POLITIQUE – La lente agonie des partis politiques par José D’Arrigo -Ep. 3

La nostalgie de Bruno Gilles et Maurice Talazac

Peut-on utilement gouverner contre son peuple en ayant recours à de basses connivences, interroge le politologue Arnaud Benedetti ? Question cruciale.

« La réforme des retraites va plus loin que son objet, estime-t-il, il s’agit de la préservation de la démocratie et de la légitimité écornée d’un pouvoir minoritaire. L’opposition massive au projet gouvernemental ne l’est pas par incompréhension ni par caprice : elle l’est parce qu’elle détricote un modèle social que l’on voudrait immuable. Le recul de l’âge de la retraite est vécu comme la régression de trop dans une société qui s’est construite dans la perspective d’un élargissement continu des droits sociaux ».

On ne saurait mieux dire. Benedetti aurait pu ajouter que si les partis politiques français avaient vraiment rempli leur rôle essentiel d’éclairage des citoyens au lieu de se réfugier dans l’invective et l’incantation, on n’en serait probablement pas là.

Nous avons demandé leur avis à plusieurs baroudeurs de la politique marseillaise, Maurice Talazac (LR), Guy Nicolaï (ex-LR), Bruno Gilles (Horizons), Jean-Louis Geiger (RN), Jean-Marc Chipot (Debout La France) et Stéphane Durbec (Ex-RN, ex-LR et ex-Reconquête) qui ont bien voulu répondre aux questions du « Méridional ».

Maurice Talazac a longtemps été l’adjoint de Jean-Claude Gaudin après avoir été un des fondateurs du RPR à Marseille avec le docteur André Mattei. « Nous avons connu l’âge d’or des partis, estime-t-il. Ils étaient fondés sur plusieurs pôles : les idées, les militants, les électeurs et leur animation était relayée par des canaux d’information et des journalistes professionnels. Chacun de ces pôles s’est effondré. Et puis nous avions des partis qui s’incarnaient dans des leaders charismatiques, style Chirac ou Mitterrand. Tout était clair : libéraux contre marxistes. On n’en était pas encore au grand mélange idéologique. »

« Emmanuel Macron est socialiste, ajoute Talazac, il est arrivé en disant : je vais tout changer, avant moi il n’y avait personne. C’est le miroir symbolique de Sarkozy pour la droite. Modernisme, énergie, bobards, ils se ressemblent vraiment. Ils ont amorcé la décadence des convictions en faisant exactement le contraire de ce qu’ils avaient promis de faire. Je ne parle même pas de Hollande, un politicien d’une faiblesse insigne dont la présidence a été un désastre. Nous n’allions pas chercher dans la politique de quoi bouffer. Nous étions des militants de conviction. Tout ça, c’est fini. »

De fait, les grands hommes politiques ont disparu. Les grandes plumes de la presse ont disparu aussi. Les débats politiques ne rassemblent que des gens qui sont d’accord entre eux ou qui simulent des oppositions de façade. « Les partis sont des coquilles vides et ils ne demeureront que pour des opportunités de conjoncture dans des temps limités », souligne Maurice Talazac.

Pour lui, Renaud Muselier a compris cette évolution de la société et sa démarche régionale vise à s’assurer des majorités sur des sujets consensuels qui peuvent emporter l’adhésion du plus grand nombre. Il semble que Martine Vassal ait elle aussi épousé cette philosophie du pragmatisme politique en fuyant le pas cadencé des partis.
« Le danger qui se profile à l’horizon, fait observer Talazac, ce n’est plus celui de l’homme providentiel, c’est celui du fanatisme et de la démagogie. Je vois se lever des Savonarole dans l’univers écolo-gauchiste : ils ont le culte religieux de la planète comme Mao et ses gardes rouges… »

« En ce qui me concerne, avoue Guy Nicolaï, ex-adjoint à la sécurité de Sabine Bernasconi dans le 1/7, je me suis retiré lorsque j’ai vu qu’ils partaient tous à la gamelle pour conserver leurs postes. Chacun crée sa petite association politique pour faire sa petite tambouille dans son coin. Nous, trois fois par semaine, avec Sabine on virait les clodos de la Canebière avec l’aide de la police municipale, les vendeurs à la sauvette on les chassait de Noailles et leurs babioles finissaient dans des camions bennes, on contrôlait les terrasses, les commerces, aujourd’hui c’est la catastrophe cette ville. C’est la débandade générale. La politique peut y être assimilée à une foire d’empoigne où chacun ne pense qu’à sauver sa peau… »

Bruno Gilles, lui, n’a pas perdu la main. Il regarde…l’horizon et le trouve plutôt dégagé. Gilles ne croit pas que le macronisme survivra à Macron et il sait que tout ce qui aura touché de près ou de loin à Emmanuel Macron sera carbonisé. Il s’est mis en réserve de la République pour 2027 en devenant le référent dans le sud d’Edouard Philippe, l’ancien Premier ministre qui avait ébloui les Français par ses explications sur le Covid.

« Les Républicains se sont disloqués, reconnait-il, Emmanuel Macron a attiré à lui les centristes et fait fuir les nationalistes, il n’y a plus d’espace politique viable pour les LR. Si le projet de réforme des retraites est adopté au parlement, il ne le sera que grâce à la division idéologique des oppositions et au renfort supplétif des LR. L’assurance-vie du macronisme réside dans la balkanisation pérenne de ses opposants… »

Pour Bruno Gilles, un parti qui n’a plus de chef charismatique est un parti condamné à mort…et depuis le départ de Sarkozy, les LR divaguent au fil de l’eau d’un petit chef à l’autre. « A Horizons, dit-il, nous avons un vrai chef qui sait ce qu’il veut pour la France, c’est un avantage. C’est un gaulliste social qui veut remettre de l’ordre dans la rue et dans les comptes publics. Le Covid a été mortifère pour les partis car nous n’avons pas pu tenir de permanences ni de réunions pendant des mois et cela nous a pénalisés. Les seuls qui parviennent à survivre sont ceux qui ont un tribun à leur tête : c’était le cas de Mélenchon, mais il a sombré dans le délire, c’est aussi le cas de Roussel, par exemple, qui a redonné des couleurs au PC ».

Ce qui chagrine aussi les vieux routiers de la politique, c’est de constater la prééminence de certaines « fraternelles » bleues ou roses qui ont beaucoup plus d’influence sur le pouvoir central ou municipal que les partis politiques car elles rassemblent sans le moindre scrupule des personnalités de tous les bords politiques.

Quant à Jean-Louis Geiger (ex-LR, conseiller régional RN), il pense que les partis se sont transformés en « clans » et qu’il faudrait promouvoir des hommes ou des femmes d’Etat en surplomb des bisbilles personnelles. Pour Geiger, « les fonctionnaires du parti communiste se divisent en deux catégories : les bons à rien et les prêts à tout. Voilà pourquoi le parti unique de l’union soviétique a été si fort si longtemps… »

José D’ARRIGO

Rédacteur en Chef du Méridional