Des balles aux larmes, à Marseille, les mères en quête de justice

Samedi 14 septembre, des familles endeuillées ont marché de la Joliette au Palais de Justice, portant haut les noms de leurs enfants tombés sous les balles. Face à une violence qui gangrène Marseille, elles réclament une justice plus rapide.

« C’est nous les Marseillais, nos enfants sont tombés sous les balles. » Ce chant, détourné des tribunes du Vélodrome, résonne autrement cette après-midi-là, entre les pavés de la Joliette et les marches du Palais de Justice.

D’habitude, c’est une ode à la victoire, aux couleurs bleu et blanc de l’OM. Mais aujourd’hui, il parle de mort. De sang versé. D’enfants fauchés par la violence.

À Marseille, les familles ne chantent plus pour la gloire d’un match gagné. Elles crient pour une justice qui n’arrive pas. « Pour la paix dans nos quartiers, » exprime Rabia, en distribuant les drapeaux blancs qui flotteront quelques minutes plus tard dans le ciel marseillais.

Cette Marseillaise de Saint-Mauront, « l’un des quartiers les plus pauvres de Marseille, » garde espoir. « Si on est là, c’est justement parce qu’on croit quand même en cette justice. »

Les visages des disparus

Ce samedi 14 septembre, le soleil haut n’adoucit en rien cette marche organisée par le collectif Alehan, des familles de victimes auxquelles se sont ralliées d’autres associations.

Hamed, Bihal, Pamela, Anita, Nathalie, Louisa… Les visages des disparus, imprimés sur une bâche portée à bout de bras, défilent sous les yeux des passants. Les visages souriants des victimes, figés dans le temps, rappellent à la ville que derrière chaque meurtre, chaque fusillade, il y a des familles, des vies brisées. Ce ne sont pas que des noms dans un rapport de police.

Sur les t-shirts blancs, des messages percutants résonnent : « Elle ne demandait qu’à vivre, une balle en a décidé autrement. » Hommage à Soucayna, fauchée dans l’intimité de sa chambre par une balle perdue de fusil d’assaut, en septembre 2023.

“Justice pour Rayanne” claque en lettres blanches sur un t-shirt noir, cet adolescent de 14 ans, abattu le 18 août 2021, devant la cité des Marronniers (14e).

Laetitia Linon, sa tante, porte la voix de toutes les mères présentes ce jour-là, venues de Marseille, Lyon et même Paris. « J’aimerais qu’aucune autre famille n’ait à revivre ça. » Un vœu pieux dans une ville où la mort frappe trop souvent ?

Les revendications fusent : un statut renforcé pour les victimes, une réponse pénale claire, un vrai accompagnement psychologique, des relogements pour des familles qui vivent sous la menace.

Au printemps 2023, une rencontre avec Emmanuel Macron et Sabrina Agresti-Roubache, alors secrétaire d’État à la Ville et à la Citoyenneté, avait laissé entrevoir un espoir. Depuis ? Silence radio. Remaniement, élections… la politique a pris le pas. Laetitia ne jette pas la pierre pour autant : « Elle [Sabrina Agresti-Roubache] nous a aidés pour reloger certaines familles. »

Le retour de la police de proximité ?

Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avait promis des renforts. Certes, ils sont arrivés. Mais ici, ils sont invisibles. Quant à l’opération « Place nette » XXL organisée en grande pompe en mars 2023, elle a permis d’arrêter des têtes, mais le trafic a vite repris ses droits. « Les arrestations, c’est bien, on est contents quand ça arrive, mais après ? Les trafics reprennent. »

Alors le retour de la police de proximité, celle des « grands frères » démantelée sous Nicolas Sarkozy, refait surface dans les débats. « Ce n’est pas la solution miracle, » concède Laetitia, « mais au moins, il y avait du lien, de la communication. »

Dans le cortège, Amine Kessaci, fondateur de l’association Conscience, créée en mémoire de son frère, pointe les limites d’une politique répressive et milite d’ailleurs pour le retour de la police de proximité. « C’est ce qui va permettre à la République d’être de nouveau présente dans ces quartiers populaires, mais ce n’est pas la solution ultime« , concède le militant politique, candidat écologiste à Marseille aux récentes législatives.

Si la marche se veut apolitique, les élus de la majorité municipale à l’instar d’Hervé Menchon et Hedi Ramdan, ou encore la sénatrice socialiste Marie-Arlette Carlotti viennent grossir les rangs. Aucun membre de la droite n’est représenté.

L’insoumis Sébastien Delogu, sous les feux des critiques sur X ces derniers jours, rappelle les tentatives à l’Assemblée nationale : « On a créé des propositions de loi pour renforcer les moyens de la police judiciaire et des magistrats, mais elles ont été refusées par les Macronistes et le Rassemblement national. Madame Agresti-Roubache et Monsieur Macron sont venus. Ils ont fait comme d’habitude : ils ont envoyé un peu des paillettes dans les yeux des gens, puis ils sont partis. Et il ne s’est rien passé depuis.”

Sur le parvis du Palais de Justice, la symbolique du crime

Symboliquement, la marche a rejoint le Palais de Justice, convergeant avec une autre mobilisation : celle en soutien à Gisèle Pélicot, victime de viols perpétrés par 51 hommes et dont le procès se tient actuellement dans le Vaucluse.

Le choc des luttes renforce la détermination des manifestants. « On est là pour toutes les victimes, de la violence, des viols, des armes. Le combat est le même, » glisse-t-on dans la foule.

Sur les marches du palais Monthyon, une scène de crime reconstituée : des silhouettes noires découpées, posées à même le sol, numérotées, rappelant les drames qui rongent les quartiers nord. Un panneau, impitoyable dans sa simplicité, résume tout : « On est tous des cibles, personne n’est à l’abri. » Mais ici, personne ne veut que les noms s’effacent, que les vies sombrent dans l’oubli.

Le “quoi qu’il en coûte” pour la justice

Aujourd’hui, les voix s’élèvent. Pour la première fois, des mères endeuillées osent briser ce mutisme : « La justice est trop longue pour les mamans, » murmure calmement la mère de Soucayna, son autre fille à ses côtés. « Il faut que la loi change. Un mineur, sa place est à l’école, pas avec une kalachnikov. »

La justice est trop lente, trop théorique, trop éloignée des réalités du terrain. Ce que ces familles réclament, c’est une action concrète. Elles demandent au gouvernement de prendre au sérieux les doléances des collectifs, de donner à la police judiciaire les moyens nécessaires pour agir, et de mettre fin à ce sentiment d’impunité qui règne autour des criminels.

« Il faut pratiquer le quoi qu’il en coûte, » tonne une combattante au mégaphone. « Le quoi qu’il en coûte pour la sécurité, pour la justice, pour que plus jamais quelqu’un n’ait à subir la violence ou la mort d’un proche. Nous avons besoin d’une véritable réponse pénale. On ne peut pas perdre quelqu’un et voir les assassins continuer à vivre leur vie tranquillement. »

Une commission d’enquête parlementaire a bien été ouverte, mais elle n’a fait que mettre en lumière la faiblesse des moyens accordés à la police et à la justice. Certains parlent déjà de « guerre perdue, » de « narco-état. » Mais personne ne veut s’y résoudre ici : « Moi, je crois que rien n’est perdu. Nous avons encore foi en la justice, en nos institutions. Il n’y a qu’une seule catégorie de victimes, et elles méritent toutes justice. »

Alors que la mobilisation s’achève, la pancarte d’un jeune garçon résonne comme un écho sous le drapeau tricolore qui flotte dans le ciel : « Chaque jour sans toi est un rappel de la cruauté du monde. Ton souvenir nous inspire à chercher la justice. » Une promesse tacite partagée par tous ici : tant qu’il restera une voix pour se lever, le combat pour la justice continuera.

Texte et photos N.K.