La Russie surveille son « étranger proche », le Kazakhstan

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Ce début d’année 2022 est marqué par des manifestations très violentes – et violemment réprimées – au Kazakhstan. C’est un immense territoire plutôt méconnu, d’environ 19 millions d’habitants, frontalier de la Russie et de la Chine, au sous-sol riche en hydrocarbures (pétrole, gaz) et en minerais (uranium). Le pays est classé au 12ème rang mondial en matière de production de pétrole et également au 12ème rang pour ses réserves mondiales. Par ailleurs, il est le 2ème producteur mondial d’uranium et est devenu le 2ème pays minier de Bitcoin dans le monde…

Outre ces importantes considérations énergétiques et financières, le pays est géographiquement et géopolitiquement situé au carrefour de différentes influences, dont l’influence russe (qui s’explique historiquement), mais aussi au niveau eurasiatique. Le Kazakhstan est donc au cœur d’une zone stratégique pour plusieurs acteurs de l’Asie centrale.

Pourquoi des manifestations ?

Le 2 janvier 2022, une protestation populaire contre la hausse du prix de l’énergie (en quelques jours le prix du GPL pour les véhicules s’est envolé de 60 %) et la corruption des dirigeants dégénère en émeutes dans l’ouest du pays, puis à Almaty (l’une des plus grosses villes du pays). Elles ont donné lieu à une véritable crise de régime mais au-delà, à un accès de fièvre internationale : l’actuel président actuel Kassim-Jomart Tokaïev a en effet demandé l’envoi de parachutistes par Moscou et ses alliés de l’OTSC (l’Organisation du traité de sécurité collective, organisation à vocation politico-militaire fondée en 2002, regroupe l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan.)

La répression fait plus de 160 morts et 5 800 personnes sont arrêtées. La coupure d’Internet n’a pas apporté la visibilité nécessaire pour une confirmation des faits et la fluidité des informations. Selon V.Poutine, le Kazakhstan aurait été la cible du « terrorisme international ».

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Il y a d’ailleurs la possibilité que ces évènements aient été initiés par un conflit interne entre l’ancien président, Nursultan Nazerbaïev et K.J Tokaiev, qui en a profité pour limoger le chef des services secrets, proche de Nazerbaïev, Karim Massimov.

Les tendances actuelles montrent que les relations entre le Kazakhstan, la Russie, la Chine, la Turquie et « l’Occident » sont complexes : d’abord à cause de la compétition latente entre Russie et Chine, et de l’expansionnisme panturque, mais aussi des relations parfois ambigües qu’a pu avoir le Kazakhstan avec les Etats-Unis et l’Europe, de par sa position stratégique et ses ressources énergétiques ; également parce que le pays s’est toujours efforcé depuis 30 ans de garder ses distances vis-à-vis de Moscou. La demande d’envoi de troupes russes par le président Tokaïev est au contraire une forme d’acte d’allégeance.

Quelle est la position de la Russie ?

Vladimir Poutine ne se reconnaît pas dans les frontières héritées de l’URSS, en 1991. Dès 1991, la Russie a cherché à consolider les liens avec les anciennes Républiques soviétiques en créant la Communauté des Etats indépendants (CEI) dont émane l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC ou CSTO).

On trouve aussi chez V.Poutine la volonté de surveiller « l’étranger proche », c’est-à-dire le contrôle des « marches de l’empire » (des Romanov ou l’URSS). On observe bien une réaction russe immédiate lorsque des pays de l’ex-URSS montrent des sentiments pro-Américains (cf la Géorgie en 2008) ou se rapprochent de l’OTAN (cf l’Ukraine en 2014).

V.Poutine est aujourd’hui partisan d’un retour aux frontières de l’OTAN de 1997, quand l’Organisation n’avait pas encore intégré les ex-pays de l’Est, libérés du joug communiste. Ce serait évidemment inacceptable pour les Etats-Unis et l’OTAN.

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Le Kazakhstan fait partie de la zone d’influence russe et il est donc logique et cohérent que Vladimir Poutine ait frappé vite et fort avec l’envoi de parachutistes, parce que l’effervescence chez son voisin du sud pouvait devenir dangereuse concernant le contrôle des régimes autoritaires à la frontière sud. Par ailleurs, Moscou est engagé en Ukraine dans un bras de fer avec les américains et V.Poutine se doit de confirmer sa force et sa détermination.

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Le Kazakhstan sera désormais plus redevable à Moscou pour le soutien militaire, ce qui se traduira probablement par des corrections dans les calculs de politique étrangère (et pourrait faire du Kazakhstan une nouvelle Biélorussie). Pour Poutine, le Kazakhstan représente un enjeu considérable. La Russie partage avec ce pays sa plus longue frontière (à peu près 7 500 kilomètres). Environ un cinquième de la population est russe et le pays abrite le cosmodrome de Baïkonour et le site d’essai de missiles antimissiles de Sary Chagan. Mais, c’est surtout la situation géographique du Kazakhstan, considéré comme zone-tampon par la Russie, qui est importante car ce pays est une pièce maîtresse dans la zone d’influence russe.

Quelle est la position de la Chine ?

Le Kazakhstan est, stratégiquement, un pays indispensable, dans le projet des « Nouvelles routes de la Soie ». Ce gigantesque projet, initié en 2013 à Astana, justement au Kazakhstan, regroupe 70 pays, 4,5 milliards d’habitants et 40% du PIB mondial. Le choix d’Astana (aujourd’hui Nursultan) par Xi Jinping pour inaugurer son projet pharaonique témoigne à lui seul de l’importance que le Kazakhstan revêt pour Pékin. Un des buts de ce projet est de renforcer l’influence chinoise en Eurasie. En outre, la Chine apprécie les régimes autoritaires qui ne s’embarrassent pas de contingences « droits de l’hommistes » pour faire du commerce. Aujourd’hui, près de 2 500 entreprises chinoises sont implantées au Kazakhstan, et la Chine détient 24 % des participations dans la production de pétrole et 13 % des participations dans la production de gaz.

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La province chinoise du Xinjiang (Pékin « administre » la province, majoritairement peuplée de ouïgours et kazakhs musulmans) est limitrophe avec le Kazakhstan et la Chine pouvait craindre un impact en cas de développement des manifestations. Elle reste donc très attentive à l’évolution de la situation.

Quelle est la position de la Turquie ?

Le 31 mars 2021, le sommet informel des pays membres du « Conseil turcique », s’est réuni en visioconférence. Fondé en 2009 à l’initiative de l’Azerbaïdjan, cette organisation régionale compte parmi ses membres la Turquie (qui accueille l’état-major de l’organisation), le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan (en tant qu’invité, car ce pays est très attaché à son statut de neutralité) et la Hongrie (pays observateur).

La Turquie mise sur sa proximité historique et culturelle pour tenter de jouer un rôle plus important en Asie centrale, un an après son soutien total à l’Azerbaïdjan face aux troupes arméniennes dans la deuxième guerre du Haut-Karabakh (2020). Ankara a proposé aux talibans en Afghanistan de sécuriser l’aéroport de Kaboul après le retrait total de l’armée américaine il y a quelques mois. La Turquie adopte la politique panturquiste héritée de l’Empire ottoman pour renforcer son influence dans la zone centrasiatique ce qui peut, à terme, conduire à un conflit d’intérêt avec la Russie.

Quelle est la position des Etats-Unis ?                                                                             

Le 6 janvier 2022, les Etats-Unis, par la voix de Ned Price, le porte-parole de la diplomatie américaine, ont mis en garde Moscou et les troupes russes déployées au Kazakhstan, contre toute violation des droits humains ou velléité de « prise de contrôle » des institutions du pays. Price a également assuré que les Etats-Unis étaient « prêts » à apporter leur soutien en tant que « partenaire du peuple et du gouvernement du Kazakhstan ». Les Etats-Unis et l’OTAN sont moins directement impliqués par le Kazakhstan. Néanmoins, cet évènement est encore une façon pour la Russie de démontrer sa volonté de protéger sa zone d’influence.

Un aller-retour fort de symboles

Un premier avion transportant des militaires russes a quitté le Kazakhstan le 13 janvier, et Moscou prévoit d’achever le rapatriement de ses forces le 19 janvier. « Les forces de l’OTSC ont rétabli l’ordre et la loi, cela est très important », s’est félicité le président russe, Vladimir Poutine. La rapidité de la démonstration montre la volonté de la Russie de protéger son « étranger proche », militairement si nécessaire, d’envoyer un signal aux pays limitrophes, ainsi qu’aux Etats-Unis et à l’OTAN.

Alain BOGE

Alain Bogé est spécialisé en Géopolitique, Relations Internationales et Commerce International. Il a notamment enseigné à l’Université Lyon 3 (IAE), à la Delhi University-Inde (School of Economics), à l’IESEG School of Management Lille-Paris. Il donne actuellement des cours à la Czech University of Life Sciences-Dpt Economy-Prague, à la Burgundy School of Business (BSB)-Dijon et à la European Business School (EBS)-Paris.