Alain Delon et Marseille, destins croisés

Disparu à 88 ans, Alain Delon laisse derrière lui une carrière légendaire marquée par son attachement à Marseille. De Borsalino à Fabio Montale, l’acteur a forgé un lien indéfectible avec la ville et ses figures mythiques, entre lumière et ombre, cinéma et réalité.

Alain Delon s’est éteint à 88 ans dans la nuit du dimanche 18 août 2024, laissant derrière lui une carrière légendaire, façonnée par des rôles emblématiques et une relation unique avec Marseille.

Ville méditerranéenne, rugueuse et solaire, Marseille a servi de décor à certains de ses plus grands films, mais aussi de théâtre personnel à une amitié improbable avec Jacky Imbert, alias « le Mat », truand marseillais de renom.

Dans la vie comme au cinéma, Delon incarnait ces personnages entre ombre et lumière, tiraillés par un code d’honneur aujourd’hui révolu.

Des films gravés dans la mémoire collective

Marseille, cette ville mythique, où le soleil cogne sur les pavés usés et où la mer emporte les secrets, aura été bien plus qu’un simple plateau de tournage pour Delon.

Elle est devenue le miroir d’une époque, celle des hommes aux visages burinés, des histoires que l’on murmurait à l’ombre des ruelles du Panier. C’est là que Delon a tourné Borsalino en 1970, un film gravé dans la mémoire collective, où il partage l’affiche avec Jean-Paul Belmondo.

Dans ce polar devenu culte, les deux géants du cinéma français incarnent des truands charismatiques, des hommes sans concessions, dans un Marseille des années 1930 restitué avec un réalisme saisissant.

Une amitié improbable dans l’ombre

Delon ne s’est pas contenté de donner vie à des personnages fictifs dans cette ville. Dans l’ombre, il entretenait des relations ambiguës avec le monde interlope, illustrées par sa longue amitié avec Jacky Imbert, figure redoutée de la pègre marseillaise.

Ensemble, ils ont partagé une complicité nourrie par une admiration mutuelle pour des valeurs que Delon résumait ainsi : « Le sens de l’honneur, de l’amitié. Le respect. » Une amitié qui aura duré près d’un demi-siècle, malgré les vies parallèles de ces deux hommes que tout semblait opposer.

C’est à Pigalle, dans les années 1950, que Delon commence à fréquenter des figures du milieu. Dans les bars où se mêlent truands et artistes, le jeune acteur se forge une personnalité à part. Pendant ce temps, Jacky « le Mat », ce fils d’ouvrier qui rêvait de grandeur, gravit les échelons du crime marseillais.

Leur rencontre, sur les Champs-Élysées dans les années 1960, scelle une relation d’une rare intensité. Jacky Imbert devient le grand frère protecteur d’Alain Delon, prêt à intervenir à la moindre anicroche. Ensemble, ils évoluent dans un monde où les hommes règnent par la force et la ruse, où les alliances se forment dans l’ombre.

L’acteur, quant à lui, brille à l’écran. Derrière la caméra, c’est un homme de fidélité, attaché à ses amis du milieu, ceux qu’il a connus à Pigalle ou dans les rues de Marseille. La série Fabio Montale, tournée en 2001, marque un nouveau retour à Marseille.

Alain Delon y incarne un commissaire désabusé dans une ville qu’il aime autant qu’il la craint. Encore une fois, la cité phocéenne devient un personnage à part entière, imprégnant l’écran de sa lumière crue et de ses mystères.

Un lien profond avec la Provence

Et puis, il y a eu la Provence, cet écrin paisible où Delon s’était retiré, loin des tumultes de Paris. Avec Mireille Darc, il avait trouvé refuge à Aix-en-Provence, non loin de cette Marseille qu’il continuait de fréquenter, entre tournages et visites à des amis parfois peu recommandables.

C’est aussi à Aix qu’il partageait des moments avec Jacky le Mat, qui, à l’époque, s’était reconverti dans l’élevage de chevaux. Là, loin des projecteurs, leurs liens se resserraient encore, entre confidences et moments de complicité.

En ce dimanche 18 août, Marseille se souvient. La ville qui a vu Delon marcher dans ses rues, tourner sur ses quais et tisser des liens avec des hommes de l’ombre est touchée par la disparition de l’un des derniers géants du cinéma français.

Mais elle se souvient aussi de ce Delon humain, complexe, attaché à un certain code de conduite, à cette idée presque romantique de l’amitié et du respect, même dans les bas-fonds.

Le temps est passé, les kalachnikovs ont remplacé les revolvers, les jeunes caïds ont pris la place des « beaux mecs » de l’époque. Mais le souvenir de Delon, tout comme celui de Jacky le Mat, flotte encore sur la ville.

« My Way »

Un mythe cinématographique d’un côté, une légende du grand banditisme de l’autre. Deux hommes, deux destins, et une ville qui, malgré tout, continue d’exister à travers eux. Marseille ressent aujourd’hui la disparition d’un homme qui aura incarné, à l’écran comme dans la vie, la grandeur et la décadence d’une époque révolue.

Autour du cercueil de Jacky, en 2019, les Gitans avaient joué « My Way », de Sinatra. Aujourd’hui, c’est peut-être la ville tout entière qui fredonne cette mélodie en hommage à Delon. Un adieu, mais aussi une révérence à celui qui, des feux de la rampe aux ruelles de Marseille, aura finalement su rester fidèle à lui-même, jusqu’au bout.

Yara Lestel