Dans cet entretien, Le Méridional s’est entretenu avec Marie-Laure Guidi et Alain Cabras, fondateurs du collectif qui nous ont raconté comment et pourquoi est né le collectif « Marseille au pluriel »…
Le Méridional – Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce collectif ?
Marie-Laure Guidi : Tout part d’une relecture d’un livre d’Amin Maalouf qui s’appelle « Le Dérèglement du monde », écrit en 2000. Dans cet ouvrage, Amin Maalouf explique de façon très détaillée que : si nous ne faisons rien pour réconcilier les peuples, la planète finira par exploser, avant même que la température ne le fasse. Et cela m’a interpellé. Quelques semaines après cette lecture, j’ai rencontré Alain Cabras durant l’une de ses formation sur les valeurs centrales de cohésion dans les milieux de l’entreprise. Très peu de temps après, arrivent les émeutes à Marseille, fin juin il me semble. Je suis Marseillaise et comme beaucoup d’entre nous dans ce collectif, Alain y compris, on pensait que ça ne pouvait pas arriver ici. On pensait que Marseille était protégée par une espèce d’identité propre, et qu’elle pouvait dépasser cela. Ces évènements ne nous ont pas laissés indifférents, et nous nous sommes dit qu’il y a quelque chose à faire. J’en ai parlé autour de moi, notamment dans le monde économique, puisque j’en suis issue, et j’en parle aussi à Aix-Marseille Université. J’ai embarqué aussi Alain dans l’aventure puisqu’il avait un pied dedans aussi, et d’autres chefs d’entreprises, comme Christophe Barraloto ou Fabrice Necas. Comme nous nous rejoignons sur ce type de sujet nous avons conclu qu’il fallait faire quelque chose. Nous avons une responsabilité civile, en tant que citoyens mais aussi en tant que monde économique ! Nous devons faire en sorte que par l’interculturel, nous ne nous affrontons pas. En apprenant à se connaître, en apprenant à se décrypter. C’est d’ailleurs tout le propos d’Amin Maalouf.
Voilà la genèse de ce regroupement de Marseillaises et Marseillais, qui ont décidé de créer un institut interculturel de la Méditerranée, car nous avons ici, cette porte ouverte sur la Méditerranée et un mélange de tous les peuples de cette mer.
Alain Cabras : Moi j’aimerais vous parler, non pas de ce qui nous différencie, mais ce qui nous rassemble, parce que ce qui nous différencie ce sont des situations professionnelles : des gens de l’entreprise, des universitaires, des journalistes avec Philippe Pujol. Dès le début ne nous nous somme pas parler de nos différences de conceptions politiques ou sociales, parce qu’on s’est immédiatement rendu compte que nous pensions tous que nous faisons plus société. C’est une véritable catastrophe. Après les émeutes, on s’est demandé quelle méthode on pouvait apporter ? Parce que les projets, nous les avions, la méthode ça a été l’interculturel.
Mon métier à moi c’est intervenir en tant qu’universitaire et en tant que consultant en entreprise, où la transmission est un art pour dire que l’interculturel peut être une véritable porte d’entrée. Pourquoi cette porte spécifiquement ? Parce que nous avons acté deux choses : les appels au vivre ensemble ne servaient plus à rien. C’était vide de sens, et contreproductif. La deuxième chose c’est que nous sommes dans une société multiculturelle qui s’est raccrochée à cette idéologie, qui consiste à valoriser les différences de chaque groupe.
Mais ça nous fait oublier deux choses : Comment on fait société ensemble ? Est-ce qu’il y a cohésion ? Et de quel cadre part-on ? Donc il faut partir du principe que : oui il y a la diversité. Oui il y a de la pluralité de nationalité et de religion. La France, elle est comme ça aujourd’hui que ça plaise ou pas. Le multiculturalisme, est arrivé au bout du chemin. Moi je ne dis pas que c’est un mal, c’est une façon de gérer la société qui ne s’occupe pas de la cohésion. On le voit en Angleterre, aux Etats-Unis ou au Canada par exemple.
Nous au milieu de ça on veut mettre l’interculturel. Qui est une discipline avec toutes ses lettres de noblesse, et on va l’appliquer dans le monde du travail, parce que là , on ne peut pas juste vivre ensemble… On doit faire ensemble. Mais ça ne se limite pas à l’entreprise, puisque le 3 octobre y a AMU (Aix-Marseille Université) qui nous a rejoint et la Chambre de Commerce.
Le Méridional – Vous prévoyez un diplôme universitaire de management interculturel. Nous aimerions savoir comment il est perçu par le monde de l’entreprise. Qu’est ce qui va qualifier ?  Qu’est-ce que ce diplôme va qualifier ?
Marie-Laure Guidi : C’est un diplôme d’Aix-Marseille Université. AMU a annoncé ce diplôme en tant que fondateur de notre association Marseille au pluriel. Il va s’adresser aux DRH ou aux responsables RSE des entreprises qui ont ces questions d’interculturalité. Je pense que ça pourra être ouvert aussi aux étudiants.
Alain Cabras : Comme nous nous adressons à l’entreprise, nous avons d’abord parlé de formation continue professionnelle. L’Université a tout de suite été très preneuse de proposer cette formation au tissu marseillais en premier lieu. Et ensuite à l’espace méditerranéen. Maintenant les entreprises envoient des cadres, des salariés ou des membres des comités de direction, pour se former.
Rapidement, Romain Laffont et vice-président en charge des relations avec le monde de l’entreprise, voulait que ça soit transversal à toute l’université. Pour que n’importe quel étudiant, en droit en médecin ou en commerce, puisse prendre composantes de ce diplôme. On est en train d’y réfléchir puisque ce diplôme démarre en rentrée 2024.
Marie-Laure Guidi : On y tient vraiment puisque l’une de nos ambitions, c’est de faire de Marseille la capitale de l’interculturel en Méditerranée. C’est fondateur puisque ça va donner à la ville une vraie légitimité.
Le Méridional – Est-ce que vous êtes en contact avec d’autres pays méditerranéens ?
Marie-Laure Guidi : Alors, aujourd’hui, non. Ce projet est né au premier trimestre 2023. Ça s’est construit un peu à toute allure compte tenu de l’urgence qu’on ressentait. Mais l’on veut se rapprocher de d’autres villes, pour les actions que nous voulons mener. On aimerait organiser un symposium des femmes de la Méditerranée. On a déjà des ressources dans toutes les villes, notamment par Alain Cabras car il a travaillé un peu partout. On a aussi tout le réseau des universités, sur lesquelles on va évidemment s’appuyer. Aujourd’hui a décidé de structurer le projet à Marseille.
Le Méridional – Quels sont les autres acteurs marseillais avec lesquels vous allez travailler ?
Marie-Laure : Dans les membres fondateurs, il y a : AMU, la Chambre de commerce. Oui, pour nous, effectivement. Les autres fondateurs qui sont intervenus en qualité de citoyen, vous verrez que pour la plupart, ce sont des dirigeants d’entreprises, qui pèsent sur le territoire. Nous avons l’intention de s’appuyer sur toutes les structures associatives du territoire. Nous sommes déjà en train de bâtir des partenariats, avec beaucoup d’associations, avec beaucoup d’organismes culturels, avec des associations sportives. On laisse le suspense car on devrait les annoncer dans les prochaines semaines.
En revanche je tiens à souligner que nous n’avons pas vocation à se substituer aux structures qui Å“uvrent sur le terrain, au contraire. On est en train de faire le maillage des entreprises qui veulent travailler avec nous. D’ailleurs, dans le cadre de notre association, nous allons avoir un comité de labellisation qui nous permettra de labelliser des projets portés par ces associations qui prônent les valeurs que nous défendons !
Le Méridional – Quels sont les projets à venir pour Marseille au pluriel ?
Marie-Laure Guidi : Ce que l’on veut mettre en évidence ce que nous appelons : « les valeurs centrales de cohésion ». Parce qu’on pense, qu’il est nécessaire de remettre un petit peu de cohésion dans la société. Pour y arriver, il faut une méthode. Méthode à laquelle j’ai assisté à l’APM et qui m’a vraiment impacté. Il faut que l’on puisse la décliner sur différents publics. Donc quand on parle de travailler avec les enfants sur du périscolaire, c’est par exemple de faire construire l’identité marseillaise de nos jeunes, par rapport à une identité qu’ils vont comparer dans d’autres écoles, de d’autres rives de la Méditerranée. Il faut se construire soi-même, par rapport à l’altérité.
Sur les étudiants, on va essayer de dupliquer ce que fait déjà Polytech, qui est une des composantes d’Aix-Marseille Université…
Alain Cabras : Prenons l’exemple d’AMU. C’est la première école de France qui fait son séminaire d’intégration avec les étudiants en faisant émerger les valeurs centrales de cohésion de la promotion, en inscrivant ça un récit interculturel. Cette année, pour la troisième fois, dans les 380 étudiants qu’il y avait, tous d’horizons différents, même de pays différents, ça a marché.
Personnellement je le connaissais au niveau des entreprises, des associations, et des services publics. Mais ça marche aussi au niveau des études, en 46 heures ils produisent un cercle de valeur et le décline sur toute l’année.
Le Méridional – Et pour le symposium des femmes de la Méditerranée ?
Marie-Laure Guidi : On voudrait faire intervenir des femmes inspirantes qui arrivent à faire des choses incroyables dans des environnements souvent hostiles. Que ce soit ici ou dans d’autres pays de la Méditerranée, mais pas simplement de faire témoigner. L’idée c’est de les faire travailler avec les Marseillaises et les Marseillais. Ensuite on aimerait faire une soirée vraiment grand public où on pourra échanger, les faire témoigner et faire de ça une biennale, c’est-à -dire un événement récurrent à Marseille. Encore un évènement qui permettait de positionner encore une fois Marseille comme la capitale de l’interculturel en Méditerranée. Ce qui est assez étonnant avec Marseille, lorsqu’on regarde sa vie économique, c’est qu’il y a énormément d’associations économiques qui sont dirigées par des femmes. Nous sommes assez exemplaires sur ce sujet et ça, peu de gens le savent au finalement.
On va aussi travailler sur des projets concrets, notamment avec Philippe Pujol, sur des expositions qui montrent qui sont vraiment les Marseillais, et pour montrer la pluralité de Marseille.
Le Méridional – Comment les Marseillais peuvent soutenir cette initiative ? Â
Marie-Laure Guidi : Nous avons créé une association qui s’appelle Marseille au pluriel, donc le premier des réflexes devrait être d’adhérer à l’association. La cotisation est modique, 30 € l’année. On peut aussi faire ce qu’on appelle des « cotisations suspendues », une personne peut offrir la cotisation à une autre qui ne peut pas financièrement se le permettre. La volonté à travers cela c’est d’être le plus représentatif possible. Notre collectif, ne marchera que si le plus de Marseillais s’approprient notre histoire et que l’on la construise ensemble.
Le Méridional – Comment est-ce que vous voyez Marseille dans l’avenir ?
Marie-Laure Guidi : On aura réussi si à un moment donné, tous les Marseillais se sentent marseillais du même Marseille, que tous les Marseillais se disent : « je vais au Mucem, je vais m’y voir par exemple ». Que la cohésion qu’on retrouve au stade, on la retrouve dans n’importe quel autre endroit de Marseille.
Alain Cabras : Je parlais de l’interculturalité, cette matière a un sens uniquement si elle produit un récit collectif. On aimerait que demain on dise : « Tiens, à « Marseille au pluriel », ils auront permis au moins, que nous ayons un récit sur Marseille différent ». Il faut faire en sorte que le balancier qui est parti très loin dans la division revienne vers un peu plus d’unicité. Malgré nos différences, il faut arriver à refaire un petit récit collectif commun.
Propos recueillis par Léopold Aubin