Le 15 mai prochain, les Libanais seront appelés aux urnes pour élire les 128 députés qui siègent au Parlement pour un mandat de quatre ans. Ces élections se déroulent sur fond de profonde crise et sont les premières depuis le début du mouvement de contestation, la Thaoura.
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Au Liban, la démocratie est inscrite dans la Constitution et mise en œuvre par un régime politique. Depuis de nombreuses années, il existe dans le pays une forme de féodalité politique, administrative et judiciaire. Les communautés religieuses se répartissent des sièges réservés dans les 15 circonscriptions suivant leur poids démographique, et ce depuis les accords de Taëf en 1989. Les sièges des députés sont attribués selon les quotas communautaires, soit 50 % de chrétiens et 50 % de musulmans.
plus de 50 000 libanais ont quitté le pays
Depuis une loi votée en 2017, les scrutins ne sont plus majoritaires mais proportionnels. Les candidats ont l’obligation de se regrouper dans une liste de trois candidats minimum. Le Parlement actuel est élu depuis 2018. Le 15 mai 2022, les Libanais vont devoir voter pour leurs députés. Entre résilience et colère, l’espoir d’un changement est pourtant réel.
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Un pays en crise politique
« Tout le monde sent que la classe politique ne nous a pas servis ni aidés face à la crise économique qui nous frappe de plein fouet. Toutes les enseignes étrangères ferment, le SMIC est à 50 US dollars, la livre libanaise a perdu 90 % de sa valeur et 78 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté », lâche Jean-Côme, un jeune Libanais d’une vingtaine d’années et étudiant en sciences politiques à Beyrouth. « Malgré ce fait, la majorité des gens vont voter pour les mêmes candidats. Tout le monde se dit : « Ce n’est pas la faute de mes représentants mais de ceux des autres. » Sur les 128 députés, 110 sont assurés d’être réélus. Si vous pensez avoir tout compris du Liban, c’est que vous n’avez rien compris. »
Le Liban traverse une crise économique, financière, politique et sanitaire, classée parmi les trois crises mondiales les plus sévères depuis le milieu du XIXème siècle. Les effets de la crise sont multiples et impactent quatre services publics essentiels : l’eau, l’assainissement, l’électricité et l’éducation. Le 17 octobre 2019 a débuté une révolte, appelée Thaoura : des Libanais de toutes confessions descendent dans les rues de Beyrouth, Tyr, Saïda et Tripoli pour demander la démission du pouvoir en place ; en vain. A cette déception s’ajoute la terrible double explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 : pas moins de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, stockées dans le port, explosent. Le « blast » a tout détruit sur son passage, faisant 192 morts et 6 500 blessés. C’est le coup de grâce pour un peuple profondément affaibli.
« sur les 128 députés, 110 sont assurés d’être réélus »
Plus de 50 000 Libanais ont quitté le pays. La plupart sont étudiants ou jeunes professionnels. « Il n’y a plus de jeunes au Liban donc c’est difficile de prédire leur intention de vote », souligne Jean-Côme. Pour autant, la diaspora, appelée aux urnes le 8 mai 2022, a eu une participation en hausse par rapport aux élections législatives de 2018. « Pour moi, cela signifie que les Libanais sont prêts à changer », souligne Jean-Côme.
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L’espoir d’une opposition
De nombreux partis politiques ont émergé de la Thaoura sans réussir à se fédérer ni avoir un projet politique sur le long terme. Cependant, l’espoir qu’une opposition voie le jour au Parlement est bien réelle dans le cœur des Libanais. « Après l’explosion du port de Beyrouth, huit députés ont tenté de questionner le gouvernement. Ils n’ont pas pu car il faut dix députés pour le faire. Ces derniers ont donc démissionné mais ils se présentent aux élections. Avec au moins dix députés de l’opposition, ils pourront avoir du poids au Parlement, proposer des amendements etc., explique Jean-Côme. Le changement prendra 15 ou 20 ans. Mais dès maintenant, on voit une réelle motivation à aller aux urnes. Si à l’issue de ces élections, nous avons dix députés dans l’opposition, en 2026, ils seront peut-être encore plus nombreux. » Pour l’heure, tous les partis sont sur le pont, le Hezbollah en tête. Le vote sunnite est difficilement prévisible avec le retrait de Saad Hariri, chef du parti du Courant du futur.
Marie-Charlotte NOULENS
Marie-Charlotte Noulens est journaliste depuis cinq ans. Elle est passée par la presse locale en Normandie avant de travailler à Bangkok pour « Asie Reportages ». Elle a rejoint ensuite le magazine « Aider les autres à Vivre », pour lequel elle écrit sur des sujets de société, principalement dans des zones touchées par la guerre ou encore, autour de la précarité en Afrique, au Moyen Orient et en Asie du Sud-Est. Elle se déplace à l’étranger et livre dans les colonnes du Méridional ses analyses sur l’actualité internationale.