Pierre Dussol est professeur honoraire d’économie à la faculté d’Aix-Marseille, il est aussi aussi consultant en d’entreprise. Il a accepté de donner les clés de compréhension de l’actualité économique française.
Le Méridional – Les chiffres de l’INSEE sur l’inflation du mois de juillet sont sortis. Il semblerait que l’augmentation des prix ralentit. Peut-on espérer une déflation dans les prochains mois ?
Pierre Dussol : Il est un peu tôt pour parler de déflation. En revanche, l’Insee a bien précisé que les prix n’augmentent pas de façon égale. Par exemple, les prix de l’énergie augmentent beaucoup plus que la moyenne. De même pour les prix dans le secteur alimentaire : ils augmentent, mais cela varie d’un mois à l’autre. Les prix des produits manufacturés diminuent… Très commenté ces jours-ci, le prix des
fournitures scolaires a augmenté de plus de 11% en un an, mais cette même augmentation ne se retrouvera pas sur les prix des produits informatiques… Donc il s’agit d’une moyenne arithmétique qui n’est pas très représentative, mais qui n’indique pas pour le moment une accélération. À tout cela s’ajoute un facteur général : l’inondation monétaire. On se retrouve avec beaucoup d’argent et en même
temps avec beaucoup de rareté.
Le Méridional – Quelles seraient selon vous les mesures à appliquer afin de ralentir l’inflation ou de prévenir une potentielle poussée inflationniste ?
Pierre Dussol : Je vais être gentil. La première mesure a été prise par la Banque Centrale européenne puisqu’elle a modéré la création monétaire. Elle n’aurait peut-être pas dû exagérer auparavant, mais ça va dans le bon sens.
Est-ce que cela sera suffisant ? Je ne sais pas, car j’ai évoqué des pénuries. Comme pour le prix de l’énergie, celui-ci augmente parce que nous avons indexé en France le prix de l’électricité sur celui du gaz sous l’influence des Allemands. Nous avons arrêté des centrales nucléaires, donc forcément si on produit moins d’électricité dans un contexte de croissance même modérée, on va mécaniquement manquer
d’énergie et les prix vont monter. On doit lutter contre l’inflation en produisant. C’est la même logique pour les logements : on manque de logements, si on ne produit pas assez de logements, les prix vont logiquement augmenter.
En résumé, je dirai : moins de monnaie, plus de biens.
Le Méridional – Certaines observations ont montré que les recettes de TVA commençaient à s’essouffler malgré l’augmentation des prix, comment expliquez-vous cela ?
Pierre Dussol : Mécaniquement, la TVA est indexée sur les volumes vendus. Mais le taux de TVA n’est pas le même pour tous les biens, et si les consommateurs choisissent ceux avec le taux de TVA le plus bas, il y aura moins de recettes. Les consommateurs y pensent et se tournent vers des produits que l’État a jugé bon de moins taxer (probablement parce qu’ils sont jugés plus nécessaires). D’ailleurs, la
croissance n’est pas si importante que cela…
Le Méridional – Mais elle est meilleure que prévu ?
Pierre Dussol : Oui, on est passé de +0.4% à +0.5% sur le dernier semestre… Ce n’est pas une dynamique bien assise, j’aimerais bien pouvoir dire autrement, mais je ne peux pas.
Le Méridional – Récemment, un palier symbolique a été franchi, celui des 3 000 milliards d’euros de dette
publique, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Pierre Dussol : Ces chiffres symboliques sont faits pour alerter. Mais le premier franchissement dramatique, c’est que la dette soit égale à tout ce que les Français produisent en 1 an, qu’elle soit égale au PIB, soit 2 600 milliards en 2022. Cela signifierait que si nous devions rembourser, cela absorberait la totalité de la production française. De plus, il s’agit de la dette de l’État et du secteur public seul, or le PIB
n’appartient pas à l’État. Seul l’État, ne peut pas rembourser…
Ce que cela m’inspire, c’est que le laxisme budgétaire continue. Comme disait un président, c’est le “quoi qu’il en coûte”. Finalement, on accroît l’endettement. Cela est dangereux, pourquoi ? Parce que la moitié de cette dette est détenue par des étrangers, et on ne peut pas facilement les obliger à renouveler leur crédit… Pour les citoyens français, on peut décréter un emprunt obligatoire, mais pas du tout pour les étrangers.
Le Méridional – Comment sortir par le haut de cette situation ?
Pierre Dussol : Je reprendrais volontiers ce que nous disent les politiciens : diminuer les dépenses publiques et augmenter l’efficacité, en évitant les doublons d’administrations…
Le Méridional – Des doublons d’administrations ? Pouvez-vous donner un exemple concret ?
Pierre Dussol : Par exemple, les permis de construire qui sont instruits par les mairies, contrôlés par la préfecture, encadrés par la métropole. Donc à chaque fois, on augmente le nombre de fonctionnaires qui examinent les dossiers, et cela ne rend pas le processus plus rapide.
Le Méridional – Mais cela n’améliore-t-il pas la qualité ?
Pierre Dussol : Non, et cela peut être chiffré ! Le nombre de recours et le nombre de pièces supplémentaires augmentent, donc il y a moins de satisfaction de la part des citoyens, qu’on devrait considérer comme des clients.
Vous avez aussi un bel exemple aussi avec Parcoursup, qui est un moyen de répartir les étudiants dans les facultés qu’ils ont demandées. Mais cela crée un énorme désordre. De nombreux fonctionnaires qui doivent travailler dessus, et les étudiants sont mal servis. Ce qui compte, c’est le service au citoyen. Chaque dossier traité par l’université doit passer entre plusieurs mains avant d’arriver au ministère, et chaque fois il y a du travail redondant. Les doublons sont là, et il y a même plus que des doublons, il y a des « triplons ». Il existe d’ailleurs une mission au ministère des Finances qui vise à éliminer ce genre de choses. Elle a la compétence, c’est sûr, et je n’ai pas de raison de douter de sa bonne volonté, mais quant à sa capacité d’exécution, je ne sais pas.
Le Méridional – Pensez-vous qu’au niveau du gouvernement, il n’y a pas de volonté de mettre fin à ce gaspillage administratif ?
Pierre Dussol : Non, on construit des ponts et des bâtiments qui ne servent à rien, et les responsables de ces, disons-le poliment, erreurs, ne sont jamais poursuivis. Aux États-Unis, il y a des commissions sénatoriales qui contrôlent l’exécution des budgets, et les fonctionnaires ou les politiciens qui en sont responsables peuvent parfois sortir des séances de ces commissions avec les menottes aux poignets. Tandis qu’en France, la Cour des comptes fait un travail remarquable, mais qui s’arrête à de l’information.
Un autre exemple : il y a quelques années, on a décidé d’installer des ordinateurs dans les écoles pour enseigner l’informatique. Le gouvernement a donc commandé un million d’ordinateurs. Mais à la rentrée des classes, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de professeurs d’informatique pour enseigner cette matière. Celui qui est responsable de cela devrait être sévèrement puni. Et cette dépense a été vaine, car le temps de recruter et de former des professeurs, les ordinateurs étaient devenus obsolètes, et il a fallu en acheter d’autres. C’est du gaspillage budgétaire.
Assainir cette dette ne se fera pas du jour au lendemain. Je ne suis pas du genre à dire : « Il suffit de… », mais il faut au moins prendre la bonne direction. Il faut écouter nos politiciens, le premier d’entre eux, et suivre ce qu’il a promis de faire. Ceci dit, Philippe Séguin avait demandé un audit poste par poste des fonctionnaires pour savoir s’ils remplissaient une mission essentielle pour le citoyen. Et les experts de
Bercy avaient estimé qu’il y avait 400 000 fonctionnaires qui n’avaient aucune justification, c’est-à-dire que leur travail ne servait à rien. Mais attention, au sein de l’administration, il y a de nombreuses idées utiles. Le problème, c’est qu’on ne les met pas en œuvre.
Le Méridional – Mais pourquoi, selon vous ?
Pierre Dussol : D’abord, il y a une inertie. D’un budget à l’autre, on a tendance à reconduire ce qui existait. Il y a aussi des groupes de pression. Par exemple, une année, le ministère des Finances avait décidé de supprimer des formulaires inutiles qui faisaient perdre du temps aux citoyens et qui mobilisaient 800 personnes au ministère. Les contribuables étaient satisfaits de cette décision, mais les fonctionnaires qui s’occupaient de cela ont protesté. Il ne s’agissait pas de les licencier, mais de les redéployer ailleurs. Pour moi, c’est comme maintenir des emplois fictifs de manière organisée. Il y a des choses inadmissibles. Être fonctionnaire, c’est être au service du citoyen.
Le Méridional – Des données montrent dans le même temps un déficit du commerce extérieur français et un manque d’entrepreneurs en France. Les deux données ne sont-elles pas liées ? Et comment les éviter ?
Pierre Dussol : Il y a un point commun à tout cela. Beaucoup de solutions sont proposées, mais aucune ne va au fond des choses. La France s’est désindustrialisée, mais il ne suffit pas de dire : « Il faut relocaliser et interdire la délocalisation ». Il faut se demander pourquoi.
La réponse est simple : l’entrepreneur est très mal vu, surtout quand il gagne de l’argent. L’entreprise est, souvent perçue comme le lieu de l’exploitation capitaliste par de nombreux enseignants d’économie au lycée. La culture générale est anti-réussite, anti-profit. Ajoutez à cela les droits de succession qui pénalisent les entreprises à chaque génération, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. On dit qu’il manquerait 15 000 entreprises de taille moyenne en France. Or, 8 000 chefs d’entreprises français sont au Royaume-Uni et 7 000 travaillent en Suisse, ce qui fait 15000. On sait où ils sont, ces chefs d’entreprises !
Le Méridional – Comment les faire revenir ?
Pierre Dussol : Il faut s’attaquer à la complexité du travail. Bien sûr, il faut des règles, mais en Suisse, le Code du travail fait 32 pages, en France, il en fait plus de 3 000. Les salariés suisses ne sont pas plus mal traités qu’en France. Après le Code du travail, il y a la fiscalité.
Elle est lourde, certes, mais elle est surtout oppressante et harcelante. Par exemple, les impôts de production en France, c’est-à-dire ceux payés par l’entreprise avant tout bénéfice, sont aussi élevés que tous ceux de l’Union européenne réunie. C’est un sujet que le gouvernement a abordé, mais il n’a quasiment rien fait. Donc, il y a une accumulation de problèmes : la difficulté pour les entrepreneurs d’émerger parce que la culture est anti-entreprise, les formalités qui rendent le travail de chef d’entreprise plus pénible qu’ailleurs, et la fiscalité, à la fois
quand l’entrepreneur gagne de l’argent et lors de la transmission d’entreprise. Tout cela n’est pas insurmontable mais aujourd’hui extrêmement pesant.
Propos recueillis par Léopold Aubin