Le tollé soulevé et justifié par l’annonce de la vente des collections de la Chambre de Commerce de Marseille a conduit son président à intervenir et à préciser la position de l’Institution. Celle-ci ne serait pas, ou plus, l’ouverture vers une vente aux enchères du patrimoine mais seulement une procédure d’évaluation de la richesse patrimoniale. Cette évaluation, au demeurant, ne concernerait que 187 œuvres sur les 50 000 en dépôt. Il est évident que la confirmation de cette seule évaluation devrait se concrétiser par l’annulation immédiate de l’appel d’offres qui a été lancé. Ce qui n’est pas fait, sauf preuve du contraire.
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Une richesse patrimoniale inattendue
Le plus important dans l’intervention du président de la Chambre consulaire est moins la minimisation de la démarche dite désormais de « simple évaluation » que l’annonce du volume et de la qualité du patrimoine détenu par la Chambre : 50 000 œuvres ! C’est considérable.
Il a toujours été considéré que le musée de la marine de la Chambre de Commerce de Marseille était un « petit musée ». Un petit musée ne couvrant, comme l’a rappelé le président, que 300 m2, ne présentant que 160 œuvres et ne totalisant que 7 entrées par jour. Dans ces conditions, rien de plus normal que de fermer cet espace si peu digne de recevoir la qualification de « musée » et ne suscitant, par ailleurs, aucun intérêt du public.
Or ce public apprend aujourd’hui que l’Institution détient 50 000 œuvres. Excusez du peu ! La Chambre n’a jamais communiqué publiquement sur l’étendue et la richesse de ses collections, pas plus qu’elle n’a mis en valeur son « petit musée ».
L’immensité, c’est le cas de le dire, de ce patrimoine rend sa conservation encore plus nécessaire. Ne sont donc pas appelées à disparaître des « peccadilles » mais un véritable trésor culturel constitué au fil des siècles, ce qui fait de la Chambre de Commerce de Marseille un organisme sans équivalent et sans commune mesure avec les autres Chambres-sœurs.
Comment la Chambre a-t-elle acquis un tel patrimoine maritime et culturel ?
Il faut pratiquement de remonter au rattachement de la Provence au Royaume de France en l’an 1481. Marseille devient alors la place la plus importante du commerce maritime et, tout particulièrement, du commerce avec le Levant. Dès 1493, un Conseil de ville est constitué et ses 72 membres élisent trois consuls. Les temps sont agités et ces agitations troublent le commerce. Il convient de réagir. Le commerce n’a jamais aimé les troubles.
marseille entretient une relation unique et séculaire avec la mer
En 1535, François Ier avait signé les Capitulations avec Soliman le Magnifique. Le commerce marseillais reprenait mais la piraterie barbaresque subsistait. Henri IV vint au secours de Marseille ; le 5 août 1599 naissait la Chambre de Commerce, du moins son embryon. Quatre « surveillants sur le fait du commerce » étaient nommés. À eux la charge de remettre le commerce « en son état de splendeur, le garder de toutes avaries et saccagements … »
Les nouveaux « députés du commerce » se rendent au Levant, voyagent à travers l’Europe, visitent Londres, entretiennent des relations diplomatiques, délibèrent, rendent compte au Roi. Tout cela est archivé, conservé. La plus ancienne Chambre de Commerce de France constitue, dès lors son patrimoine, dès les XVIème et XVIIème siècles. Rôle unique qui dépasse la ville pour concerner le royaume lui-même.
Tout ce qui est navigation concerne la Chambre, et la Chambre s’occupe seule du commerce. Y compris de la sécurité en mer : sur les conseils de notre fameux Chevalier Paul, elle arme une « galère garde-côtes » et l’entretient.
La grande époque du XIXème siècle, avec l’ouverture du Canal de Suez, les relations avec les Colonies, le développement des grandes compagnies maritimes, fait de Marseille et de sa Chambre de Commerce la place incontournable et rayonnante. La Chambre est riche et resplendissante dans son nouvel et magnifique écrin. Un palais inauguré par Napoléon III.
Des élus consulaires éclairés et son personnel de direction accumulent les richesses patrimoniales au point d’atteindre ces 50 000 œuvres ! Quelle magnifique Histoire. Seule la Chambre de Commerce de Marseille en a connu pareille !
Que faire d’un tel et unique patrimoine maritime et culturel ?
Surtout ne pas le vendre. Surtout ne pas l’éclater. Mais le transmettre.
Marseille a, depuis ses origines et par définition, entretenu une relation exceptionnelle avec la mer. Une relation historique, séculaire, millénaire. Le patrimoine de la Chambre est une richesse pour Marseille, mais au delà de Marseille pour la France. On ne gère pas cette richesse sans réflexion approfondie. C’est à cette réflexion que j’invite.
La recentralisation des activités de la Chambre de Commerce peut se comprendre. Le Port était devenu « autonome » ; l’aéroport se gère hors de sa compétence … Le souhait d’une évolution dans la gestion du patrimoine culturel peut se justifier, mais pourquoi se torturer l’esprit pour trouver une solution alors que la solution existe.
Le PAMM : Patrimoine Maritime en Méditerranée
Le projet d’un Grand Musée maritime pour Marseille et dont Marseille ne peut raisonnablement se passer existe. C’est le projet PAMM conduit par M. Bruno Terrin et l’équipe qui l’entoure et l’assiste. Les statuts du PAMM sont prêts, les actions décrites, les ambitions pour Marseille affirmées, le contenu muséal en partie prévu. L’équipe est sur pied, compétente, motivée, volontaire.
Mais que faut-il de plus ? Il suffit de trouver un lieu d’implantation. Le président Jean-Luc Chauvin, dans son interview, l’évoque. Qu’il en soit remercié. Nous attendons maintenant que la Chambre de Commerce de Marseille s’implique. S’implique comme « Chambre de commerce de Marseille ». Qu’elle aide à l’obtention de ce lieu. Quelle belle mission dans la droite ligne de ses prédécesseurs qui ont permis la constitution, la préservation et la richesse du fonds patrimonial, culturel et maritime de cette Chambre qui lui a confié sa destinée. Le président se doit d’être à la hauteur des espérances de tous les Marseillais attachés à leur histoire. Nous l’en remercions. Combien en sera t-il grandi et honoré !
Inutile de chercher ailleurs ce que nous avons sous les yeux. Alors, dans un même élan, la richesse patrimoniale unique de la Chambre sera préservée. État, Chambre, Institutions régionale, départementale, municipale et associations se doivent d’agir de concert pour le rayonnement maritime de Marseille. Quand on parle de mer, on parle d’équipage. Il nous faut un équipage institutionnel uni pour faire émerger des flots ce Musée maritime dont Marseille ne peut se priver. Et ce musée attend. Il suffit de le faire sortir de sa forme de radoub et le faire naviguer.
Jean-Noël BEVERINI
Jean-Noël BEVERINI appartient à l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille.