Un vrai café où pouvoir prendre le temps de boire réellement un vrai café, ce n’est pas si courant… Parce que cette idée est importante dans la culture de son pays – le Vietnam -, Long a voulu ouvrir le « CaPhê S » (« S » pour la forme du pays) à Marseille, au 35 de la rue Sainte (1er arrondissement).
Long n’en est pas à sa première entreprise. Arrivé en France – dans le Sud, en l’occurrence – à l’âge de 16 ans pour des études de commerce, le jeune Vietnamien a toujours porté en lui des projets d’entrepreneuriat. Après une licence en marketing et un bachelor en master de commerce, il commence à travailler pour une entreprise familiale. Mais l’échange et le partage lui manquent, il ressent le besoin de « créer des instants » pour les gens. C’est donc naturellement qu’il a envie de faire connaître et aimer la culture asiatique qui est la sienne. Il lance plusieurs cafés, à Aix notamment, qui voient un beau succès. C’est ensuite le tour de Marseille, ville dont il apprécie le côté cosmopolite.
Un temps qui s’écoule à la manière d’un « café phin »
« Au Vietnam, les cafés sont ouverts presque tout le temps ; et on boit du café du matin jusqu’au soir ! , sourit le créateur du CaPhê S. Quand on va dans un café, c’est pour se rencontrer, passer un bon moment avec des amis, discuter par petits groupes de deux, trois, quatre personnes. » Symbole fort du temps qui s’écoule lentement, le fameux « café phin » : c’est goutte à goutte que se compose la boisson. Si on est prêt à attendre plusieurs minutes pour commencer à boire son petit noir, c’est qu’on est sur la bonne voie.
Le contraire de l’esprit Starbucks
« Beaucoup de Vietnamiens partent étudier à l’étranger, et côtoient d’autres cultures. Quand ils reviennent au pays et ouvrent des cafés, ils savent qu’ils n’ont pas envie d’y implanter l’esprit Starbucks. » L’esprit Starbucks, de l’enseigne américaine mondialement connue, cela renvoie à un café commandé à toute vitesse par le travailleur pressé et emporté dans un gobelet en carton. Tout le contraire de l’esprit familial et tranquille de la culture vietnamienne, donc…
Derrière le café, l’histoire d’une certaine nostalgie
Justement : d’où vient cette culture-café ? « Ce sont les Français qui ont implanté les plants de café [l’arabica dès les années 1800, le robusta à partir des années 1930 ndlr]. » La consommation de café s’est intensifiée pendant la guerre, notamment parce que les soldats avaient besoin de protéines. » Le café phin est ainsi un dérivé de notre « filtre ». Pour la génération de Long comme pour celle de ses parents et grands-parents, l’époque de la guerre est paradoxalement synonyme d’une certaine époque de solidarité dans la pauvreté entre les habitants, et d’un temps de nombreuses découvertes, dues à la présence française. « Les Français nous ont beaucoup appris et ont apporté du progrès dans le pays. C’est pour cela qu’on se souvient de la guerre à la fois comme d’un temps très dur et qu’on y accorde en même temps une certaine nostalgie. »
Long a d’ailleurs décoré son café avec un certain nombre d’objets significatifs de cette période-là qu’il a rapportés du Vietnam : des sandales en pneus, des casques, des gourdes de militaires, des lampes à huile… et des vélos. « Ce sont aussi les Français qui ont importé le vélo au pays. Aujourd’hui on a conservé tels quels les mots « guidon », « pédale », « selle »… » La présence américaine a eu des conséquences économiques sur le Vietnam, la présence française, elle, a laissé des traces culturelles, grâce à l’éducation dans les écoles notamment.
Ce « CaPhê » de qualité permet un saut géographique au pays du « S », et une parenthèse temporelle. On y vient pour passer un bon moment, mais aussi pour déguster un café (robusta) parmi la dizaine de cafés soigneusement choisis par Long.
Jeanne RIVIERE
Ca Phê S, 35 rue Sainte, 13001 Marseille.