« Odessa, c’est notre Marseille à nous ! »

Le port d'Odessa © WKMC

Que dirait Armand-Emmanuel-Sophie-Septimanie de Vignerot du Plessis (1766-1822), plus simplement nommé sous son titre, duc de Richelieu (de la famille du Cardinal), en voyant toute cette agitation inquiète autour de lui ? Son imposante statue qui trône sur une place d’Odessa est seulement l’un des symboles restants des liens existant entre ce territoire et la France. Odessa, ville portuaire de la mer Noire située aux confins méridionaux de l’Ukraine, se prépare actuellement à une invasion russe. Alors que Mikolaiv, située à une centaine de kilomètres de là, est visée par les frappes russes, le poumon économique ukrainien ne se fait plus d’illusion ; mais est bien décidé à se barricader.

Odessa est une ville particulière. A l’époque de la tsarine de Russie Catherine II, celle-là même qui avait proposé à notre Français Armand du Plessis de s’engager dans son armée – il deviendra plus tard gouverneur d’Odessa, d’où la statue – la ville était pensée comme une tête de pont face à l’empire ottoman. Comme un verrou européen. Il faut dire que le duc de Richelieu l’a considérablement développée. Odessa, édifiée en 1794 à partir d’une ancienne forteresse ottomane (par des architectes français) était destinée depuis les origines donc, à jouer le rôle d’une « fenêtre ouverte Â» de la Russie sur la mer Noire, et donc sur la Méditerranée.

la ville est pensée comme une « fenêtre ouverte » sur la méditerranée

Cette création rapide est aussi l’une des raisons du caractère historiquement cosmopolite de la ville. En effet, Catherine II puis Alexandre Ier invitèrent commerçants et colons étrangers à s’y installer. Le port jouit de certains privilèges et croît avec cette empreinte propre, et – comme souvent dans le cas d’un port de commerce ouvert sur l’étranger, qu’on pense à La Rochelle par exemple, ou à Marseille ! -, indépendante. Pour les Russes, c’est déjà une ville européenne. Pour les Européens, c’est déjà une ville d’Orient. En vérité, sa place privilégiée en fait dès ses origines un mythe au carrefour des civilisations. Il faut dire que les langues, les religions et les cultures s’y mêlent.

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A partir de la décennie 1870, la « russification Â» se fait tout de même sentir. Si le climat libéral (tant économique que politique) reste présent, le pouvoir central entend reprendre la main sur la gestion de la ville, Odessa perd son statut de port-franc ainsi que son gouverneur. Les liens avec l’Europe se distendent au début du XXème siècle, en particulier après la révolution bolchévique de 1917. D’abord utilisée comme « grenier de la nouvelle Russie Â», elle subira de plein fouet les conséquences de « l’holodomor », la famine génocidaire des années 1930. Odessa n’échappe pas non plus aux violences nazies pendant la Deuxième Guerre mondiale. L’Histoire avance, et Odessa est intégrée en 1991 à la nouvelle Ukraine indépendante.

Le théâtre d’Odessa © WKMC

Mais la ville n’a plus cette folie d’autrefois. Désormais officiellement européenne, elle ne parvient plus vraiment à se situer. Ukrainiens et Russes s’y côtoient sans véritable harmonie. Entre Orient et Occident, entre Russie et Europe : la position géographique et l’histoire d’Odessa définissent un destin incertain.

« J’étais à Odessa la belle. / Le ciel là-bas est longtemps clair / Le commerce hisse ses voiles:/ Il est actif et opulent./ Là-bas tout a un air d’Europe./ On sent qu’on est dans le Midi./ On voit briller mille couleurs./ On entend sonner dans les rues/ La belle langue d’Italie ;/ On voit passer des Slaves fiers,/ Des Français, des Grecs, des Moldaves,/ Des Arméniens, des Espagnols,/ Et Maure-Ali, vieil Égyptien,/ Corsaire aujourd’hui retiré. Â» écrivait le poète Pouchkine dans « Eugène Onéguine Â» (1833).

L’ancre d’Odessa actuellement installée devant la mairie de Marseille © DR

De son côté, l’écrivain Isaac Babel (1894-1940) soulignait : « Odessa, c’est notre Marseille à nous ! Â» Ce n’est pas un hasard si la « Perle de la mer Noire Â» est jumelée avec Marseille depuis 1972. La tradition d’amitié entre Marseille et Odessa remonte à loin. Les deux villes se ressemblent à bien des points de vue.

Jeanne RIVIERE