Le titre donne le frisson, l’histoire impressionne. « Ils vivent enchaînés ; une vie à sauver les « ensorcelés », les derniers oubliés d’Afrique ». Le livre de Grégoire Ahongbonon, paru il y a quelques mois aux éditions Artège, n’est pourtant pas un roman. Dans un récit à la première personne, ce Béninois témoigne de trente ans de lutte pour sauver les malades mentaux.
Le tableau est sombre, mais reflète une réalité qui, si elle diffère entre Europe et Afrique dans les origines, l’est à peine dans les traitements ; il n’est pas si loin en effet le temps où, en France notamment, « les fous » étaient traités avec une désinvolture médicale totalement contre-indiquée.
En Afrique, les malades mentaux sont considérés comme des impurs et des possédés. Ils font peur. D’où le fait qu’ils sont traités comme des objets, enchaînés aux arbres, éloignés des villes et des villages. Des « damnés vivants ». Certains exemples sont glaçants, comme celui du maire d’un village qui, avant des festivités collectives, demande qu’un camion poubelle embarque les malades errants pour les décharger dans la brousse.
Une vie ordinaire
Rien ne semblait prédestiner Grégoire Ahongbonon à un rôle de sauveur. Né au Bénin, le jeune homme part habiter en Côte d’Ivoire pour y gagner sa vie. Intelligent et travailleur, il monte une entreprise de taxis qui prospère. Sa vie est simple et heureuse : travail, épouse, enfants… jusqu’au jour où il paraît frappé du « mauvais sort » : ses taxis ont plusieurs accidents, et l’un d’entre eux tue un enfant. Pour Grégoire, c’est un choc. Alors que les dettes s’accumulent, il est proche du désespoir.
De cette période difficile, il tirera un courage et une foi incroyables. De fil en aiguille, il comprend qu’il pourrait lui-même tirer du désespoir un certain nombre d’exclus de la société. De l’association Saint-Camille (de Lellis) créée en 1981 naîtront des initiatives pour sauver les malades mentaux, mais aussi les enfants des rues, les lépreux, les prisonniers…
Ce beau livre, écrit avec une simplicité lumineuse, est le récit de trente années dévouées à « briser l’esprit de fatalité qui pèse sur les malades », en les libérant certes, mais surtout en les occupant et en échangeant avec eux, puisque « Très souvent, la maladie mentale se nourrit du sentiment d’inutilité, qui mine le moral des patients, les empêche de reprendre confiance en eux. »
Jeanne RIVIERE
« Ils vivent enchaînés ; une vie à sauver les « ensorcelés », les derniers oubliés d’Afrique », Grégoire Ahongbonon, avec la collaboration de Thomas Oswald, auteur et journaliste, éditions Artège, 15,90€, octobre 2021.