Elles sont Libanaises, Syriennes, Irakiennes, Arméniennes… Les femmes victimes de violences conjugales et de la prostitution sont toujours plus nombreuses au Liban en raison de la crise que traverse le pays. La précarité et la misère exposent les femmes et les enfants au trafic d’êtres humains que cela soit par le travail forcé ou encore les réseaux de prostitution. L’association Kafa vient en aide à ces femmes.
Entretien avec Julie El Khoury – Coordinatrice du programme de l’Unité de lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains au sein de l’Association Kafa
« Kafa », signifie en arabe « assez », en référence aux violences faites aux femmes. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre association et ses missions ?
Kafa est une organisation féministe créée en 2005. Sa raison d’être est de lutter contre les violences faites aux femmes ainsi que l’exploitation des femmes. L’association est répartie en 5 départements : violences faites aux femmes, lutte contre la traite et l’exploitation des femmes, la protection de l’enfance, un centre d’écoute et de soutien aux femmes victimes de violences, le plaidoyer auprès des instances publiques (police, État, monde juridique), des jeunes filles, de la communauté, des médias, etc.
Au Liban, quelles sont les lois qui existent pour protéger les femmes et les enfants des violences dans les familles ?
Grâce notamment à nos actions de plaidoyer (7 ans d’action), une loi a été votée en 2014 pour protéger les femmes et enfants des violences intrafamiliales. C’était une victoire pour nous. Mais aujourd’hui encore, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour protéger les femmes.
Dans le cas de l’exploitation sexuelle, il existe deux lois contradictoires : la première condamne les auteurs de la traite d’êtres humains, la seconde criminalise les femmes qui se prostituent. C’est la double peine pour elles ! Il est bon de rappeler que ces femmes sont des victimes prises dans un réseau et non des criminelles. Par ailleurs, la nuance est ténue: être une victime ou coupable de la prostitution, dépend de l’enquête, mais aussi du bon vouloir du juge. Un même cas peut être jugé totalement différemment. C’est ce que nous déplorons.
« En revanche, beaucoup de victimes n’osent pas aller porter plainte par peur de la police. »
Dans les faits, ces lois sont-elles appliquées ? Est-ce que les femmes portent plainte ?
Il est rare que la loi de criminalisation des femmes prostituées soit appliquée car elle est contradictoire. En revanche, beaucoup de victimes n’osent pas aller porter plainte par peur de la police. Bon nombre d’entre elles sont en situation irrégulière au Liban. Nous avons mis en place une hotline depuis laquelle nous recevons les plaintes des femmes. Nous les prenons en charge dans leur démarche pour faire valoir leurs droits. Nous faisons aussi beaucoup de sensibilisation auprès de la police.
Qui sont les femmes touchées par les violences conjugales ? Et par l’exploitation ?
Les violences conjugales touchent toutes les couches de la société. Concernant l’exploitation de la femme, il existe deux aspects : l’exploitation sexuelle et l’exploitation par le travail. La plupart des femmes victimes de ces formes d’exploitation sont des migrantes venues de la Syrie, la Palestine, l’Afrique. On observe vraiment toutes les nationalités ! Les quartiers pauvres, tels que Bourj Hammoud, sont les plus touchés par ces phénomènes. Cependant, nous constatons que la prostitution se pratique dans de nouvelles régions du Liban ces derniers temps.
Il existe plusieurs moyens pour les femmes de se prostituer. Les migrantes venues de l’Europe de l’est (Ukraine, Russie, Moldavie) entrent au Liban avec un visa artistique, comme danseuses professionnelles. Elles se produisent ensuite dans des restaurants dansant, à Jounieh par exemple, mais qui sont en réalité des maisons closes. Depuis la pandémie et la crise économique que traverse le pays, leur nombre est devenu minime.
L’autre forme de prostitution est la prostitution type racolage dans la rue. La pandémie Covid-19 a, en revanche, augmenté la cybercriminalité telle que le harcèlement sexuel.
Il y a de moins en moins de tabous grâce notamment au travail de sensibilisation que nous menons. Nous avons à cœur de créer une relation de confiance et un espace de parole sécurisé pour que ces femmes puissent se confier.
« Il est difficile de dire si le nombre de féminicides a augmenté ou non. Beaucoup d’affaires ne sont pas classées comme un féminicide. »
Est-ce la crise a augmenté le niveau de violence au sein des familles ? Pourquoi et comment ?
Il est difficile de dire si le nombre de féminicides a augmenté ou non. Beaucoup d’affaires ne sont pas classées comme un féminicide. La crise, le manque de protection et le patriarcat continuent de fragiliser les femmes et de les mettre en danger.
La crise a augmenté le phénomène de prostitution, mais ce n’est pas observable directement. Il y a un vrai sentiment d’insécurité et de violence qui s’est accrue chez les femmes et jeunes filles depuis le début de la crise.
Quel lien, s’il existe, peut-on faire entre les violences conjugales et la prostitution ?
Malheureusement, il existe un lien très visible entre violences conjugales et prostitution. Beaucoup de femmes tombent dans la prostitution à travers leur partenaire.
propos recueillis par Marie-Charlotte Noulens
Marie-Charlotte Noulens est journaliste depuis cinq ans. Elle est passée par la presse locale en Normandie avant de travailler à Bangkok pour « Asie Reportages ». Elle a rejoint ensuite le magazine « Aider les autres à Vivre », pour lequel elle écrit sur des sujets de société, principalement dans des zones touchées par la guerre ou encore, autour de la précarité en Afrique, au Moyen Orient et en Asie du Sud-Est. Elle se déplace à l’étranger et livre dans les colonnes du Méridional ses analyses sur l’actualité internationale.