François Hollande : « Une destitution fragiliserait encore plus le pays »

François Hollande

Dans une interview où il revient sur l’actualité politique et les défis qui se posent au gouvernement actuel, François Hollande n’épargne ni les lenteurs des décisions, ni les contradictions d’Emmanuel Macron. Entre réflexions sur l’unité nationale, gouvernance difficile et l’avenir de la gauche, l’ancien président socialiste livre ses analyses.

François Hollande, toujours l’art de la pirouette. En visite à Marseille pour sa fondation La France s’engage, l’ancien président de la République n’a pas manqué de glisser une petite plaisanterie : « Moi aussi, finalement, je suis un président démissionnaire. Je ne peux pas rester à la tête de La France s’engage, compte tenu de ce qui m’a pris de vouloir devenir député… comme si c’était mon ambition première. »

Clin d’œil à son retour au sein de l’Assemblée nationale dans le groupe du Nouveau Front Populaire, où il se frotte désormais aux périls politiques de la majorité actuelle.

Mais ce jeudi 19 septembre, François Hollande n’était pas là que pour plaisanter. Entre la signature d’un partenariat clé avec la Ville de Marseille [sur lequel nous reviendrons], une rencontre avec les patrons du Top 20, et un passage à l’École Centrale, l’ancien chef de l’État a enchaîné les engagements. Sans oublier la dédicace de son dernier ouvrage, Le défi de gouverner, où il revisite un siècle de socialisme à la française.

Loin de la simple visite de courtoisie, François Hollande a profité de cette escale phocéenne pour accorder un entretien au Méridional. Les lenteurs du gouvernement Macron, la montée d’un Rassemblement National qui joue les arbitres, et une gauche en lambeaux… Avec son style toujours piquant, l’ex-président socialiste ne mâche pas ses mots, et livre une analyse claire et grinçante de la situation politique actuelle.

Deux mois pour désigner un Premier ministre, trois semaines pour former un gouvernement. Pourquoi Macron s’est-il enfoncé dans une telle lenteur ?

Le processus a effectivement été exagérément long. Cela tient à une hésitation du chef de l’État, mais aussi à une mauvaise méthode. L’hésitation, c’était de ne pas savoir traduire le front républicain.

Quant à la méthode, c’était de ne pas commencer par le Nouveau Front Populaire, puis de constater qu’il n’y avait peut-être pas de majorité pour le soutenir.

Au-delà de la personne que je connais bien et que je respecte, Michel Barnier, c’est quand même un Premier ministre qui vient du groupe le plus petit à l’Assemblée nationale. Il y a une forme d’incompréhension de ce qu’a été le vote des Français.

Malgré les résultats des élections, Macron semble vouloir gouverner avec une droite plus dure. Est-ce une stratégie viable ?

Ce qui est clair, c’est qu’il y a une incompréhension. Les élections ont montré une fracture. Plus de 30 % des électeurs ont voté pour le Rassemblement national, mais quand même deux tiers ont voté pour le front républicain.

De plus, il y a des personnalités venant d’un parti qui n’a pas été dans le front républicain, et qui ont l’assentiment du Rassemblement National pour être désignées. Mais les contradictions finissent toujours par apparaître.

« Le temps joue aussi en leur faveur, car ils attendent – Madame Le Pen l’a confessé – la prochaine dissolution l’année prochaine. Voilà pourquoi c’est un gouvernement qui, de toute façon, est précaire ».

Si le gouvernement n’est pas encore constitué, c’est qu’au sein même de ce qui était l’ancienne majorité, ça ne va pas de soi. Ce n’est pas évident d’avoir une politique plus à droite, il y a une crise budgétaire qui appelle des solutions qui ne sont pas partagées.

Et ce n’est pas évident de voir autant de ministres, qu’on pourrait qualifier de RPR. Mais ce n’est pas seulement pour la majorité que ça ne va pas de soi. Pour les Français aussi, même si je peux comprendre qu’à un moment, le pays doit être gouverné.

Comment ce pays peut-il être gouverné dans ces conditions ?

Ce n’est pas une décision que j’aurais prise, donc je ne sais pas combien de temps elle va durer. Et on voit bien que du côté du Rassemblement national, il y a une gestion du temps. C’est lui qui va décider de la fin du gouvernement Barnier.

Pour le moment, il n’est pas pressé, car Marine Le Pen doit affronter une épreuve judiciaire. Il n’est pas pressé parce qu’il veut obtenir de la part du gouvernement un certain nombre de concessions sur différents domaines.

Le temps joue aussi en leur faveur, car ils attendent – Madame Le Pen l’a confessé – la prochaine dissolution l’année prochaine. Voilà pourquoi c’est un gouvernement qui, de toute façon, est précaire.

Quelles vont être alors les conséquences pour les Français ? Hausse des impôts ? Coupes budgétaires ?

C’est ce qui m’inquiète. Quand il s’agit des partis, je peux comprendre que l’opinion s’en détourne, mais il faut se demander s’il y aura une hausse des impôts, et si oui, sur qui elle pèsera.

Il y a aussi la question des économies budgétaires : quels secteurs seront touchés ? L’éducation, par exemple, ou les politiques publiques qui affectent la vie quotidienne des citoyens.

Ce que les Français attendent, ce n’est pas seulement un gouvernement, c’est un programme clair, et pour l’instant, il est à craindre que ce programme soit extrêmement difficile à vivre pour les Français.

Vous êtes aujourd’hui député du groupe NFP, où certains de vos collègues, notamment les Insoumis, appellent à la destitution d’Emmanuel Macron…

L’unité du pays et la stabilité des institutions doivent rester notre priorité. Même si je déplore les choix qui ont été faits par Emmanuel Macron, même si je conteste la méthode qu’il a utilisée, notamment en ne confiant pas la direction du gouvernement à Lucie Castets, je pense que la destitution n’est pas la bonne réponse.

Je ne parle pas seulement par rapport à Emmanuel Macron. J’ai été président de la République, et je crois que si l’on commence à interrompre les mandats et à remettre en cause les légitimités, c’est grave pour l’unité du pays.

Je pense qu’il aurait mieux valu – c’était mon point de vue et cela n’a pas été suivi – arrêter tout de suite puisque cela n’avait pas de chance d’aboutir pour ceux qui veulent s’engager dans cette procédure. Ça va durer et ça va engendrer encore davantage de frustrations.

On entend que la gauche semble plus divisée que jamais. Vous qui avez connu les gauches irréconciliables, est-ce vrai ou peut-elle encore espérer revenir au pouvoir dans ce contexte ?

Je fais un livre pour revenir sur cette histoire [Le défi de gouverner, ed. Perrin. ndlr]. Il y a toujours eu en France deux gauches : une gauche plus protestataire, plus radicale, plus incantatoire, plus exigeante.

Et puis une gauche plus réformiste, plus réaliste, plus européenne sûrement, qui s’est retrouvée au gouvernement dans plusieurs circonstances, sous différentes Républiques, notamment sous Mitterrand, Jospin et moi. Ces deux gauches-là perdureront parce qu’elles correspondent aussi à des sensibilités dans le pays. Leur union est nécessaire pour la victoire.

« il vaut mieux encore une gauche qui transforme, conquiert, fait des avancées sociales, même si elle déçoit, qu’une gauche qui reste à la porte du pouvoir ».

Sans cette union, il n’y a pas de victoire possible. Et encore moins aujourd’hui, où la gauche est en minorité dans le pays. Le but de toute organisation politique est d’arriver au pouvoir. Eh bien, il faut l’union, autour d’une ligne : celle de la gauche socialiste et réformiste.

Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise occupent une place importante à gauche aujourd’hui. Pensez-vous que cette dominance complique la possibilité d’une union plus large à gauche ?

C’est précisément parce que, depuis sept ans, c’est la gauche radicale – LFI, Jean-Luc Mélenchon – qui a été la plus importante. Au-delà des comportements et de ce qu’ils peuvent susciter, on voit bien que c’est ça qui empêche l’accès au pouvoir.

Il faut que le Parti socialiste, avec d’autres, pas seul, se renforce et devienne la première composante de la gauche. Et sans rompre l’union, nous ne parvenons pas à une perspective de pouvoir. C’est comme ça que Mitterrand a fait en 1981, c’est comme ça que Lionel Jospin est parvenu, c’est comme ça que j’ai été élu président.

Il faut rappeler que lorsque j’ai été élu président en 2012, Jean-Luc Mélenchon était candidat. Il avait fait 11 ou 12 % (11,1%, ndlr), et un très bon score à Marseille. Il avait donc déjà une présence et une influence, mais elle était seconde.

Cette gauche-là s’est-elle sentie un peu trahie ?

Lorsque nous arrivons au pouvoir, il y a une déception et un soupçon de trahison vis-à-vis de la gauche réformiste. Je réponds que parfois, ‘oui, il y a des déceptions’, mais il vaut mieux encore une gauche qui transforme, conquiert, fait des avancées sociales, même si elle déçoit, qu’une gauche qui reste à la porte du pouvoir.

Certains vous voient déjà comme un recours pour la présidentielle de 2027. Vous y pensez ?

On n’a pas besoin aujourd’hui d’avoir des candidats. Si je me suis réengagé, c’est pour deux raisons : la première, il y avait une menace d’extrême droite, donc je pensais qu’il fallait donner l’exemple et ne pas rester insensible.

Je suis redevenu ce que j’étais avant d’être président. La deuxième raison, c’est que je pense précisément que pour que la gauche redevienne une force de gouvernement et de pouvoir, il fallait qu’elle soit rééquilibrée.

N.K.