[Vox Massilia] Le marégraphe : trésor caché de la Corniche

À l’occasion des Journées du Patrimoine, Flore Karaoun, une lectrice marseillaise, a enfin pu découvrir l’un des lieux les plus mystérieux de Marseille : le marégraphe. Un site unique, témoin des fluctuations de la mer Méditerranée et essentiel à la mesure des altitudes en France. Dans ce récit, elle partage son émerveillement et les enseignements fascinants qu’elle en a tirés.

Cela fait neuf ans que j’habite à Marseille et que je connais l’existence du marégraphe. Lors de mes premiers footings, c’était souvent mon objectif : atteindre ce mystérieux bâtiment en bord de mer. Mais il n’est ouvert au public que deux jours par an, pendant les Journées du Patrimoine, et seulement pour 200 visiteurs.

Cette année, 20 000 personnes se sont connectées en même temps, le jeudi 5 septembre à 19 heures, pour tenter de réserver une place J’ai enfin réussi à décrocher mon sésame !

Après une longue balade sur la Corniche piétonne, je découvre enfin ce que cache ce mystérieux bâtiment. À l’entrée, nous sommes accueillis par l’Association des Amis du Marégraphe, des gens très sympathiques. Notre guide est un jeune retraité de l’Institut Géographique National (IGN).

Un site choisi pour sa particularité géographique

Construit entre 1883 et 1885, le marégraphe est un lieu fascinant. Le marégraphe est construit sur un rocher solide, pour éviter qu’il ne s’enfonce. D’ailleurs, le calcaire du site est tellement dur qu’il a fallu le creuser à la dynamite, une surprise pour les ouvriers de l’époque.

À l’entrée, une plaque indique 1884. Notre guide, avec un brin d’humour, nous explique que « les ingénieurs aiment bien faire des moyennes ». En 1850, Marseille avait été choisie pour héberger le marégraphe car elle était alors considérée comme la ville la plus basse sur la côte méditerranéenne. Ce choix sera plus tard corrigé, lorsqu’on s’aperçoit que Sète est encore plus basse.

La visite commence dans ce qui était autrefois le logement des gardiens. Cet espace modeste fait à peine 40 m² et était difficile à chauffer en raison de l’humidité omniprésente. Il n’y a plus de gardien depuis 1988.

Les dessous de la mesure des altitudes en France

Le marégraphe joue un rôle fondamental : il permet de mesurer les variations du niveau de la mer, et c’est à partir de ces mesures que sont calculées les altitudes en France métropolitaine.

Notre guide nous explique comment sont mesurées les altitudes en France. Vous avez peut-être déjà vu ces géomètres, toujours par deux, avec leurs drôles d’échelles et appareils à niveau. On ne peut mesurer qu’à chaque 70 mètres. La première cartographie complète de la France a pris 150 ans !

Nous descendons ensuite dans le cœur du bâtiment. Après avoir traversé deux petites salles, nous empruntons un escalier en colimaçon en fer forgé, très étroit et avec des marches espacées au maximum d’1,70 mètre. Attention, ce n’est pas pour les claustrophobes !

En bas, nous découvrons l’appareil de mesure, une véritable prouesse mécanique : une plaque de cuivre délicatement déposée sur l’eau, qui entre par une porte de bronze percée.

Entre cette porte et une autre à l’extérieur, sous la Corniche, un canal sinueux de 8 mètres stabilise l’eau et élimine les déchets, permettant ainsi une mesure précise. Le système, avec ses contrepoids, stabilise la plaque pour que les mesures ne soient pas faussées par les variations de température.

De l’analogique au numérique, le marégraphe reste un pilier de précision

Les mesures du marégraphe ont été prises manuellement pendant des décennies. C’est ce que nous découvrons dans la dernière salle. Le mouvement des fils de mesure était retranscrit sur un rouleau de papier, appelé marégramme, grâce à un système d’engrenages.

Chaque marégramme, d’une longueur de 9 mètres, couvrait un mois d’enregistrement. Ces rouleaux étaient ensuite rangés dans des casiers, douze par an, et envoyés à Paris où ils ont tous été numérisés.

Aujourd’hui, un employé de l’IGN d’Aix-en-Provence vient relever les mesures chaque semaine. Depuis 20 ans, un système numérique, basé sur un sonar, complète le dispositif.

Il envoie des données à Brest toutes les dix minutes. Mais en cas de divergence entre l’analogique et le numérique, c’est toujours le vieux modèle qui l’emporte. La série de mesures est plus ancienne, donc plus fiable.

Témoin des changements climatiques

Ces mesures – soigneusement archivées – ont permis de constater une hausse moyenne du niveau de la mer de 1,3 mm par an, depuis le début des relevés. Cependant, depuis 1980, cette élévation a accéléré pour atteindre 4 mm par an.

Une question essentielle se pose alors : est-ce le sol qui descend ou la mer qui monte ? Grâce au système de satellites Galileo, il a été prouvé que le rocher sur lequel repose le marégraphe est stable. Conclusion scientifique : c’est bien la mer Méditerranée qui monte.

Une visite unique, un témoignage précieux

Le marégraphe fonctionne 97 % du temps, et bien qu’il ait été stoppé à quelques reprises pour maintenance ou lors d’événements exceptionnels (comme la Libération de Marseille ou un acte de vandalisme récent), il est resté un point de référence essentiel pour la France.

Grâce à cette visite, j’ai pu découvrir un lieu chargé d’histoire et de science, un témoin immuable des fluctuations de la mer et des changements climatiques qui affectent notre planète. Le marégraphe de Marseille est bien plus qu’un simple bâtiment : il est le gardien des altitudes de la France et un rappel constant de la montée des eaux.