Le président russe Vladimir Poutine ne semble pas assouplir sa position et la situation en Ukraine se détériore de jour en jour. La tension est encore montée d’un cran et les Etats-Unis ont annoncé dimanche 23 janvier une évacuation des familles de ses diplomates « en raison de la menace persistante d’une opération militaire russe ». Les pays de l’OTAN ont placé leurs forces militaires en alerte et envoyé des navires en mer Baltique (Danemark, Espagne) et des avions de combat F-16 et F-35 (Danemark, Pays-Bas) en Lituanie et en Bulgarie. La France s’est dit prête à envoyer si nécessaire des troupes en Roumanie, sous commandement de l’OTAN.
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Vingt navires de la marine russe se sont immédiatement déployés, lundi 25 janvier, en mer Baltique pour des « manœuvres navales », selon l’agence de presse RIA. Il ne faut pas oublier la présence de Kaliningrad, un territoire en plein centre de l’Europe, et qui est aussi la base russe de la flotte de la Baltique.
Parallèlement, les Etats-Unis ont annoncé le 24 janvier avoir placé 8 500 militaires pour les déployer en Europe, dans le cadre de l’OTAN, en riposte à une éventuelle invasion de l’Ukraine par les forces russes.
La Grande-Bretagne, par l’intermédiaire de sa ministre des Affaires étrangères Liz Truss a indiqué savoir que « le gouvernement russe cherche à installer un dirigeant prorusse à Kiev, et l’ancien député ukrainien Ievgueni Mouraïev serait considéré comme un candidat potentiel. » De son coté, Boris Johnson conserve un discours va-t-en-guerre en promettant à la Russie une « nouvelle Tchétchénie ».
Si les Etats-Unis ont affirmé lundi n’avoir « aucune divergence » avec les Européens au sujet des sanctions à imposer à la Russie, une position unifiée des Vingt-Sept reste difficile. Certains pays sont partisans de la fermeté et des sanctions alors que d’autres souhaitent instaurer et poursuivre un dialogue avec Moscou. L’Allemagne est, par exemple, dans une position ambigüe en raison de ses liens économiques avec la Russie et, plus généralement, de la tradition de la diplomatie allemande, l’« OstPolitik » initiée par Willy Brandt. Les options de sanctions semblent prêtes du côté européen : réduction des achats de gaz et de pétrole, soutien financier (voire militaire ?) à l’Ukraine… mais avec prudence pour l’instant. Le président français, à la tête de l’Europe pour six mois, est partisan d’un « chemin de désescalade ». Ce qui pourrait confirmer une autre partie de la stratégie de Poutine (qui n’est pas nouvelle) : diviser l’Union européenne.
Que veut Moscou ?
Vladimir Poutine ne veut pas d’une Ukraine forte, donc refuse qu’elle adhère à l’OTAN ou à l’Union européenne.
En bref : la Russie se dit menacée par l’expansion de l’OTAN et, en particulier, par l’éventualité de l’Ukraine d’entrer dans l’alliance atlantique. C’est une sorte de chiffon rouge agité devant Vladimir Poutine. Tout en niant toute velléités d’invasion, le Kremlin masse 150 000 hommes à la frontière sud-est avec l’Ukraine, organise des manœuvres militaires avec la Biélorussie à la frontière nord et en Crimée au sud avec la flotte de la mer Noire, et déploie des navires de combat dans la Baltique.
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Vladimir Poutine conditionne la désescalade à des garanties pour la sécurité de la Russie. Moscou exige donc un traité excluant tout élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie, et la fin des manœuvres et des déploiements de militaires de l’OTAN et de ses alliés en Europe de l’Est ; ce qui revient à demander à l’Alliance atlantique le retour à ses frontières de 1997. Or, la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint l’OTAN après 1997. Interrogé sur cette question, le ministère russe des Affaires étrangères a été clair : Moscou souhaite que toutes les troupes étrangères, armes et matériels militaires soient retirés de ces deux États. D’autres pays européens sont concernés, comme la Pologne et les pays baltes.
Ces conditions sont non négociables pour Moscou, mais évidemment inacceptables pour les Occidentaux, en particulier pour les Etats-Unis. Après le désastre afghan, qui a sérieusement entamé la crédibilité de Joe Biden, accepter les conditions de Vladimir Poutine en l’état serait un maelström diplomatique.
Quelle est la stratégie de Vladimir Poutine ?
Le président russe sait vraisemblablement que l’ampleur de ces conditions sont inenvisageables pour les Etats-Unis, l’OTAN et l’Union européenne. C’est un jeu d’intimidation. Donc, a priori, il pourrait s’agir d’un test « grandeur nature » pour savoir jusqu’où les trois entités citées ci-dessus peuvent aller. Cela peut correspondre à une négociation win-win : « Je demande beaucoup tout en sachant que j’obtiendrai moins, mais ce moins me satisfait. »
Donc, in fine, Moscou pourrait se contenter de l’annexion du Donbass, mais avec une vraie résistance de la part de l’armée ukrainienne. Quels que soient les résultats des négociations, Vladimir Poutine aura confirmé le rôle de la Russie sur l’échiquier international et se sera imposé comme l’interlocuteur privilégié de Joe Biden. Car il y a peut-être un paramètre psychologique qu’on oublie, c’est la personnalité de Vladimir Poutine. Le président russe a subi l’anéantissement de l’URSS comme un humiliation et poursuit l’idée de restaurer la grandeur historique de l’empire russe – ou soviétique. Tout obstacle à ce projet entraîne une réaction qui peut s’avérer exacerbée. D’où ce besoin de protection et de sécurité de la Russie et de ses frontières (cf la surveillance de « l’étranger proche »). La question est de savoir, après l’annexion éventuelle du Donbass ou l’invasion de l’Ukraine (qui n’est pas strictement à écarter), si cette stratégie s’arrêterait à l’Ukraine.
La région de la Baltique
Si on regarde la géographie des frontières russes, on s’aperçoit qu’en Europe, la Russie est frontalière avec les pays baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie. Tous ces pays ont fait partie de l’ex-URSS. L’Ukraine est-elle un « coup stratégique » ou un « galop d’essai » ? Il est, bien sûr, trop tôt pour le dire mais on peut imaginer un plan d’envergure à moyen terme. Il y a un certain temps maintenant que les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) se sentent visés par l’expansionnisme russe. L’histoire entre ces trois pays et la Russie a toujours été mouvementée, et la Russie les considère toujours comme appartenant à sa zone d’influence.
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Les pays baltes ont annoncé l’envoi de missiles antichars et anti aériens en Ukraine. La Suède et la Finlande (1 340 kilomètres de frontière commune avec la Russie) envisagent, à moyen terme, de demander à entrer dans l’OTAN. L’Estonie et la Lettonie ont une frontière commune avec la Russie et la Lituanie avec la Biélorussie, satellite de la Russie. Avec la base militaire de Kaliningrad, c’est une sorte d’encerclement. Le dénouement de l’affaire ukrainienne pourrait être la clé de l’avenir pour ces pays.
Les négociations vont se poursuivre pour calmer les surenchères russe et américaine et l’Union européenne a son rôle à jouer. Encore faut-il que l’UE s’impose dans lesdites négociations qui seront, bien sûr, un test pour la présidence française.
Alain BOGE
Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment enseigné à l’Université Lyon 3 (IAE), à la Delhi University-Inde (School of Economics), à l’IESEG School of Management Lille-Paris. Il donne actuellement des cours à la Czech University of Life Sciences-Dpt Economy-Prague, à la Burgundy School of Business (BSB)-Dijon et à la European Business School (EBS)-Paris.