Et si l’invasion de l’Ukraine avait été réalisée en urgence ? Et si, de ce fait, la préparation de l’armée russe avait été négligée ? Cette invasion a, en fait, débuté en 2014, lors de la prise de la Crimée et la création de deux territoires séparatistes pro-russes : Louhansk et Donetsk.
Une période de huit ans est passée ; logiquement, on aurait pu s’attendre à la poursuite de l’invasion du territoire ukrainien après l’épisode de la Crimée. Les justifications historiques de Vladimir Poutine étaient déjà présentes en 2014.
Alors, pourquoi avoir choisi cette date du 24 février 2022 ? Que s’est-il passé entre-temps qui a incité le Kremlin à déclencher une « blietzkrieg » aussi aléatoire ?
Des « fenêtres de tir » alignées
Il semble que plusieurs « fenêtres de tir » – justifiées ou supposées – se soient alignées juste avant l’invasion, qui pourraient justifier cette urgence.
• La faiblesse de l’OTAN : le 7 novembre 2019, le président Emmanuel Macron déclare que l’OTAN est « en mort cérébrale » et il n’est pas vraiment démenti.
• La faiblesse de l’Union européenne : la Pologne et la Hongrie sont mis à l’amende par la Commission européenne et l’Europe est déstabilisée par les migrants arrivant de Biélorussie (action téléguidée par la Russie ?)
• La faiblesse des Etats-Unis : le désastre de l’Afghanistan décrédibilise les actions américaines et l’administration américaine est supposée concentrée sur l’Asie (pivot asiatique) plutôt que sur l’Europe.
• Les élections présidentielles en France : l’exécutif va se concentrer sur le « national » plutôt que sur l’international.
• Le renforcement de l’« alliance » Russie-Chine. Début février, Vladimir Poutine rencontre le Président Xi Jinping lors des Jeux olympiques de Pékin.
• Le départ d’Angela Merkel : en décembre 2021, Angela Merkel, « alliée » de V. Poutine, n’est plus chancelière ; il faut donc aller vite pour éviter que son successeur Olaf Scholz ne s’installe.
• On peut ajouter à ces raisons le peu de réactions européennes et américaines face à l’événement de Crimée en 2014 ; et l’esprit de revanche de Vladimir Poutine. Celui-ci se sent en position de force.
L’OTAN « remis en selle »
L’Union européenne sort, d’une certaine façon, renforcée de cette crise ukrainienne et les Etats-Unis ont « remis en selle » l’OTAN en renforçant l’alliance atlantique avec deux nouveaux membres potentiels : la Suède et la Finlande. Mésestimation politique, donc, de l’UE et de l’OTAN ?
Une invasion en difficulté ?
Par ailleurs, on observe aujourd’hui que cette invasion est en difficulté. A cela encore, plusieurs explications possibles.
• Une armée russe mal préparée. Un matériel peu moderne, une logistique et une communication inadaptées ; une motivation des troupes potentiellement entamée (soldats conscrits ?)
• Pas de réels objectifs prioritaires, pas de réelle stratégie. Des actions sur trois fronts (Nord, Est et Sud) qui provoquent un éparpillement des forces armées.
• Une sous-estimation de la résistance ukrainienne et un mépris du rôle du président ukrainien Wolodymir Zelenski.
• Une mauvaise appréciation de l’accueil des troupes russes par la population ukrainienne.
• Une erreur sur l’appréciation des réactions de l’UE et de l’OTAN en ce qui concerne la rapidité, le volume et l’efficacité de l’aide militaire (armes) et de la logistique.
• Le « momentum » de l’invasion, à savoir des conditions météorologiques qui correspondent à la « raspoutitsa », ou fonte des neiges (cf la campagne de Russie de Napoléon Ier en 1812 ou l’ « Opération Barbarossa » en 1941-1942…)
Et maintenant ?
Il semble que la stratégie russe soit maintenant axée sur l’occupation du Donbass et de l’Est (quel Est ?) de l’Ukraine. Qu’en est-il du Sud ? Verra-t-on une offensive jusqu’à Odessa pour avoir une présence continue au nord de la mer Noire ? Par ailleurs, Kiev ne serait plus une priorité.
Si ce qui précède s’avère exact, on est en droit de se poser la question : tout ça pour ça ? Ces milliers de morts et blessés civils et militaires des deux côtés pour arriver à se « contenter » du Donbass et de l’Est de l’Ukraine ?
Les négociations actuelles sont, bien sûr, les bienvenues mais il faut rester extrêmement prudents et ne surtout pas baisser la garde. Les Russes, et en particulier Vladimir Poutine, nous ont habitués, dans le passé et dans le présent, à étaler des promesses et des affirmations qui n’ont pas été suivies d’effets. Il faut attendre la signification des pourparlers actuels et leurs conclusions sur le terrain pour avoir une réelle vision de ce que peut être le futur de l’Ukraine.
Alain BOGE
Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment donné des cours à l’université de Lyon 3, à Lille et en Inde. Il enseigne actuellement à l’université de Prague et à l’European Business School de Paris.