Etranges époques que celles des grandes épidémies, durant lesquelles le temps s’accélère et où le quotidien doit suivre son cours quoi qu’il arrive. Le Musée d’Histoire de la ville de Marseille reçoit, jusqu’au 30 janvier 2022, une exposition consacrée à la peste, « ce grand personnage de l’histoire ». Nourrie et très bien documentée, elle montre au visiteur la façon dont non seulement l’histoire de Marseille, mais aussi sa géographie, en a été modifiée.
Tout le monde connaît plus ou moins la terrible origine de l’arrivée de la peste à Marseille, même si les historiens eux-mêmes restent indécis sur les circonstances précises et les jeux de pouvoirs. Le 25 mai 1720, le Grand Saint Antoine revient des Echelles du Levant, soit les ports et villes de l’Empire Ottoman, avec lesquels Marseille (premier port de commerce de la Méditerranée au XVIIIème siècle) commerce énormément.
Raison économique sans aucun doute, puisque la cargaison appartient à l’un des échevins de la ville, mais le contrôle du bureau de la santé, créé pour empêcher l’arrivée des épidémies, n’impose cette fois-ci qu’une quarantaine de courte durée. Alors même que neuf personnes sont décédées « de mort suspecte » au cours du voyage.
Les charniers, objets d’étude pour les chercheurs
A partir de la mi-juillet 1720, l’épidémie se répand comme une traînée de poudre. La découverte et l’analyse des deux plus grands charniers intra-muros, celui de 1720 de l’esplanade de la Major (2008) et celui correspondant à la rechute épidémique de 1722 du couvent de l’Observance, livrent un certain nombre de données. Michel Signoli, du CNRS, et Stefan Tzortzis, archéologue de la mort et des morts, nous livrent une partie de leurs analyses : on peut en apprendre beaucoup sur l’état de santé des populations à l’époque, leurs vêtements, leurs rituels. Grâce aussi aux approches d’aujourd’hui, interdisciplinaire : historiens, chirurgiens, archéologues etc. travaillent de concert.
Comme souvent dans les situations d’urgence, les courages se révèlent. Le clergé marseillais dans sa quasi majorité va s’organiser pour porter secours aux malades et aux mourants. La mortalité est élevée chez les religieux. Une communauté, celle des mercédaires, disparaît même entièrement. Et l’on connaît le dévouement de Mgr de Belsunce dès les débuts de l’épidémie.
L’exposition, très bien documentée, présente de nombreux témoignages de l’époque et expose un certain nombre d’objets. Certains marquent l’esprit, comme l’énorme « pince à transporter les cadavres » en fer forgé (dans les faits, difficilement maniable, elle n’a sans doute pas été utilisée) ou les instruments conçus pour administrer les sacrements à distance, sortes de longues perches. Quelques objets aussi provenant du Grand Saint Antoine, remontés lors de la fouille (1980-1984). Un article du Méridional en 1981 avait d’ailleurs pour titre « L’épave de l’île Jarre livrera-t-elle le secret du Grand Saint Antoine ? » Si l’histoire garde ses secrets, les « mémoires de peste » ont bel et bien changé le visage de la ville de Marseille : fouilles, monuments, détails architecturaux et urbains…
Jeanne RIVIERE
« Marseille en temps de peste, 1720-1722 », musée d’Histoire de Marseille, jusqu’au 30 janvier 2022. Le 28 octobre 2021 ouvrira une exposition intitulée « La peste de 1720 dans les collections du musée des Beaux-Arts de Marseille », jusqu’au 28 février 2022.