Grégory Mallet, l’homme qui murmure à l’oreille des champions

Johann Zarco a pris son premier départ en endurance ce dimanche matin à 4h30 (heure française) pour les 8 heures de Suzuka, au Japon. À cette occasion, retrouvez notre interview de son préparateur mental, Grégory Mallet, ex-nageur du Cercle des Nageurs de Marseille.

Double vice-champion olympique (médaille d’argent au relais 4×100 mètres nage libre à Pékin puis à Londres), ancien nageur du Cercle des Nageurs de Marseille, Grégory Mallet s’est reconverti depuis 2020 en tant que préparateur mental tout en continuant, en fonction des projets, d’entraîner dans les bassins. Parmi les champions qu’il prépare, Johann Zarco, pilote de MotoGP, est au cœur, ce dimanche matin, de sa première course en endurance avec Honda pour les 8 heures de Suzuka.

Comment êtes-vous passé de votre carrière de nageur à celle de préparateur mental aujourd’hui ?

Quand j’étais nageur au Cercle des Nageurs, nous avions un préparateur mental, Thomas Sammut, qui est encore le préparateur de Florent Manaudou et Léon Marchand. J’ai travaillé avec lui pendant huit ans car j’étais assez soumis au stress et au manque de confiance en moi par rapport à ce que je pouvais produire en compétition, avec ce sentiment d’imposture que j’avais dans le sport.

Le sentiment de ne pas être légitime dans mon sport alors que je l’étais. La préparation mentale m’a beaucoup aidé en tant qu’athlète. Quand j’ai arrêté ma carrière en 2017, je me suis orienté vers le coaching pur en natation, j’ai fait de la préparation physique, et je me suis formé dans ce domaine.

Au final, je me suis rendu compte que j’avais plutôt la fibre d’accompagnant psychologique que celle d’accompagnant physique. Je me sentais bien légitime à me former dans ce domaine par mon parcours, et cela m’a plu d’accompagner des sportifs et de diversifier mon travail avec les disciplines variées que j’ai aujourd’hui (auto-moto, natation, basketball…).

Quels sont les étapes et les formations nécessaires pour devenir préparateur mental ?

Oui, il y en a plein. Pour ma part, je me suis formé en 2020. J’interviens également dans un organisme qui s’appelle Mental Formation, qui est vraiment excellent pour la préparation mentale des sportifs. C’est la méthode de Thomas Sammut qui y est clairement enseignée. Ensuite, je me suis formé en hypnose et en PNL (programmation neurolinguistique).

Ça m’a surtout fait prendre conscience qu’il fallait que l’homme soit bien dans sa tête et dans sa vie avant que le sportif soit performant. Pour moi, la performance passe vraiment par le bien-être psychique. Donc comme on vit dans une société dans laquelle on se définit beaucoup par nos résultats, où on se valorise par ce qu’on fait, j’ai compris que c’était plus intéressant de se valoriser par ce qu’on est, et ainsi d’être plus en confiance vis-à-vis de soi pour réaliser de grandes choses plutôt que chercher à faire de grandes choses pour prendre confiance.

Est-ce un processus de prise de conscience qui peut permettre d’éviter certaines frustrations chez le sportif qui n’y arrive pas à un moment donné ?

Totalement. On veut toujours devenir le meilleur, le plus fort, mais il faut comprendre que ces choses sont temporaires. Tu deviens le meilleur pour un moment, mais il y aura toujours quelqu’un de meilleur après toi, c’est le sport, c’est la vie.

Et en étant le meilleur, tu inspires des gens qui voudront te battre, donc tu ne seras jamais vraiment LE meilleur, seulement le meilleur à un moment donné. Par contre, ce que cela apporte en termes de développement personnel est beaucoup plus important pour la vie future : savoir que tu es capable d’être fort à un moment donné. Cela renforce ta confiance en toi et ton estime de soi, des qualités que tu garderas toute ta vie.

Le titre, lui, sera toujours éphémère, celui d’un moment. Tu restes champion du monde, mais tu es champion du monde de telle année, alors que la confiance en toi t’appartient.

Parmi les sportifs que vous accompagnez, Johann Zarco, pilote de MotoGP, est l’un des plus renommés. Pouvez-vous nous raconter comment votre rencontre a eu lieu ?

On s’est rencontrés en 2018 lors d’un événement moto. J’étais en partenariat avec Kawasaki à Bordeaux et Johann était là pour signer des autographes pour le Printemps de la Moto. À l’époque, il était chez Tech 3. Le propriétaire de Kawasaki, mais aussi de Yamaha, m’a demandé si cela m’intéressait de le rencontrer. J’ai répondu que ce serait un plaisir.

De fil en aiguille, nous avons échangé. Johann, étant passionné de sport en général et de performance, est assez admiratif des personnes qui ont accompli quelque chose de notable dans leur vie en termes de performance. Nous avons sympathisé et sommes restés en contact jusqu’à l’année dernière, où il m’a sollicité pour me dire qu’il aimerait travailler avec moi pour développer de nouvelles choses.

Grégory Mallet sur son travail avec Johann Zarco

Quel travail avez-vous effectué ensemble ?

La saison dernière était assez dense parce qu’il a changé beaucoup de choses dans sa façon de faire, ainsi que dans son staff avec de nouvelles personnes. Nous avons appris à travailler tous ensemble en équipe. Il a réuni des gens qui s’apprécient, ce qui est cool parce que Johann, c’est lui le boss, le chef de son entreprise. Il nous a réunis : son agent, Romain Bordas pour la neurovision, Alexandre Mathieu son kiné, Sébastien Moreno son mécano, et d’autres personnes de milieux différents qui ont appris à s’apprécier.

D’ailleurs, le « Team Zarco » n’est pas qu’une appellation, nous sommes vraiment tous liés par l’amitié et nous avons créé cette osmose entre nous. C’est quelque chose que j’avais déjà vécu quand j’étais nageur au Cercle des Nageurs de Marseille. Cette osmose collective au service d’une personne, d’un individu, de la performance. Je la retrouve fortement au sein du Team Zarco, donc c’est agréable. Avec Johann, nous avons travaillé sur le bien-être et le plaisir de son sport plus que sur l’obligation de performance.

Quelle différence y a-t-il entre la saison dernière et cette saison plus difficile pour Johann chez Honda ?

Ça n’a pas toujours été simple, j’étais dans une grande phase d’observation la première année pour connaître le pilote. Je connaissais un peu l’individu mais pas le pilote. J’ai assisté à de nombreux Grands Prix pour le voir évoluer. J’en fais un peu moins cette année car il n’est pas nécessaire que je sois présent à tous les GP. Pour autant, nous avons travaillé sur le fait qu’il apprenne à aimer le pilote qu’il est et à aimer aussi son sport d’une manière plus amusante que contraignante.

Johann se mettait-il des contraintes mentales par rapport à sa quête de victoire ? Sa première victoire en GP, l’an dernier en Australie, a mis du temps à se concrétiser pour lui.

Je pense qu’il a traversé une période longue où il avait ce blocage de vouloir être parfait pour gagner. Au final, il a gagné le jour où tout n’était pas parfait et ça a débloqué énormément de choses. C’était une semaine où il n’était pas forcément dans son meilleur état physique, la course a eu lieu un samedi, ce n’étaient pas les conditions habituelles, il n’a pas eu La Marseillaise… Il y a plein de choses qui n’ont pas été parfaites et pourtant, ça reste sa première victoire et le moment qu’il attendait.

Cela prouve bien qu’attendre la perfection n’est pas forcément propice à la réussite. Il s’agit de savoir ce que je fais, moi, pour réussir au mieux ce jour-là. Pour ceux qui suivent la MotoGP, c’était une course incroyable qu’il a gagnée avec brio !

Même à Valence, j’aime bien parler de Valence, la dernière course, où certes il fait P3, reclassé P2, mais il était parti pour gagner et battre Pecco (Bagnaia) à la fin et il s’est un peu fait surprendre par Di Giannantonio. Mais il avait ce potentiel de regagner la course et cette sensation d’être décomplexé. C’est quelque chose qu’il a travaillé tout au long de l’année, qu’il a mûri et qui s’est débloqué. Il a encore cette attitude, d’ailleurs.

Si on s’arrête sur les résultats purs cette année, on pourrait penser qu’il est dans l’attente. Ce n’est pas le cas. Johann est le même que l’année dernière, c’est juste qu’il a une moto aujourd’hui qui a trois ans de retard, je pense.

La première victoire en Moto GP de Johann Zarco à Melbourne en 2023. Images : Canal +

Quelle approche adoptez-vous dans cette saison plus difficile en termes de résultats comparée à l’an dernier ? Chez Ducati Pramac, Johann avait une moto performante, alors qu’actuellement, il doit se battre, comme les autres pilotes Honda, pour obtenir des résultats. Comment vit-il cette saison ?

Nous restons sur la même ligne : profiter de la saison et prendre énormément de plaisir à vivre son sport comme si c’était une nouvelle carrière qui démarrait. Johann n’a pas signé chez Honda pour une fin de carrière, il a signé pour un début de projet. Dans sa tête, il est parti pour quatre saisons avec l’équipe japonaise, il n’est pas là pour faire deux saisons et devenir pilote d’essai. Il veut monter sur le podium avec la Honda. Donc, il travaille dur pour que le développement de la moto, qui est complexe, fonctionne.

Nous, en tant que personnes extérieures, ne nous en rendons peut-être pas compte. Mais quand on est dans les paddocks, dans les box, on voit que la moindre pièce peut changer une course. Les résultats se jouent à des dixièmes de seconde entre la première et la quinzième place, ce qui montre que tout se joue sur des détails qui nécessitent du temps.

Johann accepte cette situation, même si ce n’est pas toujours simple. Il sait que son esprit et son physique sont capables de gagner, mais il n’a pas encore la bonne arme entre les mains.

Sur les ambitions sur le long terme de Johann Zarco chez Honda depuis le début de la saison.

Johann est concentré sur le projet Honda avec l’espoir que le développement fonctionne et qu’Honda parvienne à se remettre sur les rails, notamment avec l’arrivée du nouveau règlement en 2027. Qu’en pensez-vous ?

Oui, 2027 approche. Cela dit, il peut y avoir encore deux belles saisons avec les motos actuelles. Il ne faut pas sous-estimer Honda, même s’ils traversent une période complexe en ce moment. Ils ont remporté des Grands Prix, ils savent développer des motos, et les Japonais ne vont pas se laisser abattre si facilement. C’est une question de patience.

Je pense qu’ils ont trouvé en Johann un bon pilote avec de l’expérience. Il a roulé sur Suzuki, KTM, Ducati et Yamaha, ce qui lui donne une connaissance approfondie de la MotoGP. Il a ce petit quelque chose que certains n’ont pas chez Honda. Pour moi, c’est une valeur ajoutée à la marque pour développer une super moto, ce qui pourrait arriver d’ici la saison 2025.

Il peut y avoir une super moto qui sort du box, mais il faut accepter qu’il y ait des périodes plus difficiles comme celle-ci. Johann traverse des périodes de test et de course, mais pour lui, les périodes de course sont aussi des périodes de test. Malheureusement, on ne peut pas tester et courir en même temps. Johann a confiance en la moto et en Honda. Il aime cette moto.

Votre passion pour la moto et le fait d’être vous-même motard apportent-ils quelque chose dans votre approche avec Johann ?

Pas du tout. Mon côté motard profite du Grand Prix une fois que j’ai fini de travailler avec Johann. Cependant, je n’ai rien à dire sur la moto elle-même avec Johann. Quand il parle de moto, j’écoute et nous travaillons autour de ce qu’il me dit, mais je n’ai aucun avis à donner sur la technique ou le pilotage. Nous sommes dans une dimension stratosphérique.

On pourrait croire que, parce qu’on est passionné de moto, on peut donner notre avis. Mais mon avis se limite à comment Johann se sent sur la moto. Cela concerne le relâchement, l’état d’esprit, le mental, mais jamais la technique ou le pilotage. À ce moment-là, c’est hors-jeu. De plus, il explique des choses liées à son rapport à la moto que nous, même en étant motards, ne ressentirons jamais.

Nous pouvons nous vanter de prendre 300 km/h avec nos motos, ce qui est cool, mais lui atteint 300 km/h en 8 secondes en sortie de virage. Nous avons du mal à mesurer cela ; ils prennent 350 km/h tous les week-ends et c’est la normalité pour eux. Le ressenti de la moto n’est pas le même. À 300 km/h, nous pensons que c’est suffisant, nous ralentissons, nous avons notre petite dose d’adrénaline, mais pour eux, c’est constant. Une MotoGP passe de 0 à 200 km/h en 4 secondes et de 0 à 300 km/h en 8 secondes, départ arrêté.

Travaillez-vous avec Johann sur l’aspect extrême de sa discipline ?

Pas tant que ça finalement. Il a beaucoup d’expérience à ce niveau-là, donc il n’en a pas besoin. Nous ne nous concentrons pas sur cet aspect, même concernant les chutes, nous n’en parlons pas, c’est quelque chose qu’il gère plutôt bien. Sans dévoiler les détails qui restent privés, nous travaillons surtout sur le relâchement et sur le fait de décomplexer la performance pour apporter du plaisir.

La préparation mentale est devenue essentielle dans le sport de haut niveau, presque tous les champions ont des préparateurs. En quoi est-ce un plus ?

C’est un métier qui n’est pas quantifiable, donc c’est très difficile à mesurer en fonction des personnes. Je le perçois si l’athlète me dit que cela l’a aidé de faire telle ou telle chose que nous avons mise en place. C’est l’athlète qui donne le retour. Nous n’avons pas toujours un regard très objectif vis-à-vis de nous-mêmes.

Le préparateur est justement là pour être les yeux et le regard extérieur des émotions que l’on peut avoir, à l’instar d’un coach de préparation physique qui va indiquer quoi faire physiquement pour que l’athlète se développe. Le préparateur mental va, lui, indiquer si ce que l’athlète fait correspond bien à ses valeurs, à ce qu’il aime, à ce qu’il est et à ce qui lui convient.

À quel moment percevez-vous l’impact que vous pouvez avoir sur les sportifs avec lesquels vous travaillez ?

Le sportif, mais pas seulement, a tendance à croire que les choses arrivent par hasard, qu’il a de la chance, qu’il était dans un bon jour, mais il a du mal à se mettre au centre de sa réussite. Se dire : « Oui, c’est grâce à moi, ce sont mes décisions, je suis responsable de mes échecs et de mes réussites. » Il s’agit de redonner à l’athlète la responsabilité de ses choix et de lui permettre de prendre confiance en lui. C’est ce qui est important dans la préparation mentale : faire prendre conscience à l’athlète qu’il a les clés de tout ce qui lui arrive.

Camil Ould Doua représente la Mauritanie aux JOP 2024 de Paris.

Vous travaillez également avec Camil Ould Doua dans sa préparation pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. Est-ce important pour vous de garder le lien avec les bassins ?

Camil est venu me voir l’année dernière. Je l’avais déjà entraîné en club quand il était enfant. C’était un jeune nageur du club. Grâce à la Mauritanie, il a pu se qualifier pour les Jeux Olympiques. Quand il m’a demandé si je pouvais l’entraîner toute l’année, j’étais honoré. Sa fédération souhaitait également une personne avec une expérience olympique pour l’encadrer et l’accompagner. C’est un super projet.

Pour moi, les Jeux ne sont pas seulement une question de performance et de médailles. C’est aussi une expérience humaine, et Camil a cette opportunité de briller pour son pays, de faire parler de son pays, et d’offrir la possibilité d’avoir une piscine dans son pays parce qu’aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il y en ait.

Il est vraiment important de promouvoir la natation et la Mauritanie à l’échelle olympique. Ce sera aussi sa mission, et je l’accompagne là-dedans parce que je trouve que le projet est vraiment formidable. Pour un jeune comme lui, vivre un événement de cette ampleur peut éveiller des envies et faire éclore certains rêves. Cela doit être le déclencheur de quelque chose et non la concrétisation d’une vie.


Propos recueillis par Rudy Bourianne

Rudy Bourianne est journaliste sportif. Passionné par le club phocéen et le sport en général, il suit notamment l’actualité de l’OM, de la Voile et de l’équipe élite water-polo du Cercle des Nageurs de Marseille pour Le Méridional.