L’Étang de Berre, laboratoire de la ville de demain

Vitrolles - Etang de Berre / Crédit photo : Yara Lestel

Face à la pression industrielle et aux enjeux écologiques, l’Étang de Berre se transforme en un terrain d’expérimentation pour les futurs architectes. 140 étudiants ont exploré de nouvelles façons de réconcilier urbanisation, mobilité durable et préservation de l’environnement sur ce territoire complexe et stratégique. Leurs propositions servent désormais de laboratoire d’idées pour la Métropole Aix-Marseille-Provence.

A la fin de l’été 2023, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille a organisé un workshop hors norme en collaboration avec la Métropole Aix-Marseille-Provence. Pendant deux semaines, 140 étudiants en architecture ont relevé un défi de taille : réimaginer l’Étang de Berre. Ce territoire industriel marqué par l’histoire, mais fragilisé par les crises écologiques, est devenu l’épicentre de réflexions sur l’avenir urbain et environnemental du territoire.

Encadrés par des architectes venus du monde entier — du Japon au Brésil, en passant par la Belgique, le Danemark, les États-Unis et plusieurs villes de France — ces futurs architectes ont bénéficié d’un encadrement international et multidisciplinaire. Leur mission : proposer des visions audacieuses et novatrices pour l’Étang de Berre, offrant un aperçu de ce que pourrait devenir cette lagune industrielle et naturelle au cœur de la Provence.

LE CONTEXTE



Le projet inspiré de Le Corbusier : un immeuble linéaire pour 29 000 logements

Parmi les projets les plus marquants, l’un s’inspire des idées de Le Corbusier, mais les réinterprète pour répondre aux défis contemporains. Ce projet propose la construction d’un immeuble linéaire, s’étendant sur plusieurs kilomètres à travers le plateau de l’Arbois et la cuesta de Vitrolles, en suivant les reliefs naturels du terrain. Reprenant les principes de la cité-jardin verticale, cette structure multifonctionnelle offrirait jusqu’à 29 000 logements, tout en intégrant des espaces de travail, de loisirs et des commerces.

Les étudiants ont imaginé un bâtiment modulaire et adaptable, respectant les principes de durabilité : toits végétalisés, façades verdoyantes et gestion optimisée des ressources. « Nous avons voulu réinventer l’idée de la cité-jardin de Le Corbusier pour l’adapter aux exigences écologiques et sociales d’aujourd’hui », explique un des participants au projet.

Cet immeuble linéaire vise à créer une véritable ville dans la ville, avec des rues intérieures et des connexions multiples aux infrastructures environnantes. Ce concept de « ville poreuse » renforce la mixité d’usages tout en assurant une meilleure connectivité entre les différents pôles urbains de la région.

Redonner vie au Canal du Rove : symbole d’une réactivation du patrimoine

Le Canal du Rove, fermé depuis 1963, pourrait bientôt connaître une nouvelle vie. Pour les étudiants, la réouverture de ce lien historique entre la Méditerranée et l’Étang de Berre symbolise le retour des mobilités douces et maritimes dans la région.

Loin de se limiter à un projet de transport, le canal deviendrait un véritable corridor vert, accueillant cyclistes et piétons le long de ses berges. Une réactivation qui redonne du souffle au territoire, tout en reconnectant les communes autour de l’étang.

« La réouverture du canal du Rove renforce la mobilité maritime au sein de la métropole en reliant Marseille aux communes de l’étang. Il apporte le sel nécessaire à l’équilibre du milieu marin », peut-on lire dans leur analyse du projet.

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Une gare maritime pour désenclaver l’étang

Autre idée forte : l’installation d’une gare maritime à Vitrolles. Un projet qui vise à fluidifier les déplacements entre les différentes communes bordant l’Étang de Berre. « La création d’une gare maritime à Vitrolles et sur plusieurs autres communes permet de sillonner les villes qui perlent le littoral. »​

Avec un réseau de bateaux-bus, les rives de l’étang pourraient être reliées à Marseille, réduisant ainsi la dépendance à la voiture et désengorgeant les routes surchargées. Ce mode de transport alternatif s’inscrit dans une démarche de mobilité durable, tout en renforçant l’attractivité touristique du territoire.

Densification urbaine : redonner sens à l’existant

Face à la pression démographique, les étudiants proposent de densifier intelligemment les zones industrielles et résidentielles autour de l’Étang de Berre.

Plutôt que d’étendre encore les villes, ils suggèrent de surélever les bâtiments industriels et réaménager les friches urbaines, notamment dans des zones d’activités comme les Estroublans. L’objectif est de maximiser l’utilisation des sols déjà construits. « La restructuration du secteur [des Estroublans] passe par une intensification des logements, des emplois et l’ajout de nouveaux aménagements. »​

Des bureaux et des espaces publics tout en préservant les espaces naturels alentour. L’approche vise à redonner du sens à l’existant, en intégrant des critères écologiques et durables dans le développement urbain.

Les bâtiments actuels seraient ainsi optimisés pour répondre aux besoins actuels sans pour autant empiéter sur les ressources naturelles.

Une réponse écologique à la crise de l’eau

L’Étang de Berre, fragilisé par des décennies de rejets industriels et de déséquilibres hydrologiques, pourrait voir son écosystème restauré grâce à la création d’une digue. Ce barrage, imaginé par les étudiants, permettrait de réguler la salinité des eaux et de stabiliser l’écosystème, tout en offrant de nouvelles terres constructibles.

En gagnant 140 km² de superficie, cette digue deviendrait un socle pour des milliers de nouveaux logements. Ce projet incarne une symbiose entre écologie et urbanisation, montrant qu’il est possible de développer des infrastructures résilientes tout en respectant l’environnement.

« Une digue en retenant l’eau douce rejetée par la centrale EDF joue également un rôle majeur dans le rééquilibrage du taux de salinité. Reliant les communes de St Chamas et Berre-l’Étang, elle est le socle d’un nouveau mode de vie comprenant logements et divers usages et permet de gagner 140 km² d’espace au sol à bâtir, développant ainsi un potentiel constructible de 8000 logements. »

Zones tampons et corridors écologiques pour respirer à nouveau

Pour renforcer la biodiversité locale et lutter contre les risques environnementaux, les étudiants ont également proposé la création de zones tampons et de corridors écologiques. « Les interventions visent à renouer avec l’étang, à l’imaginer comme un paysage spécifique et intense de la Provence, tout en requalifiant les espaces ouverts pour structurer un cadre écologique durable. »

Ces espaces verts permettraient de relier les habitats naturels fragmentés, tout en assurant une meilleure gestion des flux d’eau et en protégeant les zones contre les inondations.

En parallèle, ces zones tampons offriraient aux habitants des espaces de détente et de loisirs, renforçant ainsi le lien entre la nature et la ville. En restaurant ces espaces, les architectes en devenir montrent qu’il est possible de repenser l’urbanisation en harmonie avec l’environnement.

Une plateforme flottante pour réinventer l’urbanité sur l’eau

Dans un geste aussi audacieux que poétique, les étudiants ont imaginé une plateforme flottante au cœur de l’Étang de Berre. « Au centre de l’étang se tient une plateforme flottante vectrice d’activités culturelles et de rencontres », expliquent les étudiants. Ce lieu hybride serait un espace de rencontres sociales et culturelles, intégrant pleinement l’eau dans le paysage urbain.

Concerts, marchés flottants, installations artistiques : cette plateforme deviendrait un centre névralgique d’animations et d’événements pour les habitants des villes environnantes.

Cette structure flottante serait aussi une réponse aux enjeux climatiques, en testant de nouvelles formes d’urbanité adaptées à la montée des eaux. En imaginant l’eau comme un espace de vie et de culture, les étudiants invitent à repenser l’étang non plus comme une barrière, mais comme un lieu à réinvestir.

Polder et « Miami Provençal » : entre utopie et ambition

Autre projet radical : la construction d’un quartier entier sur un polder, capable d’accueillir jusqu’à 38 000 logements. En créant ces terres sur l’eau, les étudiants proposent une alternative à l’étalement urbain, tout en répondant à la demande croissante de logements. « Un ‘Miami Provençal’ sur les berges de l’étang de Berre (Airbus Beach) viendrait développer le tourisme. »

Le concept d’un « Miami Provençal », où les berges de l’étang deviendraient un lieu de villégiature et de développement touristique, complète cette vision ambitieuse d’un futur où économie, urbanisme et écologie se rencontrent.

Un laboratoire d’idées pour la Métropole

Soutenant cette initiative, la Métropole Aix-Marseille-Provence voit dans ce workshop une opportunité de sortir des sentiers battus. Les propositions des étudiants, bien qu’audacieuses et parfois utopiques, apportent une fraîcheur et une créativité qui manquent souvent aux projets urbains traditionnels. « De ce point de vue, la Métropole ‘commanditaire’ en sort enrichie par les 12 projets », précise le rapport.

Elles permettent d’envisager de nouveaux modèles urbains, où densification et préservation environnementale cohabitent, tout en intégrant des solutions aux problématiques de mobilité, de gestion des ressources, et d’adaptation au changement climatique.

Pour la Métropole, ces travaux servent de laboratoire d’idées. Bien que toutes les propositions ne soient pas immédiatement réalisables, elles offrent une source d’inspiration pour développer des projets concrets, mieux adaptés aux réalités locales.

En intégrant des concepts tels que la réouverture du Canal du Rove, la création de transports maritimes ou la densification des zones urbaines existantes, l’enjeu est d’enrichir l’approche de l’intercommunalité pour les futurs plans de développement et d’envisager un avenir plus durable et résilient pour l’Étang de Berre et ses environs.

Yara Lestel