À la veille du coup d’envoi de la dixième édition du Delta Festival, Le Méridional s’est posé avec Matthieu Predal, le cerveau derrière l’événement. Dix ans de galères, de moments de grâce, et d’évolutions pour transformer une idée en l’un des plus grands festivals de France. Retour sur une aventure qui n’a rien lâché.
Le Delta Festival s’apprête à souffler ses 10 bougies sur les plages du Prado. Bien plus qu’un simple rassemblement musical avec un line-up qui envoie du lourd, le festival marseillais se distingue par son engagement avec le Monde des possibles, un forum dédié à la jeunesse.
Entre deux rendez-vous sur une terrasse du cours Estienne d’Orves, près du Vieux-Port, Matthieu Predal, son fondateur, nous a confié les dessous de dix années de défis, de galères, et de moments de pure fête.
Quand tu regardes dans le rétro, dix ans après la première édition du Delta Festival, qu’est-ce que tu vois ?
J’ai l’impression d’avoir vécu quarante éditions en dix ans. Chaque année, il se passe tellement de choses entre chaque édition. C’est un travail de préparation énorme, tout au long de l’année, que ce soit pour la communication, la programmation des artistes, l’amélioration des process en production, en logistique, ou la gestion budgétaire.
Organiser un festival à Marseille, en plein centre-ville, sur les plages, offre de nombreux avantages, mais il y a aussi des défis. On doit être attentifs aux voisins, ce qui nous tient à cœur. Il faut aussi réfléchir à la façon de fermer la circulation, d’organiser les flux pour que les festivaliers qui quittent le Delta soient en sécurité. La sécurité autour de la baignade est aussi un enjeu majeur.
Enfin, il y a le contexte global, qui peut vraiment impacter un événement de cette envergure. Que ce soit les JO, le Covid, ou des attentats qui se produisent à Paris ou à Nice, tout cela a un impact direct sur Marseille…
C’était quoi ton parcours avant de te lancer dans l’aventure du Delta Festival ? Et surtout, qu’est-ce qui t’a poussé à monter un festival comme celui-là, ici, à Marseille ?
Le Delta, c’est bien plus qu’un simple festival à Marseille ; c’est un projet unique en France, voire en Europe. On a réussi à combiner un festival de musique avec le Monde des possibles, un immense forum jeunesse qui réunit plus de 700 acteurs, associations et ONG pour échanger avec les jeunes.
Avec Olivier Ledot, on a lancé le festival quand on était encore étudiants : moi à Lyon, lui à Marseille. On est tous les deux marseillais, et l’idée, c’était de créer un événement ici, à Marseille, où les jeunes pourraient se rassembler, être fiers de se retrouver, et discuter de sujets bien plus larges que la musique.
La musique, c’est notre passion, évidemment, mais on voulait aller plus loin en proposant des villages thématiques autour de l’environnement, la santé, la jeunesse, l’entrepreneuriat, l’emploi… Notre envie de départ, c’était vraiment de mettre en lumière les jeunes qui s’engagent, de faire briller la jeunesse marseillaise, d’abord sur le territoire, mais aussi au niveau national, tout en faisant rayonner Marseille.
Pourquoi avoir choisi une programmation aussi éclectique, plutôt que de suivre une seule direction musicale ?
L’idée du Delta Festival, c’est d’attirer tous les jeunes, peu importe ce qu’ils écoutent. On veut les faire venir, les plonger dans l’univers du Monde des possibles, dans celui du Delta.
Pour ça, il faut une programmation variée. Un jeune qui écoute du rap ne viendra pas s’il n’y a pas de rap. On n’est pas là pour défendre une seule esthétique ou satisfaire uniquement les fans d’un style. On est là pour les jeunes, tous les jeunes.
Cette année, en tête d’affiche, il y a SCH, le rappeur marseillais. C’était important pour vous de l’avoir pour les dix ans ?
Carrément. Le thème des dix ans, c’est Marseille, pour montrer l’importance de notre ancrage ici, sur les plages du Prado. Avoir SCH, c’était évident pour nous. On est super contents qu’il ait dit oui.
Il va faire un concert de fou sur les plages. On veut montrer que la culture marseillaise s’étend, qu’elle rayonne, et c’est grâce à des artistes comme SCH.
Cette année, côté techno, il y a un large panel avec des artistes comme Justice, Acid Arab, mais aussi des noms moins connus comme Popof, Ka:ast, Trym. Est-ce qu’il y a une dominante musique électronique dans la programmation par rapport aux autres genres ?
Le Delta s’est construit autour des musiques électroniques, et cette identité est toujours bien présente. On veut que ça continue comme ça. On est clairement l’un des plus gros festivals de musique électronique en France, que ce soit par la programmation ou la jauge de fréquentation.
Je ne sais pas si c’est plus ouvert sur la techno que les autres années, mais on a toujours eu des stars, des grands noms de la techno à chaque édition.
Quelques milliers de festivaliers à 150 000 lors des dernières éditions ! Comment expliques-tu ce succès ?
Je pense qu’il y avait un vrai besoin à Marseille d’avoir un événement comme celui-là pour les jeunes. Il y a un public, à la fois local et national, et on est très intégrés dans les milieux étudiants. On est en contact avec plus de 350 associations à travers la France.
Notre objectif est d’attirer ce public, cette tranche d’âge, pour qu’ils viennent découvrir le Monde des possibles et participer au plus grand rassemblement jeunesse à Marseille. Cet aspect nous aide à développer l’impact, la communication, et donc, à augmenter les jauges du festival.
Je pense aussi que le concept unique, festival plus Monde des possibles, plaît énormément. Les retours sont très positifs, que ce soit sur l’expérience des festivaliers ou sur l’image de marque.
Le Delta a une image très engagée, et on y tient. Cette dynamique, où le Delta Festival met en avant le Monde des possibles pour promouvoir des projets, des assos, des jeunes qui s’engagent, fonctionne vraiment bien, et le public le reconnaît.
C’est quoi les vrais objectifs derrière Le Monde des Possibles ?
On pense qu’organiser un événement culturel est quelque chose d’extraordinaire. Il existe de nombreux festivals de musique, chacun avec sa propre identité, mais on s’est dit que, tant qu’à organiser un festival qui rassemble autant de jeunes et qui a un tel impact, autant en profiter pour diffuser des messages positifs.
Qu’est-ce qui vous a poussé à ajouter cette dimension au Delta Festival ?
L’idée était de créer du lien entre des mondes qui ne se parlent pas assez, en connectant la jeunesse avec les institutions et les entreprises. On voulait insuffler un supplément d’âme à notre événement culturel.
Le Monde des possibles et le Delta ont pour mission de bâtir des ponts entre la jeunesse et le monde économique. L’objectif, c’est de montrer aux entrepreneurs, grands patrons et chefs d’entreprise que les jeunes ne sont pas seulement là pour faire la fête.
Ils savent s’amuser, bien sûr, mais ils sont aussi capables d’apprendre, de se connecter, de développer une envie de travailler et d’aimer ce qu’ils font. On cherche à briser les préjugés de part et d’autre.
Notre ambition est de provoquer des rencontres, pour que les jeunes réalisent qu’une entreprise n’est peut-être pas aussi mauvaise que sa réputation le suggère, ou qu’une institution n’est pas aussi poussiéreuse qu’on pourrait le croire. C’est important de démonter ces clichés pour que chacun puisse voir l’autre sous un nouveau jour.
Parmi les associations, il y a Clean my calanques, très active sur le terrain et habituée à faire le lien entre public et engagement. Comment se passe votre collaboration ?
On partage la même philosophie sur ces questions. Clean my calanques est très ouverte au monde culturel, tout comme nous le sommes envers les associations environnementales. On partage ces valeurs. On aime intervenir sur leurs événements, les soutenir, envoyer des bénévoles via notre Delta Family.
Eux aussi aiment venir au Delta, rencontrer notre public, monter sur scène, mettre l’ambiance tout en faisant passer des messages. Comme nous, ils croient à l’idée que des événements à l’énergie positive sont un excellent vecteur pour transmettre des messages.
On pense que les gens sont bien plus réceptifs quand ils sont en train de kiffer leur vie, plutôt que lorsqu’on essaie de leur faire peur ou de leur dire que tout va mal. Le message passe mieux dans un état d’esprit ouvert et positif.
Si on parlait argent ! Comment finance-t-on un festival comme le Delta ?
La structure financière repose à 60 % sur la billetterie, 30 % sur les consommations sur place (merchandising, buvette, food trucks…) et 10 % entre les subventions et les sponsors privés.
Financer un Delta, c’est déjà un défi en soi, mais ce n’est pas la même chose de financer une première édition et une dixième. Avec la croissance qu’on a connue, même si la répartition reste à peu près la même, les montants, eux, ont bien évolué.
Cette année, on est sur un budget de 9,5 millions d’euros pour le Delta, 11 millions si on inclut tous les événements que nous organisons en plus des cinq jours principaux.
Mais dans le milieu de la culture et du spectacle vivant, la trésorerie est un vrai sujet. Il faut réussir à jongler entre la vente de billets en avance, les sponsors qui soutiennent, et les acomptes à verser aux prestataires. C’est un véritable numéro d’équilibriste.
L’an dernier, vous avez dû annuler deux jours à cause de la météo. Comment tu as géré ce coup dur avec ton équipe ?
Ça a été un vrai casse-tête. On a dû annuler le samedi soir et le dimanche. Comme on avait déjà assuré la majeure partie du show le samedi, on n’a pas pu obtenir d’assurance pour cette journée-là.
Le dimanche, en revanche, on était couverts. Mais avant de pouvoir prouver les pertes, rassembler toutes les factures, fournir les justificatifs, et échanger avec l’assurance, il a fallu énormément de temps avant d’obtenir un premier acompte, puis le versement final.
C’était une période vraiment compliquée, mais on s’en est sorti. Cette dixième édition s’annonce fabuleuse. L’année a été dure pour nous, mais aujourd’hui on est content. Une fois ce Delta terminé, on sera plus forts que jamais, puissance 1000.
Les JO vous ont obligés à décaler le festival de fin août à début septembre. Ça change quelques chose ?
Ce serait mentir de dire que non. On est un festival d’été, un festival de vacances, et notre public est majoritairement composé de jeunes en vacances. 90% des gens viennent pour s’amuser, sans penser à la rentrée.
Passer en septembre a un impact, c’est sûr. Ce n’est plus les vacances, c’est la rentrée. Notre objectif est de revenir sur une période de vacances dès l’an prochain.
La cohabitation avec les JO s’est bien passée, donc pas de problème de ce côté-là. Cette année, on va un peu encaisser, car septembre est moins favorable pour nous, mais on fera avec.
Tu attends un peu moins de monde, du coup ?
Je ne sais pas. On fera le bilan le jour J. Pour l’instant, on s’amuse pas mal avec des blagues sur le fait que ce soit la rentrée, qu’on veut prolonger l’été au maximum. Mais quoi qu’il arrive, on reviendra sur les plages du Prado, pendant la période estivale, parce que c’est ce que notre communauté veut.
Justement, en termes de localisation du festival, il a été évoqué que vous pourriez être déplacés à l’Hippodrome. C’est quoi la situation sur ce point ?
Notre volonté, c’est que le Delta Festival reste sur la plage, et il le restera. À un moment, l’Hippodrome a été une possibilité, mais ce n’est plus d’actualité. Le Delta, c’est sur la plage du Prado à Marseille. C’est là qu’il est né, et c’est là que notre communauté l’attend. L’an prochain, on sera normalement encore sur la plage.
Tu vois quoi pour l’avenir du Delta dans cinq ou dix ans ?
On est un festival en plein cœur de la ville, donc nos partenaires sont impliqués dans les décisions. Est-ce qu’on veut grandir, ajouter plus de scènes, plus d’artistes, étendre le Monde des possibles, ou multiplier les événements tout au long de l’année ? Ou est-ce qu’on laisse le Delta tel qu’il est et on développe d’autres projets ailleurs ?
Ce sont des questions qu’on se pose en interne avec nos partenaires. Mais je ne suis pas inquiet, le festival a encore de belles années devant lui.
Sur ces dix années, y a-t-il une édition qui t’a particulièrement marqué ?
2021, sans hésiter. Après une année 2020 sans festival, enfermés chez nous, c’était horrible. En 2021, on a fait deux éditions : d’abord Ensemble sur les plages, le premier concert debout de France après le confinement, c’était une bouffée d’air. Puis deux mois plus tard, la grosse édition du Delta sur trois jours. On est devenus le plus gros festival de France à ce moment-là.
Ce qui m’a marqué, c’est qu’on était encore une petite structure, mais super agile. On a bossé comme des fous pour sortir ça après un an et demi de galère avec le Covid. Les festivaliers et les partenaires n’en revenaient pas qu’on ait réussi à organiser ça alors que tant d’événements étaient annulés. Ils nous disaient que ça faisait un bien fou, après un an sans sortir ni voir personne.
Green Delta : un engagement écoresponsable. Le Green Delta regroupe l’ensemble des mesures prises pour réduire l’impact environnemental du festival. Que ce soit en matière de réduction des émissions de carbone, de gestion des déchets, ou de pollution sonore, chaque année, le festival s’efforce d’améliorer ses pratiques. Par exemple, depuis trois ans, l’eau est gratuite sur le site, supprimant ainsi les bouteilles en plastique, malgré la perte financière. Une fois une mesure adoptée, il n’y a pas de retour en arrière.
Rudy Bourianne