Existe-t-il un vaccin contre le mal-parler ?

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Montesquieu s’interrogeait en son temps : « Comment peut-on être Persan ? ».

Ne convient-il pas aujourd’hui de se poser la question : « Comment peut-on être poli ? ».

L’adjectif poli et le mot policé ont des affinités que nul ne peut ignorer. Je viens de relire à l’instant le texte de madame Jacqueline de Romilly qui ouvre son ouvrage « Dans le jardin des mots ». Je ne résiste pas au plaisir délicieux de vous retranscrire ce premier paragraphe :

« La langue que nous parlons, que nous avons apprise depuis notre enfance et qui se parle depuis des siècles, celle qui nous sert à nous exprimer dans notre vie de tous les jours, peut être plus ou moins bien portante. Si elle va mal, notre pensée, notre vie quotidienne en seront modifiées. Mais inversement, il dépend de nous, il dépend de chacun de nous qu’elle aille mieux ou moins bien, car nous sommes tous porteurs de virus et la contagion est grande. »

Quel texte et quelle coïncidence ! Il date de septembre 1998.

Mais y a-t-il un vaccin contre le mal-parler et contre le virus de « l’enflure des mots » ? (Titre du chapitre de madame Jacqueline de Romilly).

Comment peut-on accepter de gaité de cœur d’avoir, avec tant d’autres, défendu la beauté de la langue française et de la voir ainsi grossièrement  blessée ? Notre langue s’est construite patiemment comme les fleurs et les œuvres les plus belles. Notre langue si riche, si nuancée, s’est longtemps imposée à travers le monde comme le moyen d’expression le plus raffiné. L’art du beau langage était le propre de l’honnête homme. Cet art était considéré comme un véritable bien fait de mesure et d’harmonie. Cette mesure si chère à la pensée et à la civilisation grecque, berceau de la Démocratie. Toute la vie du citoyen athénien pour lequel la politique était l’activité première et essentielle avait cette harmonie et cette mesure dans le comportement comme dans l’expression orale.

La langue que l’on emploie est un signe de civilisation. La langue définit plus qu’un peuple, l’âme d’un peuple. Un peuple est grand quand sa langue est grande. Une nation est belle quand l’utilisation qu’elle fait de sa langue est à la hauteur de son histoire et de ses espérances. Notre langue française, tant parlée toujours dans le monde, possède une telle élégance, finesse et clarté qu’il est inutile et indécent d’utiliser pour se faire comprendre des expressions triviales. La langue atteint son plus haut niveau quand elle manifeste sa sympathie pour les êtres humains, ici pour ses concitoyens. Ce que précisément les Grecs appelaient le logos, expression de la parole mais aussi de la raison, de la pensée, de l’essence des choses, de la beauté et de la sagesse. Le logos des gouvernants se devait d’être tolérance et modération. Alors le dirigeant cherchait à gouverner par la persuasion et non par la contrainte.

« L’instrument du pouvoir, le soutien de son autorité, c’est l’intelligence, le discours, le logos raison droite et claire. » (E.J. Chevalier. Préface à « L’âme grecque », E. J. Chevalier et R. Bady).

Dans son Demonicos, Isocrate [orateur grec de l’Antiquité ndlr] ne dit pas autre chose : «  Sois convaincu que les qualités les mieux à ta convenance sont la bienséance, la réserve, la justice, la modération ; réunies, de l’avis général, elles disciplinent le caractère des jeunes gens … Sois affable dans tes propos … Toutes les paroles que tu as l’intention de prononcer, médite-les d’abord ; chez bien des gens, la langue court devant la pensée » (à Demonicos, 13-22 et sv.)

Jean-Noël BEVERINI

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Jean-Noël BEVERINI appartient à l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille.