de la culture du skateboard dans la conception des espaces urbains.

Ce dernier projet, mené par des skateurs et des urbanistes, cherche à casser l’image de la ville comme simple décor statique, pour en faire un véritable terrain de jeu, vivant et dynamique.

Le but ? Cesser de voir la ville comme un espace figé, et la réinventer comme un lieu à vivre, où l’espace public devient une scène d’interactions et de mouvements, ouverte à tous.

Les jeunes pousses débarquent

La relève est là aussi. Avec « Le plus beau métier du monde », les étudiants de l’École Nationale d’Architecture de Marseille présentent leurs projets de fin d’études. Du sang neuf pour imaginer la ville de demain.

Leur travail est mis en dialogue avec l’œuvre coup de poing de l’artiste syrien Khaled Dawwa, qui reconstitue un quartier dévasté par la guerre.

Une collision de talents et d’idées pour nous rappeler que l’urbanisme, c’est aussi une question de mémoire et de résilience.

L’oeuvre de l’artiste syrien Khaled Dawwa, qui reconstitue un quartier dévasté par la guerre, entreposé au centre de conservation et de ressources du Mucem. © Marianne Kuhn.

Et parce qu’on ne fait rien l’estomac vide, il y aura le Banquet des Lucioles. Mais attention, ce n’est pas juste un dîner, c’est une performance orchestrée par Emmanuel Perrodin et David Mijoba. Les chefs ont concocté un festin inspiré par des saveurs de la Méditerranée, des rues de Grèce, de Palestine, ou encore d’Espagne.

Ce repas chorégraphié se déguste comme un spectacle où l’on mange comme on pense : en désordre, mais avec passion. Entre deux bouchées, on discute de la ville, de l’urgence climatique, et on rêve d’un monde où l’urbanisme rime avec humanisme. La convivialité est au cÅ“ur de ce festin, où la nourriture devient un vecteur de partage et d’échanges.

Un final entre création, spectacle et fête engagée

On ne fait pas que parler, on imprime aussi des idées. Le graphiste Thanh-Phong Lê animera son Atelier Travaux Pratiques, une « caméra-atelier » qui produira en direct pamphlets et affiches inspirés des débats du jour. Une performance graphique où la création devient politique, et où chacun pourra repartir avec un morceau de réflexion imprimé sur papier.

Le final ? Un vrai spectacle. « Klaxon », le show d’ombres chinoises de Matthieu Poitevin, où des silhouettes dansent au rythme des klaxons. Un défilé urbain qui prend des airs de ballet, où l’ordinaire devient magique, où la ville se transforme sous nos yeux. Parce que réinventer la ville, c’est aussi la rendre extraordinaire.

Et pour ceux qui ne veulent pas s’arrêter là, la journée se prolonge avec GLITCH, la soirée orchestrée par le collectif NEO. Une soirée festive, inclusive, où l’art rencontre la fête. Une dernière secousse pour terminer cette journée en beauté et prouver que, même dans la fête, il y a un message à faire passer.

Un souffle d’audace pour réinventer la ville

Voilà, c’est ça le Festival de la Ville Autrement. Une journée pour secouer les habitudes, jeter les plans à la poubelle et recréer du lien. Parce que l’urbanisme, c’est avant tout des gens, pas des immeubles sans âme. Matthieu Poitevin et ses acolytes l’ont bien compris : une ville, ça se vit, ça se ressent, ça s’invente chaque jour, à coups de débats passionnés, de performances déjantées et de gestes fous.

Personne ne sortira pas indemne de cette journée. Parce que derrière les idées lancées à toute vitesse, il y a l’envie de tout changer. Et même si ce n’est qu’une journée, ça laissera des traces. Des pavés bousculés, des rêves éveillés, et peut-être, demain, une ville qui se construit autrement.


INFOS PRATIQUES.

Date : 18 octobre 2024, de 13h à 4h du matin
Lieu : Ancien site de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA-M), 184 avenue de Luminy, 13009 Marseille
Accès en transports en commun : Bus B1 ou 21JET, arrêt Luminy PN des Calanques
Entrée libre pour la plupart des événements, certaines activités comme le Banquet des Lucioles (30 €) et la soirée GLITCH (10 € plein tarif, 5 € tarif réduit)
Programme complet et réservations disponibles sur : va-jouer-dehors.fr