Quentin Mugg est policier spécialisé dans la lutte anti-blanchiment. Mais quand on parle d’ anti-blanchiment, c’est… à un niveau d’envergure internationale. Passé par la DST (Direction de la surveillance du territoire) et capitaine à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière de 2005 à 2015, Quentin Mugg se consacre à la chasse de ces « hommes de l’ombre » qui permettent à des parrains du trafic de drogue de blanchir leurs milliards d’argent sale. Dans un livre passionnant intitulé « Argent sale : la traque », publié il y a quelques mois chez Fayard, il raconte trois opérations menées par son unité. De passage à Marseille pour une soirée caritative en faveur d’Orphéopolis (qui s’occupe des orphelins de policiers), il a bien voulu nous détailler – avec une certaine délectation – quelques-uns des ressorts de l’immense machine du blanchiment.
Le travail des limiers
Une traque sans merci, où les acteurs en jeu sont fuyants comme des anguilles, rusés comme des renards et surtout, si nombreux que remonter une branche ne suffit pas à démanteler un système entier. Des sommes folles transitent d’un pays à l’autre. Sans surprise, la production de cash est principalement issue du trafic de drogue. A partir de là , des mécanismes se mettent en marche, via différents collecteurs d’argent, qui se passent les sommes les uns aux autres.
L’une des affaires décrites dans le livre est la fameuse intitulée « Virus » : elle est emblématique des liens qui peuvent exister entre les milieux criminels des trafiquants et ceux de la vie sociale classique (affaires, élus, particuliers…) Instruite en 2012, bouclée en 2018, l’affaire a permis la confiscation de 18 millions d’euros d’avoirs criminels et 100 millions d’euros de fraude fiscale. Décortiquée dans l’ouvrage, elle permet de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les grosses affaires telles que celle-ci.
Le mystérieux « saraf »
Quentin Mugg s’attache à décrire le rôle du « saraf », un blanchisseur professionnel, qui s’occupe d’exfiltrer les fonds de ses clients. Il se trouve au centre de tous les réseaux de la criminalité.
Il gagne ses commissions en proposant un service de transfert de fonds, d’un pays à un autre. Pour lui, l’enjeu est de revendre l’argent à d’autres clients, exactement comme s’il s’agissait d’une marchandise classique. Ces derniers, à l’inverse, ont de l’argent à l’étranger mais pas en France. Les fraudeurs fiscaux jouent alors leur rôle. A l’autre bout de la chaîne, on retrouve notamment des élus et d’autres acteurs.
Des acteurs qui sont donc là pour gagner le maximum d’argent et n’ont « en tant que tel » pas connaissance des trafics de drogue : c’est l’excuse « de bonne foi » de beaucoup d’accusés à la barre. Mais il se trouve que cet argent peut aussi servir à financer le terrorisme, étant donné que les terroristes préfèrent passer par ces réseaux « sûrs » et rodés plutôt de mettre en place les leurs.
Dans son livre (écrit en collaboration avec la journaliste d’investigation Hélène Constanty) comme à l’oral, Quentin Mugg détricote avec précision et humour les labyrinthes de ce monde du blanchiment d’argent ignoré du grand public… mais mis au jour par des hommes comme lui.
Raphaëlle PAOLI
« Argent sale : la traque », Quentin Mugg, Hélène Constanty, éditions Fayard, 18€.