Quelle est la réalité du quotidien en Syrie, ce pays malmené par la guerre (débutée en 2011) et à la croisée des géopolitiques de la région ? Anne-Lise Blanchard, écrivain et poète qui a sillonné le Proche-Orient de 2014 à 2020 (Liban, Irak, Syrie, Jordanie, Egypte, Pakistan, Arménie), tente d’en brosser un portrait, à travers un biais particulier : la voix des femmes.
« Les nombreux témoignages que l’auteur a pu recueillir à la suite d’un intense travail de terrain, donnent une vision réaliste de ce qu’a été la guerre en Syrie, à partir de 2011, conflit plus long que la Seconde Guerre mondiale, qui a fait près de 300 000 morts et six millions de déplacés. » Ces propos en prologue d’Erik Denécé, du Centre français de recherche sur le renseignement, rappelle le traumatisme enduré par le peuple syrien ; un certain nombre d’habitants ont choisi la route de l’exil. D’autres n’ont pas pu, ou pas voulu.
Zoubeida, Norma, Rana, Reem, Lama… ce sont une vingtaine de femmes syriennes qu’a interrogée l’auteur. Sous la forme de petits chapitres consacrés chacun à une femme, elle nous rapporte leur témoignage, entre souvenirs du temps passé et craintes pour le futur. Une carte en début du livre aide le lecteur à les situer dans la Syrie d’aujourd’hui : Alep, Damas, Maaloula, Homs, Krak des Chevaliers…
Qui sont donc ces femmes ? Les profils comme les réactions divergent : institutrice, épicière, avocate, professeur, religieuse, médecin… Mais toutes ont en commun l’attachement à leur terre syrienne et à son histoire qui a traversé les siècles. Chacune a quelque chose à exprimer. Quelques hommes, des artistes, sont également interrogés. « Nous croyons que la vie doit continuer, et le meilleur chemin pour qu’elle continue passe par l’art », confie Chadi Najjar, pianiste et compositeur. Les mentions des complexités politiques ouvrent les yeux sur la difficulté du pays : influence grandissante des Frères musulmans depuis les années 2000, rivalités géographiques, relations entre les musulmans et les chrétiens. Ces dernières ont été étonnamment riches d’échanges au plus fort du conflit. Mais elles demandent à être entretenues pour ne pas voir la méfiance s’installer entre les communautés.
Alors que l’Europe ne reçoit souvent que de lointains échos d’un conflit complexe, ce livre retrace, au plus près des habitants, le quotidien de ceux qui, restés sur place, attendent dans la crainte ou l’espoir et s’efforcent de vivre au mieux, malgré tout.
Jeanne RIVIERE
« Syrie, les femmes parlent », Anne-Lise Blanchard, Investig’action, juin 2021, 15€.