[Le Débat] A Marseille, MRS5, le data center de trop ?

Perspective de MRS5. Crédit photo - Digital Realty

En quelques années, Marseille s’est imposée comme un hub numérique mondial, portée par l’essor des data centers de Digital Realty. Mais alors que le projet MRS5 de l’entreprise se dessine, la contestation s’organise. Les opposants dénoncent une emprise massive sur le territoire et ses ressources, tandis que Fabrice Coquio, CEO de Digital Realty, défend un projet en phase avec les enjeux environnementaux et numériques. Le débat.

Le Café des Docks, pile à côté des data centers de Digital Realty (ex-Interxion), n’a pas été choisi par hasard. En une décennie, le leader mondial des centres de données a fait de Marseille une plaque tournante des échanges numériques.

En 2014, la cité phocéenne était encore le 44e hub internet mondial. Aujourd’hui, elle se hisse à la 7e place, avec l’ambition d’entrer dans le top 5 d’ici à l’année prochaine. Rien de moins.

Digital Realty, c’est déjà quatre gigantesques infrastructures (MRS1, MRS2, MRS3, MRS4) implantées sur le site du Grand Port Maritime, hébergeant plus de 200 réseaux télécoms et reliant Marseille à 5,3 milliards de personnes entre l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie-Pacifique.

Mais derrière ces chiffres mirobolants, MRS5, la future infrastructure censée remplacer l’ancien silo à sucre du port d’ici à 2026, dérange. Trop d’expansion ? Trop de pression sur l’environnement ? Digital Realty commence à irriter.

Le dossier MRS5 cristallise toutes les critiques, devenant le symbole d’une question essentielle : jusqu’où peut-on tolérer la croissance effrénée de ces infrastructures sur le territoire ?

L’ex-silo à sucre du port de Marseille va laisser la place au data center MRS5 de Digital Realty (ex Interxion) d’ici 2026. Perspective de MRS5 – Digital Realty

MRS5, le projet de la discorde

Alors que l’enquête publique MRS5 se poursuit jusqu’au 27 septembre, la contestation s’organise. Associations locales (fédération des CIQ du 16e arrondissement, France Nature Environnement 13, de Cap au Nord), élus écologistes, parlementaires du NPF, et citoyens montent au créneau contre ce qu’ils considèrent comme une nouvelle menace environnementale.

« Les data centers sont des méga-ordinateurs qui nécessitent d’énormes quantités d’énergie pour fonctionner, ce qui met en concurrence les besoins des habitants et des services publics », avance le collectif « Le nuage était sous nos pieds », composé de La Quadrature du Net, Technopolice et du collectif des Gammares.

Ils dénoncent l’utilisation excessive des ressources naturelles, notamment l’eau nécessaire au refroidissement des serveurs, et pointent du doigt l’empreinte énergétique colossale de ces infrastructures.

Crédit photo – Le Méridional

Entre innovation technologique et écologie

En face, Fabrice Coquio, patron de Digital Realty France, défend le projet avec des arguments solides. Joint par nos soins, il insiste sur l’innovation appelée « River Cooling » une technologie de refroidissement naturelle qui utilise l’eau d’une galerie minière du XIXe siècle.

« L’eau, naturellement froide à 15°C, est acheminée via un réseau souterrain pour refroidir les data centers. Ce système est 30 fois plus économe en énergie que les solutions traditionnelles », explique-t-il, insistant sur le fait que cette eau, impropre à la consommation humaine, permet de réduire drastiquement la consommation électrique des infrastructures. Le procédé a d’ailleurs été salué par l’Ademe.

Quant à l’impact sur l’écosystème marin, Fabrice Coquio se veut rassurant : « L’eau que nous rejetons dans la mer est à environ 29 degrés, mais avec un débit si faible qu’il n’y a aucun impact significatif. Nous utilisons des capteurs pour surveiller en permanence les rejets, et tout est conforme aux normes environnementales. Les rapports sont régulièrement transmis aux autorités. »

Fabrice Coquio, CEO de Digital Realty France.

Les opposants ne lâchent rien

Les détracteurs ne sont pas à court d’arguments et pointent les bénéfices de ces infrastructures – “installées dans la plus grande opacité” – captés principalement par les grandes entreprises du numérique, tandis que les coûts environnementaux et sociaux sont supportés par les populations locales.

Sébatien Barles aurait préféré voir un centre de logistique décarboné « d’intérêt social » proche des axes routiers à la place de MRS5. Depuis plusieurs années, l’élu écologiste milite pour un moratoire sur le développement des data centers et l’instauration de « critères éco-conditionnels » à l’échelle européenne.

Il va même jusqu’à proposer une taxation basée sur le volume de stockage des données, afin de financer des projets liés à la transition écologique et à l’inclusion numérique. « Ces données ne sont pas de simples marchandises, elles génèrent de la valeur en étant stockées. Le levier fiscal est le seul moyen de taxer un jour les GAFAM », déclare-t-il.

Dans ce sens, Kalila Sevin, députée suppléante de Manuel Bompard (LFI), confirme que le groupe insoumis du NFP à l’Assemblée nationale va se pencher sur la question. « Nous attendons la constitution du gouvernement, le travail est déjà prêt pour la rentrée parlementaire », nous précise-t-elle.

Récupérer la chaleur fatale

Le sujet de la chaleur fatale, cette énergie résiduelle générée par les serveurs, est également sur la table. Pour Sébastien Barles, cette chaleur pourrait servir à alimenter des infrastructures publiques, à l’image du « plan piscine ».

Digital Realty affirme justement travailler sur un projet avec Dalkia pour réinjecter cette chaleur excédentaire dans des réseaux de chauffage urbain, contribuant ainsi à l’économie circulaire locale. « Un de nos projets est de réutiliser cette chaleur pour chauffer des infrastructures comme la future piscine Nord », précise Fabrice Coquio.

En plus de la question de la prédation foncière, l’une des critiques les plus virulentes porte sur le manque de concertation avec le public. Fabrice Coquio assure toutefois que tout a été fait dans les règles : « Nous avons participé à des réunions pendant deux ans, organisées par la préfecture avec toutes les parties prenantes. »

L’avenir s’écrit en périphérie

L’examen minutieux des projets de data centers à Marseille s’est intensifié, notamment avec une commission consultative présidée par Laurent Lhardit, adjoint à l’économie et député socialiste (NFP), à laquelle a été soumis Fabrice Coquio, il y a quelques semaines.

Cette « commission » vise à établir un cadre à la fois municipal et métropolitain, tout en s’inscrivant dans une réflexion nationale et européenne.

Adoptée le 20 octobre dernier, la délibération soutenue par l’ensemble des groupes de la majorité met l’accent sur une meilleure intégration urbaine des data centers, la planification des infrastructures numériques, et de nouvelles solidarités énergétiques locales. Un schéma directeur, développé conjointement par la Ville et la Métropole, encadre l’installation des futurs data centers.

Après de nombreuses consultations, l’État recommande d’ailleurs de privilégier l’implantation des futurs data centers en dehors de Marseille, notamment vers Plan de Campagne, ou Bouc-Bel-Air en raison de la disponibilité foncière et énergétique de la zone.

Un projet déjà bien avancé

Sébastien Barles promet que la Ville apportera une « contribution fine » à l’enquête publique et affirme qu’elle cherche une solution pour « ne pas attribuer le permis de construire ». Lequel doit être conforme au PLUi.

Pourtant, le projet MRS5 semble déjà en bonne voie. « Ce que certains écologistes omettent de dire, c’est que nous avons déjà investi des millions dans le désamiantage et la dépollution de l’ancien bâtiment du silo à sucre. Ce site était un véritable point noir pour la santé publique, et personne avant nous n’avait pris l’initiative de le faire. Nous avons également démoli le site pour repartir sur des bases saines avant de lancer la construction du data center », insiste Fabrice Coquio.

Le chantier devrait se dérouler en plusieurs phases à partir de 2026. Le bâtiment s’étendra sur une surface de 12 000 m2 . Le double de MRS4. Perspectives MRS5. Digital Realty

Commission d’enquête et débat public

Quant à la sélection de Digital Realty pour ce bâtiment inexploité depuis 25 ans, le CEO est catégorique : « Nous avons répondu à un appel d’offres public, en concurrence avec d’autres propositions ».

Un processus « transparent, rigoureux, et respectait 43 critères spécifiques, couvrant les aspects environnementaux, sociaux, économiques et financiers. Après des évaluations précises et des soutenances de projet, Digital Realty a été retenue. Ce n’était pas une décision prise en catimini, c’était un processus totalement public, et tout s’est fait dans le cadre des marchés publics. »

Les organisations de défense de l’environnement envisagent néanmoins de saisir la Commission nationale du débat public pour plus de transparence. Un grand forum est par ailleurs prévu avant la fin de l’année en présence de personnalités telles que Clément Marquet, spécialiste des infrastructures numériques.

Le lieu choisi mais encore attribué ? Le Mucem dont l’un des mécènes est… Digital Realty.

ÉCLAIRAGE

Le débat sur la consommation énergétique des data centers en France est délicat. Alors que le pays reste un exportateur net d’électricité, en partie grâce à ses centrales nucléaires, l’enjeu est la distribution. Cette dernière, gérée par un monopole d’État, est soumise à des délais de raccordement qui peuvent s’éterniser. Accusés de consommer de vastes quantités d’énergie, les data centers n’épuisent pas directement les ressources électriques. Les tensions naissent surtout des retards de raccordement, provoquant parfois des conflits d’usages, avec d’autres projets urbains prioritaires, comme l’électrification des navires à quai, notamment dans des villes comme Marseille, où la demande est en constante augmentation.