Si, pour beaucoup d’entre nous, l’ère stalinienne est bel et bien du domaine de l’histoire, des témoignages comme celui de Levan Berdzenichvili viennent rappeler que le modèle soviétique a longtemps fait des victimes. Dans « Ténèbres sacrées » (éditions Noir sur Blanc), l’écrivain géorgien raconte, avec un humour joyeux plutôt que noir, ses souvenirs d’emprisonnement dans les années 1980.
C’était encore, sous Brejnev (1906-1982), la mode des « camps de rééducation » : pour avoir créé, avec son frère, le premier parti politique clandestin de Géorgie, Levan Berdzenichvili est incarcéré. Le jeune homme de 25 ans, paradoxalement, passera dans sa prison les « trois meilleures années de [s]a vie » : idée qui peut surprendre quand on sait les conditions de vie ignobles des victimes du système répressif.
On se souvient de ces grands intellectuels, comme Varlam Chalamov ou, bien sûr, Alexandre Soljenitsyne, qui ont dépeint l’immense solitude des prisonniers. Ici, les insoumis de différents horizons sont réunis dans les geôles : du poète au mathématicien en passant par le philosophe. La fin de la journée est pour eux l’occasion de débats interminables et enflammés, à la manière des disciples de Socrate. Entre récit historique et mémoire de compagnonnage, le récit de Levan Berdzenichvili recèle certainement une dimension spirituelle, à la façon d’un évangile.
Tout n’est pas lumineux dans cette cohabitation – les lettres de dénonciation par exemple ; l’écriture de l’auteur, elle, l’est sans aucun doute. Ces « ténèbres sacrées » offrent une vision de l’homme profondément délicate.
Jeanne RIVIERE
« Ténèbres sacrées », de Levan Berdzenichvili, éditions Noir sur Blanc, 272 pages, 21,50 €. Traduit du géorgien par Maïa Varsimashvili-Raphaël et Isabelle Ribadeau Dumas. En librairie depuis le 10 février 2022.