Jeux de pouvoirs, les ombres des anneaux olympiques

La Concorde Paris 2024 / Julien Fritsch

Alors que s’ouvrent les Jeux olympiques de Paris 2024, Marseille, en qualité de ville hôte, accueille certaines épreuves. Bien que populaire, cet événement mondial soulève des débats sur la souveraineté nationale et les droits des citoyens, révélant les défis démocratiques engendrés par les pouvoirs étendus du Comité International Olympique (CIO).

Les Jeux Olympiques de Paris 2024, qui voient également Marseille comme ville hôte, suscitent des débats peu mis en lumière concernant la souveraineté nationale et les droits fondamentaux des citoyens. Signé en 2017 à Lima, le « Contrat de Ville Hôte » confère au CIO des pouvoirs étendus, traditionnellement réservés à l’État, entraînant ainsi des inquiétudes sur plusieurs plans.

Le contrat initial, ou « procédure d’acceptation des candidatures », est un guide pour les villes, mais le CIO se réserve le droit de modifier les exigences à tout moment. Le contrat est signé par le CIO, la ville hôte, le Comité National Olympique (CNO), et le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (COJO). Divers acteurs (spectateurs, sponsors, médias) bénéficient indirectement du contrat de ville hôte, mais aussi des tiers obligés comme les administrations publiques.

En 2016, Jean-Michel Marmayou, directeur du Centre de Droit du Sport de l’Université Aix-Marseille (FDSP – AMU), a interrogé la validité juridique du Contrat de Ville Hôte dans une publication universitaire. À l’époque, l’universitaire soulignait les difficultés rencontrées pour mener des recherches sur le sujet, en déclarant que « le CIO ne communique que les contrats signés il y a plus de 20 ans ».

Suspension du droit à manifester

Dans les grandes lignes, l’un des aspects les plus controversés du contrat est la restriction du droit de manifester Un droit fondamental en France. Selon l’article 14 du contrat, toutes demandes de manifestation « dans la Ville hôte même, dans ses environs ou dans les villes accueillant d’autres sites de compétition ou dans leurs environs » seront soumises à un accord préalable du CIO.

Cela englobe également les conférences ou réunions majeures pouvant impacter les Jeux. Ainsi, Paris et Marseille, entre autres villes hôtes, se voient obligées de subordonner ce droit fondamental à une entité internationale, ce qui suscite des interrogations sur les limites de la souveraineté nationale.

« Il n’y aura pas d’interdiction de manifestation générale. Il s’agit d’avoir comme souci principal la garantie de la sécurité de chacun, la conciliation des libertés, » nous précise à ce titre Pierre-Edouard Colliex, préfet de police des Bouches-du-Rhône, en marge de la présentation du dispositif de sécurité exceptionnel déployé pour ces Jeux. Les manifestations déclarées dans le cadre de la loi auront toutes leur place, mais pas à l’entrée du stade Vélodrome, ni à l’entrée de la Marina Olympique. »

Le CIO, arbitre de la sécurité

La sécurité durant les Jeux est également sous le contrôle direct du CIO. Conformément à l’article 17.3 du contrat, les villes hôtes doivent rendre compte régulièrement au CIO des questions de sécurité et suivre ses recommandations. « La sécurité est la responsabilité de l’État qui exerce pleinement sa compétence, mais c’est un travail collectif », plaide toutefois Pierre-Edouard Colliex.

Exemptions fiscales étendues

Le contrat accorde aussi des exemptions fiscales significatives au CIO et aux participants des Jeux. Les articles 22.2 et 22.4 précisent que le COJO (Comité d’Organisation des Jeux Olympiques) jouira pleinement des ressources mises à sa disposition sans être soumis à des impôts directs ou indirects en France.

De plus, les athlètes et autres personnels non-résidents du pays ne seront pas soumis à l’imposition sur les revenus générés durant les Jeux. Cette disposition, bien que favorable aux participants, soulève des questions sur l’équité fiscale et les implications pour l’économie locale.

Sur le plan commercial, le CIO exerce un contrôle strict. Les autorités locales et nationales doivent s’abstenir d’engager des activités commerciales en lien direct ou indirect avec les Jeux, sauf autorisation expresse du CIO (article 24.4). Cette clause place le COJO au-dessus de l’État en matière de gestion des opportunités commerciales, restreignant ainsi la liberté économique des acteurs locaux.

Collecte et utilisation des données

Enfin, le contrat prévoit la collecte et le transfert de données des utilisateurs au CIO. L’article 32 oblige le COJO à transférer au CIO toutes les données collectées en relation avec l’expérience des spectateurs et les médias numériques, sans frais supplémentaires. Cette collecte massive de données, facilitée par le nombre de billets vendus pour Paris 2024 (8,8 millions à ce jour), pose des questions importantes sur la confidentialité et la protection des données personnelles.

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Un défi démocratique

L’attribution de ces pouvoirs au CIO, allant de la sécurité à la fiscalité, en passant par les activités commerciales et la gestion des données, suscite des inquiétudes quant à la préservation des droits démocratiques et de la souveraineté nationale.

À l’heure où l’organisation des Jeux Olympiques est de plus en plus soumise à l’approbation populaire, il semble impératif de réfléchir aux implications de tels accords. Pour l’attribution des Jeux de 2024, la France n’a pas cherché à organiser de référendum sur la question, contrairement à d’autres pays à l’instar de la population de la ville d’Hambourg qui a refusé les JOP 2024 à 51,7%. Les villes de Boston, Toronto, Rome et Budapest avaient renoncé à leur candidature faute de soutien populaire.

Par ailleurs, pour les JO d’hiver de 2030, qui viennent d’être attribués aux Alpes françaises, le CIO affirmait clairement écarter les dossiers de la Suisse et de la Suède car « les soutiens politiques et populaires ne sont pas manifestes et encore moins assurés. »

Depuis le dépôt de cette candidature, dans les régions concernées – Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur – des collectifs de citoyens réclament pourtant l’organisation d’un référendum. Les arguments financiers, environnementaux, et le climat politique actuel poussent de nombreux citoyens et élus à demander le retrait de cette candidature, à l’instar du collectif NO JO. A ce titre, Stéphane Passeron, figure du collectif NO JO, et Pierre Janot, élu écologiste de la région Auvergne Rhône-Alpes ont relié le Grand-Bornand à Lausanne, pour sensibiliser à ces questions.

Le même Pierre Janot, conseiller régional AURA, et Delphine Larat, juriste analyste budgétaire, tenaient une conférence de presse le mercredi 24 juillet devant la vasque olympique des JO de 1968 à Grenoble, accompagnés d’avocats, juristes et experts en audit financier pour faire part de leur opposition : « À l’obsession des jeux olympiques, il est proposé d’opposer la raison des territoires de montagne, qui nécessitent un soutien urgent pour continuer à exister », plaident-ils.

Ces JO de 2030 se veulent pourtant exemplaires, avec une promesse de sobriété écologique avec entre autres 95% des infrastructures déjà en place, et pour le territoire des Alpes et Alpes-de-Haute-Provence une opportunité unique de développer entre autres chose sa mobilité.

« Lors de la crise du Covid, nous avons aidé sans demander de référendum, et je prends mes responsabilités. Pour l’avenir, il est indispensable d’obtenir ces Jeux. Ceux qui s’opposent systématiquement doivent comprendre que ces projets peuvent résoudre de nombreux problèmes de manière intelligente, » nous confiait Renaud Muselier, quelques jours avant le verdict du CIO. Une attribution certes, mais « sous condition » !

Le Contrat de Ville Hôte signé en 2017 est disponible en open source : Contrat de Ville Hôte.

Rudy Bourianne (avec H.D)

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