Grégory Mallet : « La performance passe vraiment par le bien-être psychique »

DR ; Instagram Gregory Mallet

Double vice-champion olympique (médaille d’argent 4x 100 nage libre à Pékin puis à Londres), ancien nageur du Cercle des Nageurs de Marseille, Grégory Mallet s’est reconverti depuis 2020 en tant que préparateur mental tout en continuant en fonction des projets d’entrainer dans les bassins. De Johann Zarco en Moto GP à Camil Oud Doua qualifié pour la Mauritanie aux JOP 2024 à Paris, il vit pleinement sa nouvelle vie. Ce week-end, l’ancien du CNM est à Assen pour accompagner Johann Zarco au Grand Prix des Pays-bas. Pour Le Méridional, Grégory Mallet revient sur sa nouvelle vie de préparateur mental auprès des sportifs de haut niveau.

Comment es tu passé de ta carrière de nageur à celle de préparateur mental aujourd’hui ?

Grégory Mallet (GM) : Quand j’étais nageur au Cercle des Nageurs, on avait un préparateur mental, Thomas Sammut qui est encore le préparateur de Florent Manaudou et Léon Marchand. J’ai bossé avec lui pendant huit ans car j’étais assez soumis au stress et au manque de confiance en moi sur ce que je pouvais produire en compétition. Avec cet espèce de sentiment d’imposture que j’avais quand j’étais dans le sport. Le sentiment de ne pas être légitime dans mon sport alors que je l’étais. La préparation mentale m’a beaucoup aidé en tant qu’athlète. Quand j’ai arrêté ma carrière en 2017, je me suis orienté vers le coaching pur natation, j’ai fais de la prépa physique, je me suis formé là-dedans. Au final, je me suis rendu compte que j’avais plutôt la fibre d’accompagnant psychologique que d’accompagnant physique. Je me sentais bien légitime à me former là-dedans par mon parcours et au final, ça m’a plu d’accompagner des sportifs et de diversifier mon travail avec les disciplines variées que j’ai aujourd’hui (Auto-moto, natation, basketball…).

Que faut-il faire pour le devenir ? Il faut passer par des formations ?

GM : Oui, il y en a pleins. De mon côté, je me suis formé en 2020. J’ai un organisme aussi dans lequel j’interviens qui s’appelle Mental Formation qui est vraiment top pour la préparation mental du sportif. C’est la méthode Thomas Sammut qui y est clairement enseignée. Après, je me suis formé en hypnose, en PNL, programmation neurolinguistique.

Qu’est-ce que la préparation mentale t’as apporté en tant que sportif ?

GM : Ça m’a surtout fait prendre conscience qu’il fallait que l’homme soit bien dans sa tête et dans sa vie avant que le sportif soit performant. Pour moi, la performance passe vraiment par le bien-être psychique. Donc comme on vit dans une société dans laquelle on se définit beaucoup par nos résultats, où on se valorise par ce qu’on fait, j’ai compris que c’était plus intéressant de se valoriser par ce qu’on est, et ainsi d’être plus en confiance vis-à-vis de soi pour réaliser de grandes choses plutôt que chercher à faire de grandes choses pour prendre confiance.

C’est un processus de prise de conscience qui peut permettre ainsi d’éviter certaines frustrations chez le sportif qui n’y arrive pas à un moment donné ?

GM : Totalement… On veut toujours devenir le meilleur, le plus fort, mais il faut comprendre que c’est des choses estampables dans le temps puisque tu deviens le meilleur mais le temps d’un moment et après il y aura quelqu’un de meilleur que toi, c’est le sport, c’est la vie… Et en étant le meilleur, de plus, finalement tu inspires des gens qui vont vouloir te battre donc tu ne seras jamais vraiment LE meilleur, tu seras le meilleur d’un moment. Par contre, ce que ça apporte en terme de développement personnel c’est beaucoup plus important pour la vie future de savoir que tu es capable d’être fort à un moment donné. Ça met des points de confiance, des points d’estime, ce que tu gardes toute ta vie. Le titre lui sera toujours éphémère, celui d’un moment, tu restes champion du monde mais tu es champion du monde de telle année alors que la confiance en toi est à toi.

Parmi les sportifs avec lesquels tu travailles, Johann Zarco en Moto GP est l’un des plus connus. Comment s’est faite votre rencontre ?

GM : On s’est rencontré en 2018 sur un évènement moto. J’étais en partenariat avec Kawasaki à Bordeaux et Johann était là pour signer des autographes pour le Printemps de la moto. Il était chez Tech 3 à l’époque. Le propriétaire de Kawa mais aussi de Yamaha m’a demandé si ça m’intéressait de le rencontrer. Je lui ai répondu bien évidemment avec plaisir. De fil en aiguille, on a échangé. Johann étant passionné de sport en général, de le performance, il est assez admiratif des gens qui ont fait quelque chose dans leur vie en terme de performance. On a vie sympathisé et on est resté en contact jusqu’à l’an dernier où il me sollicite pour me dire qu’il aimerait bien travailler avec moi pour développer de nouvelles choses.

on a travaillé sur le fait qu’il apprenne à aimer le pilote qu’il est

Grégory Mallet sur son travail avec Johann Zarco

Quel travail avez-vous effectué ensemble ? Quelle différence y a t-il entre la saison dernière et cette saison plus difficile pour Johann chez Honda ?

GM : La saison dernière était assez dense parce qu’il a changé beaucoup de chose par sa façon de faire, par son staff avec des nouvelles personnes. On a appris à tous travailler en équipe. Il a réunit des gens qui s’apprécient ce qui est cool parce que Johann, c’est lui, le boss, le chef de son entreprise. Il nous a réuni entre son agent, Romain Bordas pour la neurovision, Alexandre Mathieu son kiné, Sebastien Moreno son mécano, des gens qui ne sommes potentiellement pas du même milieu, qui ne se connaissaient pas et qui on apprit à s’apprécier. D’ailleurs, le « Team Zarco » n’est pas qu’une appellation, on est vraiment tous lié d’amitié et on a crée cette osmose entre nous. Chose que j’avais quand j’étais nageur au Cercle des Nageur de Marseille. Cette osmose collective au service d’une personne, d’un individu, de la performance. Je le retrouve vachement au sein du Team Zarco donc c’est agréable. Avec Johan, on a travaillé sur le bien-être et le kiff de son sport plus que sur l’obligation de performance. Ça n’a pas toujours été simple, j’étais sur une grande phase d’observation la première année pour connaître le pilote, je connaissais un petit peu l’individu mais pas le pilote. J’ai fais beaucoup de Grand Prix pour le voir évoluer. J’en fais un peu moins cette année parce que il n’y a pas nécessité que je sois sur tout les GP. Pour autant, on a travaillé sur le fait qu’il apprenne à aimer le pilote qu’il est et à aimer aussi son sport d’une manière plus amusante que contraignante.

Johann pouvait se mettre des contraintes mentales par rapport à son approche de la recherche de la victoire ? Sa première victoire en GP l’an dernier en Australie, a mis du temps à s’écrire pour lui.

GM : Je pense qu’il a eu cette période longue où il avait ce blocage de vouloir être parfait pour gagner. Au final, il a gagner le jour où tout n’était pas parfait et ça a débridé énormément de choses. C’était une semaine où il n’était pas forcément dans son meilleur état physique, la course a été un samedi, ce n’était pas les conditions habituelles, il n’a pas eu La Marseillaise… Il y a pleins de choses qui n’ont pas été parfaites et pourtant ça reste sa première victoire et le moment qu’il attendait. Ça prouve bien qu’attendre la perfection n’est pas forcément propice à la réussite. C’est de savoir qu’est ce que je fais moi pour réussir au mieux ce jour là. On voit pour ceux qui sont adeptes de la Moto GP, c’était une course de dingue qu’il a gagné avec la manière !

La première victoire en Moto GP de Johann Zarco à Melbourne en 2023. Images : Canal +

Même à Valence. Moi, j’aime bien parler de Valence, la dernière, où certes il fait P3 reclassé P2, mais il était parti pour gagner et battre Pecco (Bagnaia) sur la fin et il s’est un peu fait prendre de court par Di Giannantono. Mais il avait ce potentiel de regagner la course et cette sensation qu’il a eu d’être décomplexé, c’est quelque chose qu’il a travaillé tout au long de l’année, qu’il a mûri et qui s’est débloqué. Qu’il a encore, d’ailleurs. Si on s’arrête sur les résultats purs cette année, on pourrait se dire qu’il est dans l’attente. Ce n’est pas le cas, Johann est le même que l’année dernière, c’est juste qu’il a une moto aujourd’hui qui a trois ans de retard, je pense.

Quel approche avez-vous, justement, dans cette saison plus difficile en terme de résultat que l’an dernier ? Chez Ducati Pramac, il avait une moto qui tournait très bien et là, on le voit se battre, tout comme les autres pilotes Honda, pour arriver à faire quelque chose avec la moto. Et comment vit-il cette saison ?

GM : On reste sur la même ligne de kiffer la saison, de prendre énormément de plaisir de vivre son sport comme si c’était une nouvelle carrière qui démarrait. Johann n’a pas signé chez Honda pour une fin de carrière. Il a signé chez Honda pour un début de projet. Dans sa tête, il est parti pour quatre saisons avec Honda, il n’est pas parti pour faire deux saisons et pilote test. Il veut faire des podiums avec la Honda. Donc il fait en sorte que le développement de la moto qui est complexe fonctionne. Nous personne lambda, ne nous rendons pas compte. Mais quand on est les paddocks, dans les boxs, quand on voit que la moindre pièce peut faire changer une course, que ça se joue à des dixièmes en terme de résultats entre la première et la quinzième place, on se dit que ça se joue à rien. C’est du détail sur lequel il faut prendre du temps. Johann accepte, même si ce n’est pas tout le temps simple parfois, de prendre des « branlées » alors que sa tête est capable de gagner, son physique est capable de gagner mais il n’a pas la bonne arme entre les mains.

Il (Zarco) veut faire des podiums avec honda

Sur les ambitions sur le long terme de Johann Zarco chez Honda depuis le début de la saison.

Johann est concentré sur le projet Honda avec l’espoir que le développement fonctionne et que Honda arrive à se remettre dans les rails, notamment avec l’arrivée du nouveau règlement en 2027 ?

GM : Oui, 2027 arrive. Cela dit, il peut y avoir deux belles saisons encore avec les mêmes motos que maintenant. Il ne faut pas sous-estimé Honda. Même s’ils sont dans une situations complexes en ce moment, ils ont gagné des Grand Prix, ils savent développer des motos et les Japonais ne vont pas se faire marcher dessus comme ça. C’est une question de patience. Ils ont trouvé, je pense, en Johann, un bon pilote avec de l’expérience. C’est quelqu’un qui a roulé sur Suzuki, qui a roulé sur KTM, sur Ducati, sur Yamaha, il a énormément de connaissance de la Moto GP. Il a ce truc que certains n’ont pas chez Honda. C’est, pour moi, une valeur ajoutée à la marque pour développer une super moto. Ça peut arriver d’ici la saison 2025. Il peut y avoir une super moto qui sort du box mais il faut accepter qu’il y ait des périodes comme celle-ci, plus difficile. Johann a les périodes de test et les périodes de courses. Mais les périodes de courses sont aussi pour lui des périodes de test et malheureusement, tu ne peux pas tester et faire la course. Johann a confiance en la moto et en Honda. Il aime cette moto.

Est-ce que ta passion pour la moto, le fait d’être toi-même motard t’apporte quelque chose dans ton approche avec Johann ?

GM : Pas du tout. Mon côté motard profite du Grand Prix quand je fini de travailler avec Johann. Par contre, je n’ai clairement rien à parler moto avec Johann. Quand il parle de moto, j’écoute et on travaille autour de ce qu’il me dit mais je n’ai zéro avis à donner sur la moto. On est dans une dimension stratosphérique. On pourrait croire que parce qu’on est passionné de moto, on peut donner notre avis. Mais moi, mon avis s’arrête à comment Johann se sent sur la moto. Ça parle de relâchement, d’état d’esprit, de mental mais jamais de technique ou de pilotage. A ce moment là, c’est hors-jeu. Et puis il explique des choses, du fait de son rapport à la moto, que tu ne sentiras jamais dans ta vie sur une moto même en étant motard. Nous, on peut se gargariser de dire j’ai pris 300 avec ma moto c’était cool, lui 300, il y est en 8 secondes en sortie de virage. On a du mal à mesurer, ils prennent 350 km/h tout les week-ends et c’est la normalité pour eux. Le ressenti de la moto n’est pas la même chose. Nous à 300km/h, on se dit c’est bon, on va dégazer, on a eu notre petit kiff, eux, c’est tout le temps. Une Moto GP c’est 4 secondes de 0 à 200 et 8 secondes de 0 à 300 départ arrêté.

Travailles-tu avec Johann cet aspect de l’extrême de sa discipline ?

GM : Pas tant que ça finalement. Il a beaucoup d’expérience à ce niveau là donc il n’en a pas le besoin. On est pas là-dessus, même sur les chutes, on en parle pas, c’est un truc qu’il gère plutôt bien. Sans donner les tips qui restent privés, on est plutôt sur du travail de relâchement, de décomplexer la performance pour amener du kiff.

Au niveau de la préparation mentale, plus généralement. Elle est devenue essentielle dans sport de haut niveau, quasiment tout les champions ont des préparateurs. En quoi c’est un plus ? Et à quel moment voir même, perçois-tu l’impact que tu peux avoir sur les sportifs avec lesquels tu travailles ?

GM : C’est un métier qui n’est pas quantifiable, donc c’est très difficile en fonction des personnes. Je le perçois si l’athlète me dit que ça l’a aidé de faire telle et telle chose qu’on a mis en place. C’est l’athlète qui donne le retour. On est pas le meilleur regard pour nous même. On a pas un regard très objectif vis-à-vis de nous même. Le préparateur est justement là pour être les yeux et le regard extérieur des émotions qu’on peut avoir, à l’instar d’un coach de préparation physique qui va être là pour dire quoi faire physiquement pour que l’athlète se développe. Le prépa’ mental va être là pour te dire si ce que tu fais correspond bien à tes valeurs, à ce que tu aimes, à ce que tu es et à ce qui te convient. Le sportif, mais pas que, a tendance à croire que les choses arrivent par hasard, qu’on a de la chance, qu’ont était dans un bon jour mais on a du mal en fait à se mettre au centre de la réussite. A se dire, oui, c’est grâce à moi, c’est mes décisions, je suis responsable de mes échecs et de mes réussites. Il s’agit de redonner la responsabilité à l’athlète de ses choix et lui permettre de prendre confiance en lui. C’est ce qui est important dans la préparation mentale : faire prendre conscience à l’athlète que c’est lui qui a les clés de tout ce qui lui arrive.

Camil a cette opportunité de briller pour son pays, de faire parler de son pays

Camil Ould Doua représente la Mauritanie aux JOP 2024 de Paris.

Tu travailles aussi avec Camil Ould Doua dans sa préparation pour les JOP 2024. C’est quelque chose d’important pour toi de garder le lien avec les bassins ?

GM : Camil est venu me voir l’année dernière. Je l’avais déjà entrainé en club quand il était gamin. C’était un jeune nageur qui était dans le club. Avec la Mauritanie, il a pu se qualifier aux Jeux Olympiques. Quand il m’a dit si je pouvais l’entraîner toute l’année, j’étais honoré. Sa fédération voulait aussi une personne d’expérience olympienne pour pouvoir l’encadrer et l’accompagner. C’est un super projet. Pour moi, les Jeux ne sont pas que de la performance et des médailles. C’est aussi des expériences humaines et Camil a cette opportunité de briller pour son pays, de faire parler de son pays, d’offrir aussi la possibilité d’avoir une piscine dans son pays parce qu’aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il y en ait. C’est vraiment important de faire valoir la natation et la Mauritanie à l’échelle olympique. Ce sera aussi sa mission et moi je l’accompagne là-dedans parce que je trouve que le projet est vraiment cool et que pour un jeune comme lui, vivre un évènement de cet ampleur là peut éveiller des envies et faire éclore certains rêves. Ça doit être le déclencheur de quelque chose et pas la concrétisation d’une vie.

Propos recueillis par Rudy Bourianne

Rudy Bourianne est journaliste sportif. Passionné par le club phocéen et le sport en général, il suit notamment l’actualité de l’OM, de la Voile et de l’équipe élite water-polo du Cercle des Nageurs de Marseille pour Le Méridional.