On croirait à ce que l’on appelle parfois une histoire marseillaise, une galéjade, une sale histoire. A l’été 1938, Marseille était rythmé par des airs d’opérette comme « Un de la canebière » d’Alibert. Aujourd’hui, le rythme était donné par la « Une de la Castellane », un peu plus de faux pas et de fausses notes. Je n’ai pas le coeur à chanter, alors je serai tenté d’en faire une fable : Le journaliste, le patron de presse et le politique.
La « Une » qu’il n’y en aura pas deux…
Le président était venu en visite officielle, accompagné de quelques ministres et de beaucoup de photographes, à la Castellane pour mettre fin aux dérives liées au trafic de drogue et aux réglements de comptes provoqués par ce commerce illégal. Mais 48h après ce coup de poing et de com’, il n’y a pas que les selfies avec le président qui sont viraux, la contagion semble s’étendre aux réglements de comptes qui touchent désormais la presse locale.
En cause, une « Une » du journal La Provence montrant des policiers en ronde à la cité de la Castellane. Au premier plan, deux jeunes « assis sur un banc rien d’autre à faire » comme le chantait la bande originale du film « Comme un aimant » en 2000 et puis ces mots « Il est parti et nous, on est toujours là… ».
Jusque-là, des politiciens qui viennent faire des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, et un journal local qui chronique le quotidien d’une ville, belle mais rebelle, qui reçoit plus de déclarations d’amour que de preuves d’amour; Bref rien de bien sensationnel.
Mais voilà, cette « Une » n’a pas plu!
Non pas tant aux Marseillais, qu’elle n’avait pas marqué, non pas tant à la direction du journal, qui l’avait laissé paraître, mais en haut lieu.
Et là soudain il faut un responsable, un coupable, une tête doit tomber, sacrifiée à l’avidité d’un pouvoir froissé.
Une tête, mais laquelle ? Un pouvoir, mais lequel ?
Le Journaliste
La tête c’est celle d’Aurélien Viers, le directeur de la rédaction du quotidien La Provence à qui l’on reproche finalement d’avoir donné un avis, exprimé un angle libre sur une situation d’actualité.
Bref d’avoir fait du journalisme !
Et c’est là que j’ai eu envie d’écrire, que cette fable devient triste et grave, en France, en 2024, chez moi, un journaliste vient d’être licencié parce qu’il a fait son métier ! Moi qui aime confronter les idées, les opinions, qui souvent râle de ne pas en lire assez, j’assiste stupéfait à l’exécution professionelle de quelqu’un qui a voulu le faire!
Et là je suis inquiet, parce que le journalisme pour moi c’est important, c’est noble, c’est lire l’Opinion et se forger la sienne, lire des chroniques que l’on retient comme un air d’opéra de Figaro, chercher la libération des idées et un peu d’humanité, faire le point sur l’actualité, chanter la Marseillaise avec ceux qui sont d’accord avec nous et avec ceux qui ne le sont pas, connaître et défendre La Provence et garder la liberté d’expression d’un bon Méridional !
Je réalise que la liberté d’expression étant mon combat, le journaliste qui tombe est mon soldat !
Alors je m’interroge : qui a eu sa peau? Je vois très vite les doigts montrer la direction de son journal, remettre en cause son propriétaire, bref la faute aux patrons…de presse.
Le Patron de Presse
Je ne comprends pas, le journal appartient à un patron de presse puissant, qui sait que comme l’aurait dit Spiderman « Un grand profit implique une grande responsabilité », qui se veut aux côtés des Marseillais, qui défend sa ville. Alors, pourquoi porterait-il atteinte à la liberté d’expression marseillaise si légendaire qu’elle aurait sa place à l’Unesco? Pourquoi tenter de faire taire le journal du peuple qui parle fort alors qu’il le finance ?
Je n’ai jamais cru à la fable du méchant capitaliste, alors la fin de celle-ci ne sera pas celle d’une colère rouge anti patronale, ce ne serait ni juste ni sincére de ma part.
La question, la vraie, pour défendre notre liberté d’expression c’est « pourquoi » un homme riche et puissant s’offusquerait d’une opinion journalistique qui ne le vise pas.
S’il n’était pas d’accord il ferait comme moi, un édito dans un journal où il a ses entrées.
Le dilemme de notre patron de presse ne semble pas éditorial mais politique, et la politique des médias locaux marseillais et provençaux appelle à ne pas suivre le leader politique comme dans un parti mais à prendre le parti de Marseille et de la liberté d’expression.
Le pouvoir
Cette lutte des classes entre le journaliste et le patron de presse semble organisée par le pouvoir.
Il les fait descendre dans l’octogone en ayant retenu la leçon du champion Cédric Doumbé : une épine dans le pied suffit à perdre un combat.
Alors, retirer les épines pour gagner ses combats devient, pour le pouvoir, aussi important qu’avoir de gros bras.
Alors, le pouvoir s’intéresse aux médias d’un peu trop près, il se pose des questions que même le sommet du pouvoir ne doit pas se poser :
Un pouvoir indépendant ? Pour quoi faire ? Bolloré a t-il le droit de ne pas être d’accord avec nous ? BFM peut-il devenir la propriété de quelqu’un qui laisse paraitre des opinions contraitre aux notres ?
Tant de questions auxquelles je n’accepte pas de réponses qui nous coûtent notre liberté d’expression, une liberté qui semble définitivement hors marché ! Marché financier ou marché politique !
Une morale qui ne donne pas vraiment le moral
A la fin de ma fable, un journal de ma ville déclenche une grève illimitée en réponse à un pouvoir qui a du mal à trouver ses limites, et moi, farouchement attaché à la liberté d’expression, je me tiens aux côtés de nos amis de La Provence, et je m’interpelle avec eux : et mon Viers Maintenant ?!
Jean-Baptiste Jaussaud
Economiste et entrepreneur, administrateur du Méridional