A partir du 8 avril et jusqu’au 18 octobre 2022 se tiendra à la Vieille-Charité une exposition intitulée « Zeus ou Ammon ? » Censée présenter une réflexion sur les « objets migrateurs », elle est, de fait – et ne s’en cache pas d’ailleurs -, un « projet politique ».
« Aujourd’hui où, particulièrement en Méditerranée, l’accueil de ceux qu’on nomme « migrants » est à l’ordre du jour, les Musées de Marseille entendent revenir sur quelques trajets exemplaires, dédiaboliser l’idée de migration, et montrer comment les objets migrateurs – source d’enrichissements culturels – ont servi à constituer la civilisation que nous disons nôtre, à la diffuser et à la faire évoluer. C’est à l’évidence un projet politique que cette exposition. »
Au milieu de l’inévitable art contemporain et d’un blabla envahissant (l’exposition « se tient au cœur cosmopolite de Marseille, à la Vieille Charité, où un musée d’archéologie et un musée d’arts africains, océaniens et amérindiens ouvrent au maximum l’arc du temps et de l’espace » ; « Il s’agit de faire l’inventaire des types de transformations dus aux migrations. On passe de l’unique – un objet-mémoire parfaitement singulier – au multiple »), on retient que nombreux sont les objets, au cours des siècles, sur lesquels le regard a évolué.
La pièce maîtresse de cette exposition en constitue en effet un bon exemple : la Tête de Zeus-Ammon (un prêt de la glyptothèque – musée consacré à la sculpture – de Munich) est un bijou de finesse de la période hellénistique, rarement exposé à la vue du public. Ni tout à fait Zeus (l’une des plus prestigieuses divinités grecques), ni tout à fait Amon (divinité égyptienne) : c’est bien Zeus Ammon qui s’offre au regard (et prend un deuxième « m » en français) ; un des nombreux exemples de « divinités fédératrices » que les chefs politiques ont intégré à la culture de leur époque, souvent pour s’attacher l’assentiment des populations dominées. Ces formes de syncrétisme ne sont pas rares, et elles sont passionnantes à étudier.
Mais l’intitulé de l’exposition est trompeur, et celle-ci ne se cantonne pas à ces exemples finalement très « classiques », appartenant sans doute trop à la « civilisation que nous disons nôtre ». Elle prétend tout mettre dans le même sac : les migrants qui traversent aujourd’hui la Méditerranée sur de fragiles embarcations sont comparés au héros grec Enée, et les bouteilles de plastique d’un « ecoboat » sont « de contemporaines amphores ».
Dans la présentation des « objets migrateurs », certaines petites phrases n’ont l’air de rien, mais en disent long sur la mentalité avec laquelle a été réalisée l’exposition. Lorsque l’on parle du musée colonial de Marseille, on souligne combien les objets ont été victimes d’un « système de classification occidentale » ; mais aussi combien, aujourd’hui, ils représentent un « maillon essentiel dans la recherche des provenances en lien avec les questions de restitution de patrimoine ».
Bref, une belle exposition politique de la ville de Marseille qui veut montrer (le relativisme est bien d’actualité) que les « objets migrateurs » sont « déconnectés de toute identité définitive ». On avait vraiment besoin de cela pour « dédiaboliser l’idée de migration ».
Raphaëlle PAOLI