Discret, peu tapageur ou bagarreur, le criquet de Crau fait partie de ces bons élèves qui passent inaperçus jusqu’à leur disparition. Découvert au début du XXème siècle lors d’une intervention visant à éradiquer un criquet ravageur, justement, il est intimement lié à son milieu (le Crau). C’est un siècle plus tard, dans les années 2000, que les naturalistes ont découvert qu’il était en train de disparaître, et que cette disparition avait évidemment des conséquences en chaîne. Lisbeth Zechner, du Conservatoire d’espaces naturels (CEN) de Provence-Alpes-Côte d’Azur est directrice du projet « LIFE SOS Criquet de Crau ». Elle nous parle de son protégé et nous détaille le dossier.
Les Conservatoires d’espaces naturels sont présents partout en France (près de 100 sites) à échelle régionale ou départementale. Dans chacune de ces sections locales travaille une cinquantaine de personnes. A Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône), 15 personnes sont chargées d’étudier le territoire local. « Une équipe rassemble plusieurs compétences, rappelle Lisbeth Zechner : entomologistes [experts des insectes ndlr] spécialistes de la gestion des sols, gardes d’environnement… »
Le Crau, un milieu extraordinaire
« Le Crau est un milieu extraordinaire, unique en France et en Europe. C’est un « Coussoul », un écosystème steppique de pelouses sèches avec une flore typique. Il s’agit en fait d’une ancienne plaine de la Durance. » L’endroit est trop sec pour l’agriculture, mais il sert au pâturage et à la récolte du « foin de Crau ». Le Coussoul a perdu 90% de son aire ces 30 dernières années : sur 60 000 ha, il n’en reste que 13 000 actuellement. 7 000 font partie de la réserve nationale, le reste de la zone est classé Natura 2000 mais cette protection n’empêche pas les grignotages de terrain. « Entre 2008 et aujourd’hui, nous avons perdu 1 000 ha, déplore la spécialiste.
Endémique criquet
Le criquet de Crau est plus qu’un symbole, puisqu’il est endémique, c’est-à -dire qu’on ne le trouve nulle part ailleurs sur le globe. Si on s’est, depuis les années 1970, intéressé à la préservation des oiseaux et des papillons, l’attention portée aux insectes est venue plus tard, au cours de la décennie 1990. On a relié la baisse de la quantité des espèces à la nourriture que constituent les insectes. « Un écosystème, c’est un peu comme une maison, dépeint Lisbeth Zechner. On enlève une brique par-ci par-là , et puis à un moment tout s’écroule. » Le grignotage des terrains a contribué à la disparition progressive de notre criquet. Jusqu’à la sonnette d’alarme.
Le projet LIFE SOS Criquet de Crau
« LIFE » représente l’instrument financier de la Commission européenne pour les projets concernant le climat et l’environnement. Lisbeth Zechner n’a pas eu de mal à convaincre le directeur de LIFE que le projet du Criquet de Crau en avait besoin. Pour autant, il a fallu monter un dossier très exigeant. A la fin de l’automne dernier, le CEN PACA et ses partenaires, la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, les parcs zoologiques de La Barben et du Muséum de Besançon ont reçu le feu vert et un soutien de deux millions d’euros sur quatre ans (2021-2025). Le financement européen représente 60% du montant, le financement français 40%. Un montant comme celui-là est significatif et les collectivités (qui certes sont engagées) n’auraient jamais pu donner un tel coup de pouce.
La Chambre d’agriculture du département s’occupera surtout des actions liées au pâturage. Quant aux parcs zoologiques de La Barben et du Muséum de Besançon, ils vont apporter un œil expert dans l’élevage d’une espèce difficile à reproduire. Ils vont aussi faire connaître le projet au grand public ! La Barben bénéficie de conditions (météorologiques et de températures) presque semblables à celles du Crau, et Besançon possède un immense insectarium, et les spécialistes qui vont avec…
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« Notre avantage réside dans la très bonne connaissance que nous avons du criquet et de son milieu », conclut Lisbeth Zechner. Les premières tentatives d’élevage sont prometteuses ; mais il reste beaucoup de travail avant de pouvoir assurer au criquet de Crau un sauvetage complet et un habitat favorable.
Jeanne RIVIERE