Retrouvez le mot de Jean-Noël Beverini, de l’Académie des Lettres, Sciences et Arts de Marseille, commissaire de la Marine nationale, qui tient à réagir dans les colonnes du Méridional, à propos de la vente potentielle de la collection maritime de la Chambre de Commerce de Marseille.
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Connaissez-vous Joseph Capus, Guillaume de Paul, Sébastien Bertaud, Jules Julliany, Adrien Artaud, Louis Bergasse, Etienne Houllevique ?
Les noms de ces sept personnages ne vous évoquent peut-être rien. Je ne vous en veux pas. Si j’ajoute à cette liste les noms d’Alexis-Joseph Rostand, d’Eugène Rostand et de Jean Reynaud, ma question prend de l’épaisseur.
Ces dix hommes, pour ne citer qu’eux (il y en a d’autres), partagent deux qualités : celles d’avoir été élus à l’Académie de Marseille et d’avoir appartenu à la Chambre de Commerce de la Cité phocéenne.
Tous ont eu une main active et fructueuse dans l’action économique et consulaire et l’autre, tout aussi heureuse, dans la Culture. Ils sont l’exemple illustre de Marseillais attachés à l’activité économique et commerciale et pleinement conscients de l’importance de l’Art, de l’Histoire, des Sciences et des Lettres. Vous me permettrez de vous les présenter très brièvement.
Joseph CAPUS naît à Marseille le 27 juillet 1747. Secrétaire de la Chambre de Commerce, il est élu à l’Académie de Marseille.
Guillaume de PAUL, deuxième échevin de Marseille, membre de droit par son statut de la Chambre de Commerce, est élu à l’Académie de Marseille le 9 août 1763.
Sébastien BERTAUT, né le 10 avril 1807, Secrétaire de la Chambre de Commerce est élu au fauteuil 34 de l’Académie et déclare : « De temps immémorial, Marseille a marché à la tête de la civilisation et du commerce ». Déjà, Commerce et Culture marchaient d’un même pas.
Jules JULLIANY, négociant, économiste très écouté de la Chambre de Commerce, est élu à sa présidence puis est reçu à l’Académie de Marseille en 1848.
Adrien ARTAUD, né le 26 septembre 1859, préside la Chambre de Commerce de 1913 à 1920 et est élu à l’Académie le 8 juin 1916, dont il sera chancelier et directeur.
Louis BERGASSE (1875-1955) Secrétaire général de la Chambre de Commerce, est élu à l’Académie en février 1945.
Etienne HOULLEVIQUE, né à Marseille le 9 mars 1910, élu à l’Académie de Marseille le 20 janvier 1966, était Secrétaire général puis directeur de la Chambre de Commerce.
Alexis-Joseph ROSTAND, arrière-grand-père d’Edmond Rostand, est élu à la présidence de la Chambre de Commerce au mois de novembre 1832, jusqu’en novembre 1837.
Etienne ROSTAND, père d’Edmond, est accueilli par l’Académie le 29 juillet 1875. Dix ans plus tard, il recevra Frédéric Mistral.
Jean REYNAUD, né le 7 décembre 1889, archiviste comme son père Félix Reynaud, dirigea le service des archives de la Chambre de Commerce et créa… le musée de la marine et des Colonies de la Chambre. Élu à l’Académie de Marseille, il en fut directeur en 1952. L’académicien, père fondateur du musée de la Chambre de Commerce, doit se retourner dans sa tombe.
Ces quelques noms illustres démontrent les liens qui existaient depuis des siècles entre les deux Institutions, la Chambre de Commerce de Marseille et l’Académie. L’Économie et la Culture se reconnaissaient sœurs. Elles partageaient les mêmes sièges, les mêmes assemblées, les mêmes valeurs, le même esprit. Par le commerce et l’industrie, la Culture, les Sciences, les Lettres et les Arts elles manifestaient conjointement la volonté commune de rayonnement de Marseille.
Cette communauté d’esprit et de pensée est aujourd’hui rompue. En supprimant son musée, en mettant à l’encan ses trésors maritimes, artistiques et culturels, la Chambre de Commerce brise ce mariage si harmonieux entre l’Action et la Pensée, entre l’Économie et la Culture.
L’Économie assassine la Culture. L’Économique couche au sol le Culturel.
En créant un espace de restauration à la place de son musée, la Chambre de Commerce nourrit les corps ; elle affaiblit l’esprit. L’homme ne se nourrit pas simplement de pain ! La Chambre descend au niveau d’un prestataire de services gastronomiques alors qu’elle était un messager de Culture. La Chambre fait du commerce en vendant sa Culture et remplace par un « c » minuscule une majuscule qui l’honorait.
J’ai eu l’honneur d’être nommé en responsabilité du Conservatoire de la marine nationale qui présente des collections exceptionnelles d’uniformes, objets et richesses de notre marine et de compétence de son Commissariat. Quelle aurait été notre réaction si une vente et une « dilapidation » de ses trésors avaient été décidées ? Inimaginable !
À Marseille l’inimaginable est réalisable !
On ne détruit pas son histoire. On n’abandonne pas son âme. On ne renie pas son passé. On ne raye pas sa mémoire.
Or, c’est bien cela qui se produit à Marseille. La Chambre de Commerce lance une bombe sur notre patrimoine, bombe qui l’éclate entre de multiples acheteurs rompant l’unité et la cohérence d’une collection-vitrine de notre histoire maritime et commerciale.
Cet éclatement, cet abandon irraisonné, injustifié, irresponsable, sont une imposture. Le patrimoine maritime des Marseillais et de Marseille va s’envoler on ne sait où. Quand le patrimoine n’est pas détruit, il s’évapore !
Je ne veux pas être chauvin, mais il y a une limite aux excès ! Marseille, fais entendre ta voix ! Marseille et ton Académie, tes Institutions, tes collectivités diverses, tes associations, tes personnalités, tes hommes et tes femmes, tous tes citoyens de bon sens.
Une pétition vient d’être lancée par le PAMM, « Patrimoine Maritime en Méditerranée », remarquable structure destinée à faire émerger à Marseille un lieu dédié à son patrimoine maritime. Elle est proposée à votre attention et à votre signature. Partie prenante, je la soutiens et compte sur votre enthousiaste participation.
Jean-Noël BEVERINI
Jean-Noël BEVERINI appartient à l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille.