Alors que le site de la carrière grecque antique de la Corderie de Marseille (7ème arrondissement) est plus que jamais menacé, Jean-Noël Beverini, de l’Académie de Marseille, souligne encore une fois l’immense trésor qui est sur le point d’être perdu. Il fait part aux lecteurs du Méridional de quelques considérations.
Permettez-moi de vous parler encore de la Carrière grecque antique de la Corderie à Marseille. Je ne vous promets pas que ce sera la dernière fois ! Vous comprendrez aisément en ce qui concerne une « carrière » antique et historique laissée dans un tel état d’abandon, qu’il faille bien jeter « la pierre » sur quelqu’un !
Le « Grand Marseille » que veut le président n’inclut certainement pas la Grande Histoire de la plus ancienne ville de France. Vous avez prononcé le mot d’Histoire ?
« Vous plaisantez ! »
Pas de repentance pour le massacre du patrimoine. Au contraire, persévérons.
« Vous avez dit : diabolicum perseverare »
Après avoir classé monument historique notre ancienne carrière antique (635 m2), l’État doit maintenant décider de son devenir. Or l’État ne décide rien. Ce qui est toujours décider quelque chose.
Car pendant cette attente de décision, la dégradation du site se poursuit inexorablement jusqu’à son terme de pourrissement complet. Une fois que le peu qui reste du site classé sera entièrement délabré, submergé, inondé, irrécupérable, l’État en la personne de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) pourra, l’âme apaisée, officiellement conclure :
« Venez et voyez : tout est inapte à conservation. Il faut recouvrir, enterrer, oublier ».
Un grand principe du Droit édicte :
« Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » (Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.)
À qui donc la négligence, la faute, le comportement et l’absence prolongée de décision ayant conduit à une telle dégradation du périmètre classé monument historique ?
La DRAC serait-elle en passe de devenir la direction de la Démolition Régionale des Antiquités et de la Culture ?
Que ne vient un Prince charmant, aux dires de certains pour la réveiller de sa léthargie ?
Le conte de la Corderie a assez duré. Finissons-en. Puisque cette carrière est considérée au même titre que les mauvaises herbes qui la recouvrent, traitons-la en mauvaise herbe. Arrachons-la de l’Histoire de Marseille, de la Méditerranée et de notre Culture.
> A voir aussi : Carrière grecque antique de la Corderie : lettre ouverte de Jean-Noël Beverini à Jean-Claude Gaudin
Quelques considérations ultimes :
Toutes les villes antiques et célèbres dans l’Histoire n’avaient pas à leur disposition des carrières. C’était, par exemple, le cas de la Babylonie qui construisit avec des briques faites d’argile. Notre Marseille grecque eut cette chance d’avoir la possibilité de se créer une carrière. Exceptionnel.
Le goût, le sentiment et l’amour de la Beauté des formes ont donné aux Grecs cette envie d’élever des monuments. Les premiers de ces monuments furent des temples dédiés aux dieux. Ce fut le cas à Marseille avec un temple en l’honneur d’Artémis, la déesse tutélaire et protectrice. Il ne fait aucun doute que le temple construit pour l’honorer le fut avec les pierres extraites de notre antique carrière. De plus, la pierre était facile à travailler. Ce temple devait être d’ordre ionique, car c’est précisément dans les cités grecques d’Asie mineure que l’on a découvert des temples de ce style. Son toît devait être ouvert pour laisser libre la communication avec la déesse.
Pour un Grec de l’époque, le temple doit être magnifique parce qu’il est autant un « trophée » de la cité qu’un lieu de prières. Agora, gymnase et théâtre étaient la trinité qui venait couronner le temple aux dieux. Massalia possédait cette trinité issue de notre carrière. Nous détruisons réellement notre Histoire.
« Des ouvriers sans nombre, charpentiers, maçons, forgerons, tailleurs de pierres, teinturiers, orfèvres, ébénistes, peintres, brodeurs, tourneurs, sont occupés » à ces travaux de création et d’embellissement de la cité. Les matelots font traverser le « Vieux-Port » aux pierres extraites de la carrière ; les pilotes conduisent les embarcations ; les charretiers les amènent à terre ; les cordiers et tireurs de pierre les hissent … Ces images sont décrites par le grand historien, historien de l’Art et artiste peintre René Ménard, dans son ouvrage Le travail dans l’Antiquité.
La construction d’un édifice public pour nos anciens Grecs n’est pas « une affaire de luxe ou de caprice » (René Ménard). Cela va bien au delà .
La beauté de cet édifice, et en premier lieu un temple, pouvant et devant attirer sur la cité une protection irremplaçable. Les pierres de notre carrière ont servi à cette protection de Massalia, protection physique et spirituelle.
La carrière possédait un puits qui n’a jamais été étudié. Après la destruction du puits grec des vestiges de la Bourse, ce puits de la carrière était le seul que possédait Marseille. L’ignorance est un puits sans fond.
La carrière possédait des colonnes en cours d’achèvement. Marseille fondée par des Grecs ne possède aucune colonne grecque ! C’était l’occasion unique d’en présenter. Marseille ne restait plus une ville antique sans antiquités. Mais même l’existence de colonnes a été contestée. Elles étaient hors du périmètre classé ! En niant et détruisant ses colonnes, Marseille perd la … colonne vertébrale de son Histoire.
Un site unique pour Marseille et sur l’arc méditerranéen. Pas simplement une histoire remarquable. Non, ce site est (était) unique comme l’affirme le grand archéologue Michel Bats.
Unique. Oui, assurément, il est unique de le détruire ainsi.
À Marseille, le 18 octobre 2021
Jean-Noël BEVERINI