François-Henri Bolnot est spécialiste dans le domaine de la sécurité alimentaire, de la contamination, de l’hygiène des productions dans l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution. Expert à la cour d’appel de Paris pour la sécurité des aliments et professeur de sécurité des aliments et chef du service hygiène, qualité, sécurité des aliments (HQSA) à l’école nationale vétérinaire d’Alfort, il est aussi chercheur et sollicité par les entreprises pour du conseil. Le Méridional l’a interrogé autour du dossier très actuel de la sécurité alimentaire.
Le Méridional : Pizzas Buitoni, chocolats Kinder, diverses affaires de contaminations… Il semble que les rappels alimentaires se multiplient en ce moment. François-Henri Bolnot, pensez-vous que la « polémique sanitaire » autour de la bactérie E. coli dans les pizzas Buitoni est l’indice réel d’une forme de négligence ?
François-Henri Bolnot : L’affaire est entrée dans une phase judiciaire, l’enquête est en cours, et il faut se montrer très prudent face aux conjectures.
Ce qui interpelle dans l’affaire Buitoni, c’est surtout sa gravité. Des enfants malades, d’autres qui vont conserver des séquelles à vie. C’est une situation très rare. On estime que l’alimentation, de façon directe, est à l’origine d’environ 300, maximum 400 décès par an : c’est peu par rapport à la moyenne des 170 morts journalières entraînées par la cigarette. Mais il est évident que c’est encore beaucoup trop.
En revanche, les contaminations alimentaires sont effectivement courantes – le risque zéro n’existe pas. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que plus les jours avancent, moins on peut passer à côté des problèmes. On a l’impression qu’il y a de plus en plus de choses qui ne vont pas, alors qu’en fait, la sécurité sanitaire s’améliore tous les jours ; en même temps, les failles ou les accidents sont de plus en plus visibles.
la plupart des alertes peuvent être gérées directement par l’entreprise
Les crises que l’on vit aujourd’hui sont notamment dues au fait que l’on a multiplié ce qu’on appelle les « auto-contrôles » dans les entreprises, d’autant plus depuis l’affaire Lactalis [2017, ndlr] et la fameuse loi EGalim [Etats généraux de l’alimentation, ndlr], qui oblige à effectuer des auto-contrôles à la fois sur les produits et sur l’environnement des produits. L’article 50 impose de prévenir les services de contrôle vétérinaires dès qu’il y a un examen défavorable.
On observe donc une multiplication des alertes, qui ressortent médiatiquement. La plupart sont bénignes, et l’entreprise peut très facilement les gérer. Dans la majorité des cas, les problèmes sont corrigés directement au niveau de l’entreprise.
L.M : Comment les consommateurs sont-ils protégés en France ? A quelles échelles les vérifications sont-elles effectuées ?
F-H B : Les auto-contrôles se sont développés avec la « nouvelle » réglementation européenne des années 1980. On a transféré la première responsabilité du contrôle des aliments aux professionnels, en leur disant : « Vous êtes les premiers responsables de ce que vous faites, et vous avez même l’obligation de vérifier la sécurisation de votre production », à travers donc ce qu’on a appelé des auto-contrôles. Ces derniers ne sont pas nouveaux, mais ils ont augmenté depuis la loi EGalim.
les professionnels ont intérêt à ce que leurs consommateurs soient en bonne santé…
Il y a trois niveaux de maîtrise : d’abord, celle qui repose sur les professionnels. Qui plus qu’eux ont intérêt à ce que leurs consommateurs soient en bonne santé… Ensuite, un niveau intermédiaire, où le contrôle repose sur des tiers de confiance indépendants : les organismes de certification. Enfin, le contrôle régalien des services officiels. Dans un monde bien fait, ce dernier contrôle pourrait être extrêmement léger !
L.M : La France est-elle plutôt en pointe sur le dossier de la sécurité alimentaire ?
F-H B : Je pense sincèrement que parmi les camarades de l’Union européenne, la France est un bon élève, voire un excellent élève. Elle a pris plusieurs obligations en plus de celles de l’Union européenne, comme des obligations de température. L’administration est compétente, les gens sont bien formés, en revanche, les effectifs pourraient être renforcés, c’est une évidence.
L.M : Comment cela se passe-t-il entre les vérifications à l’échelle européenne et celles effectuées à l’échelle nationale ?
F-H B : Au niveau européen, le pays qui reçoit en premier une denrée est responsable de son contrôle. Il y a donc une harmonisation des contrôles au niveau des 27 pays, on a en quelque sorte une obligation de confiance : si un produit arrive d’un territoire extra européen, on fait confiance au pays qui reçoit en premier l’aliment.
En europe, on fait confiance au pays qui reçoit en premier l’aliment
Tous les pays ont la même réglementation, mais cela n’empêche pas chacun des pays d’avoir des plans de contrôle spécifiques. Notamment pour certains types de produits.
L.M : Justement, existe-t-il des produits plus à risque que d’autres ? Des consommateurs plus fragiles ?
F-H B : Bien sûr. On estime que les produits d’origine animale présentent une dangerosité particulière – ce qui fait d’ailleurs que la réglementation les a distingués, à travers une vigilance particulière sur les températures par exemple. L’expérience a montré que les produits végétaux pouvaient aussi être à l’origine de crise [cf la crise des graines germées].
les produits d’origine animale représentent une dangerosité particulière
Il y a aussi ce qu’on appelle les « populations à risque », désignées comme les « YOPI » dans le monde anglo-saxon : Young, Old, Pregnant, Immuno-depressives. Pour ces personnes-là , on prend des précautions plus importantes, voire des restrictions de consommation pour certains types de produits. Un exemple parmi d’autres : en restauration scolaire, les pouvoirs publics ont exigé que les steacks hachés soient servis aux enfants cuits à cœur. Pour les maisons de retraite de même, des précautions particulières sont prises.
Propos recueillis par Jeanne RIVIERE