Ce dimanche 15 mai, à Rome, a lieu la cérémonie de canonisation du bienheureux Charles de Foucauld (1858-1916). Il sera proclamé saint par le pape François, aux côtés de neuf autres figures de l’Eglise catholique.
Monseigneur Aveline, archevêque de Marseille et présent sur place, répond à nos questions autour de cette figure qu’il affectionne.
Le Méridional : Monseigneur, quels sont les liens entre Charles de Foucauld et Marseille ? La ville recueille-t-elle des souvenirs de ses passages ?
Mgr Aveline : Marseille est sans doute la ville où Charles de Foucauld est passé le plus souvent, à l’aller et au retour de ses multiples traversées de la Méditerranée. Elle a été sa « Porte de l’Orient », vers l’Algérie, le Maroc, la Syrie, la Terre Sainte. Lors de la trentaine de passages qu’il y a fait entre 1880 et 1913, d’abord comme jeune sous-lieutenant, puis comme explorateur, enfin comme religieux, Notre-Dame de la Garde et la grotte de Marie-Madeleine à la Sainte-Baume étaient ses lieux de ressourcement. On sait par exemple qu’il a célébré la messe à la Bonne Mère en présence d’Ouksem, son ami touarègue, à qui il faisait visiter la ville. Le registre des messes de Notre-Dame de la Garde conserve d’ailleurs son nom, écrit de sa main. Sa dévotion à sainte Marie-Madeleine, qui d’après la Tradition de l’Église, se serait retirée à la fin de sa vie à la Sainte-Baume, l’a également fait monter à la grotte aux heures décisives de sa vie. Une lampe et plusieurs ex-votos y sont conservés où il exprime sa « filiale reconnaissance » à la sainte.
« marseille a sans doute été la ville où charles de foucauld est passé le plus souvent »
L.M : Au cours du Carême de cette année, vous avez mené des conférences autour du parcours de Charles de Foucauld. Pourquoi avoir choisi le biais de son « itinéraire de conversions » ?
Mgr A. : Ce qui est marquant chez Charles de Foucauld, c’est sa ténacité et sa détermination à chercher toujours plus loin le mystère de Dieu, en voulant chaque jour un peu mieux l’imiter. Avant sa conversion, c’était un explorateur d’un grand courage et d’une précision géographique et scientifique qui lui avait valu la reconnaissance publique de ses pairs. Après sa conversion, il a employé tout son savoir-faire et son courage au service de sa propre croissance dans l’abandon à la volonté de Dieu ainsi que de la rencontre et de l’amitié avec ses frères et sœurs du Sahara. En bon explorateur, il s’est fait le pionnier, pour nous, d’un « itinéraire de conversions », d’un chemin renouvelé vers la fraternité universelle proposée par l’Évangile.
une détermination à chercher toujours plus loin le mystère de dieu
L.M : Qu’est-ce qui a pu pousser cet homme à s’exiler en plein milieu du désert algérien ?
Mgr A. : Cet exil ne s’est pas fait en un jour. Toute sa vie, au travers de multiples étapes, l’a conduit à rechercher, chaque fois plus profondément, l’imitation du Christ. D’abord dans une vie de prière, de travail et de silence, comme la « vie cachée » du Christ à Nazareth. Peu à peu, son désir de vivre en frère de tous l’a poussé à s’enfoncer dans le désert saharien – qu’il ne craignait pas, pour l’avoir parcouru déjà , avant sa conversion – pour se rapprocher de ceux qui étaient les plus délaissés, ceux vers qui personne n’allait, les plus pauvres parmi les pauvres. La fraternité devenue sa boussole, il a accueilli, après mûr discernement, la proposition de se rendre au milieu des Touaregs, dont il a épousé la condition et auprès desquels il est mort.
vers les plus pauvres parmi les plus pauvres
L.M : Comment parler sereinement de l’évangélisation aujourd’hui ?
Mgr A. : Le concept d’évangélisation a pu, historiquement, être utilisé pour justifier des pratiques prosélytes incompatibles avec le message évangélique, dont la condition même, et la finalité, sont le choix libre de l’homme. En particulier, les aléas de l’histoire ont entraîné, en Europe, une confusion entre évangélisation et extension coloniale des puissances européennes, dans certains cas même, la tentation d’une confusion théologique entre Royaume de Dieu et royaumes terrestres. Parler sereinement d’évangélisation aujourd’hui, c’est reconnaître avec humilité les ambiguïtés qu’il y a pu avoir par le passé et accueillir authentiquement ce que propose l’Évangile : un chemin de dialogue et de fraternité, comme condition de l’annonce du Christ.
Dans la géographie biblique de la prière de Charles, un des lieux qui revenait souvent était Béthanie : le lieu où Marie-Madeleine a lavé les pieds de Jésus, le lieu de l’amitié de Jésus avec Lazare et ses sœurs, le lieu de la fraternité. C’est l’une des racines de sa vie missionnaire auprès des populations musulmanes du sud de l’Algérie : vivre et partager leur vie, être pour eux un frère universel, à cause de Jésus, l’ami de Béthanie, le frère aîné d’une multitude de frères. Pour cela Charles de Foucauld nous aide à renouveler notre compréhension de ce qu’est l’évangélisation : un chemin d’amitié et de service des autres, chemin d’écoute de l’œuvre de Dieu en chacun.
partager la vie des populations musulmanes du sud de l’algérie
L.M : Quelle actualité a le message de ce saint ? Pour les jeunes en particulier ?
Mgr A. : La vie de Charles de Foucauld nous rappelle que c’est en passant par la porte du service des pauvres que l’on a le plus de chances de découvrir le sens profond de sa propre vie et le chemin le plus sûr de la suite du Christ. Je sais que les jeunes d’aujourd’hui l’ont bien compris. Je ne cesse de les y encourager. De même, son message de fraternité universelle a une actualité frappante, en particulier dans notre région méditerranéenne, où nous vivons au quotidien la diversité des religions. Par sa vie sainte célébrée ces jours-ci, il propose à l’Église un renouvellement de sa perception de sa vocation à la catholicité : comme à Nazareth, il nous invite à une « catholicité de la dernière place » (faite de service, de présence, d’accueil des plus petits, etc.) ; comme à Béthanie, une « catholicité de la fraternité », par le dialogue et la coopération avec tous les hommes de bonne volonté, et par la dynamique de l’amitié ; et comme à Gethsémani – le jardin où le Christ se tenait en prière la veille de sa crucifixion –, une « catholicité de l’abandon » apprenant à coopérer et à s’abandonner entre les mains de ce Dieu d’amour et à lui rendre témoignage. Une prière que Charles disait souvent et qui manifeste toute l’espérance de l’Église et du Christ qu’elle confesse : « Mon Dieu, faites que tous les humains aillent au ciel. »
une « catholicité de l’abandon »
L.M : Qu’est-ce qui vous touche le plus dans la personnalité de Charles de Foucauld ?
Mgr A. : Le premier mot qui me vient pour évoquer Charles de Foucauld, c’est la bonté. Et si vous regardez attentivement les photos qui ont été prises au fil de sa vie, vous verrez comment son visage, de plus en plus, a reflété cette bonté, d’autant plus rayonnante qu’elle était dépouillée et abandonnée entre les mains de Dieu. Et justement l’un des traits de sa bonté qui me touche le plus, c’est sa constante disponibilité à se convertir, pour laisser le Seigneur faire ce qu’il voulait de cette vie qu’il lui avait donnée, même si lui-même ne comprenait pas pourquoi aucun de ses projets ne se réalisaient vraiment, ni celui d’évangéliser le Maroc, ni celui d’être trappiste, ni celui de fonder une communauté nouvelle. Il avait compris que Dieu voulait de lui qu’il ne fasse que défricher, là où d’autres pourraient ensuite planter. Il pensait que c’était juste pour l’annonce de l’Évangile aux peuples du Sahara. Il ne savait pas que Dieu préparait à travers lui une nouvelle étape missionnaire pour toute l’Église, célébrée lors de cette canonisation.
Propos recueillis par Jeanne RIVIERE