L’interview de la semaine – Olivier Dard : « Le progressisme est un élément de compréhension de la mondialisation »

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Olivier Dard est professeur à l’université de la Sorbonne (Paris IV). Agrégé et docteur en histoire contemporaine, il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence.

Le Méridional : Olivier Dard, vous avez co-dirigé avec Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois un « Dictionnaire du Conservatisme », puis un « Dictionnaire des populismes », et vous avez publié en février 2022 un « Dictionnaire du progressisme » (éditions du Cerf). L’ensemble forme-t-il une trilogie ?

Olivier Dard : Assurément. Lorsque nous avons mis en route « Le dictionnaire du conservatisme », nous ne pensions pas à une suite. Le thème était dans l’air du temps et la littérature sur le sujet en France bien maigre. Dès sa parution, en 2017, nous avons décidé de ne pas en rester là puisque deux autres termes, populisme et progressisme, scandaient le débat politique. La vague populiste, crainte ou espérée, justifiait de proposer un ouvrage présentant un tableau d’ensemble de ce phénomène. Nous avons donc publié à l’automne 2019 « Le dictionnaire des populismes ». Le progressisme étant plus récemment présenté par ses thuriféraires comme l’antidote des deux précédents, un dernier ouvrage s’imposait. « Le dictionnaire du progressisme » achève un triptyque qui propose un panorama des idées politiques majeures des années 2020.

L.M : Quelles sont les grandes étapes de l’histoire du progressisme en France ?

O.D : Le progressisme découle de l’idée de progrès, née à la fin du XVIIème siècle et qui s’est s’épanouie avec la philosophie des Lumières. Le terme est introduit dans le « Dictionnaire des mots nouveaux » en 1842. Il connaît une vogue importante à partir de la IIIème République en renvoyant cependant à des contextes et à des mouvements politiques très différents. Les « républicains progressistes » de la fin du XIXe siècle sont ainsi des hommes du centre-droit.

Sous la IVe République, l’Union des chrétiens progressistes rassemble des catholiques de gauche proches du parti communiste, tandis que l’Union progressiste réunit les « compagnons de route » de ce dernier. L’ancien dirigeant communiste Robert Hue après avoir quitté le PCF en 2008 a lancé un Mouvement des progressistes, soutien d’Emmanuel Macron en 2017.

le progressisme découle de l’idée de progrès, née à la fin du XVIIème siècle

L.M : Etendez-vous votre étude au-delà des frontières nationales ?

O.D : Absolument. Si le Dictionnaire fait la part belle à la France, il s’inscrit, comme ses prédécesseurs, dans une perspective plus large. Les lecteurs peuvent ainsi découvrir ce qu’il en est du progressisme chez nos voisins européens, du monde méditerranéen à l’Europe centrale et orientale en passant par l’Allemagne et la Grande-Bretagne ; sans oublier les États-Unis et l’Amérique latine.

J’ajouterai que la comparaison internationale ne se limite pas à la possibilité de pouvoir picorer entre des notices sur différents pays. Des entrées thématiques comme celles sur le genre ou la « cancel culture » permettent de mesurer la part des influences étrangères, notamment états-uniennes. Le progressisme n’est pas seulement une question franco-française mais un des éléments de compréhension de la mondialisation.

L.M : Combien d’entrées dans ce « Dictionnaire du progressisme » ? Quel est l’avantage d’une présentation sous forme de dictionnaire ?

O.D : Ce livre est copieux : 260 notices, 1 234 pages. Nous avons fait appel pour le rédiger à plus d’une centaine d’auteurs [Pierre Manent, Mathieu Bock-Côté, Pierre-André Taguieff, Olivier Rey, Arnaud Teyssier…, ndlr], universitaires pour beaucoup. Nous avons fait précéder les notices d’une longue introduction qui entend proposer une mise au point charpentée sur le sujet. La forme du dictionnaire nous paraît bien adaptée car elle donne aux lecteurs la possibilité de prendre en main leur lecture et de se forger un socle de connaissances et de références qui leur permettront de construire leurs propres réflexions et jugements sur le progressisme et les enjeux et défis décisifs qu’il représente. À travers la diversité des plumes sollicitées, les lecteurs pourront passer aussi d’un style à l’autre. Car ce dictionnaire ambitionne aussi de procurer un plaisir de lecture ! 

L.M : En quoi est-il intéressant de réfléchir à la notion de « progressisme » aujourd’hui – et particulièrement en cette période électorale ?

O.D : On peut commencer par inventorier les candidats qui se réclament du progressisme. Il y a Emmanuel Macron, bien sûr, mais pas seulement. Dans des registres différents, Yannick Jadot ou Philippe Poutou ont affiché leur progressisme tandis que Valérie Pécresse déclarait avoir toujours appartenu à « la frange progressiste de la droite ». En face, Marine Le Pen ou Éric Zemmour ont marqué leur opposition au progressisme. Ce balayage effectué, permettez-moi de conclure sur le fait que le débat se situe à un niveau civilisationnel. Quel futur voulons-nous à l’heure des nouvelles technologies et de leurs promesses ? Qu’en est-il du futur de l’homme quand le transhumanisme aspire à l’avènement d’un « homme augmenté » ? Ce sont pour moi des enjeux essentiels posés par le progressisme. 

Propos recueillis par Jeanne RIVIERE

« Le dictionnaire du progressisme », sous la direction de Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois et Olivier Dard, éditions du Cerf, 1 234 pages, 39€.