La lente agonie de la presse française

© WKMC

En France, le journalisme se meurt, faute de journalistes. Les professionnels de l’information sont devenus des perroquets de la pensée unique. Ils trahissent leur mission de vérité. Ils sont devenus au fil des ans des agents de propagande, des gourous de la sensation et du misérabilisme, des transmetteurs de dépêches sans caractère ni personnalité.

Où sont les Revel, les d’Ormesson, les Bouvard, les Jean Cau, les Tesson, Imbert, Desjardins, July, Pierre Viansson-Ponté, Hubert Beuve-Méry, Dominique Jamet, Max Clos ? Où sont les grands éditorialistes ? Où sont les grandes plumes françaises ? Elles ont disparu hélas en même temps que le journalisme.

Les rédacteurs actuels ont oublié la définition d’un de leurs grands anciens, Albert Londres : « Le métier de journaliste n’est pas de faire plaisir, il n’est pas non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie, en mettant dans la balance son crédit, son honneur, sa vie. » Comme les lecteurs ne sont pas des imbéciles, ils se rendent compte de la désertion des journalistes et ne leur font plus aucune confiance.

Ils ont parfaitement saisi que la plupart des grands journaux français sont désormais aux mains de grands industriels ou de banquiers dont l’information n’est pas la préoccupation essentielle. Leur souci, c’est de faire prospérer leur business avec l’appui du gouvernement en place et de ministres que l’on s’efforce de ménager ou de cajoler dans le sens du poil.

> A lire aussi : « Dernière crise avant l’Apocalypse » : l’urgence de sauver un système économique à l’agonie

Si les journalistes ne se rebellent pas et acceptent cette dépendance contre-nature, c’est parce qu’ils sont souvent dans une situation précaire qui les contraint au silence. Un jeune journaliste, sans autre appui que son talent, et qui ne gagne que 1000 à 1200 euros par mois à ses débuts, ne peut qu’accepter les « conseils » ou les suggestions de son rédacteur en chef qui va diriger sa plume dans tel ou tel sens ou ses investigations dans telle ou telle direction. Pour payer son loyer ou pour améliorer son ordinaire, il sera en revanche tenté d’accepter une gratification émanant de tel ou tel puissant soucieux d’améliorer son image de marque.

L’indépendance des journalistes – leur devoir sacré – n’est plus qu’une douce utopie dans la société actuelle où la communication officielle est totalement verrouillée. La presse française est sous perfusion gouvernementale. Elle ne s’en sort que grâce aux subventions annuelles, et aux multiples aides fiscales, postales ou de transport que lui octroie la puissance publique, ce qui accroit encore sa dépendance.

Voilà pourquoi aujourd’hui, conscients du déclin du journalisme, les citoyens se tournent résolument vers les sites Internet pour tenter d’obtenir des informations fiables. Sauf que, là aussi, ils doivent se méfier des « fake-news », des fausses nouvelles et des caricatures, car le Net et les réseaux sociaux sont devenus le déversoir de toutes les frustrations et des basses vengeances qui les accompagnent. Le mieux est de multiplier les sources possibles de renseignements pour se faire une idée de la réalité et tenter d’échapper aux manipulations mentales ourdies par le pouvoir.

La télévision a fortement contribué également à la décadence du journalisme en imposant ses normes, ses valeurs et sa xyloglossie, c’est-à-dire sa langue de bois pour euphémiser tous les sujets qui fâchent. Le journaliste s’est transformé en lecteur de prompteur : il débite un récit anonyme, cotonneux et sans relief sur un ton monocorde. Il dit ce qui doit être dit et tait ce qui doit être tu.

La seule exigence que lui impose le pouvoir en place est celle de suivre aveuglément les rails de l’idéologie diversitaire et progressiste qui prône une information sensationnelle, émotionnelle, consensuelle, féministe et écologiste. Comme tous les autres médias se sont alignés sur cet étalon, les lecteurs ou auditeurs ont l’impression que tous les journalistes racontent les mêmes salades au même moment.

La fin de l’esprit critique

La fonction de contrôle et d’esprit critique, jadis assignée aux journalistes, a disparu. Aujourd’hui, on sait ce qui se passe jusqu’à plus soif, mais ce n’est en rien comprendre ce qu’il se passe. Et ce ne sont pas les prétendus « experts » qui défilent dans les étranges lucarnes qui pourront nous aider à y voir plus clair…

Les seuls journaux ou magazines qui se vendent à des millions d’exemplaires en France sont ceux qui sont fondés sur la frivolité, la sensation ou l’insignifiance : les magazines de télévision ou les hebdomadaires people se vendent comme des petits pains… parce qu’ils ne dérangent personne.

Ce culte de la dérision ou du divertissement a des conséquences pernicieuses car il nous incite à la servitude volontaire, décrite par La Boétie. Nous abandonnons nos libertés en échange d’un confort psychologique. Nous entérinons notre servitude pour nous rendre disponibles à la compassion d’autrui : le pouvoir ne s’exerce plus par la force. Il amollit notre volonté par l’abrutissement des esprits…Et c’est ainsi que l’habitude et le conformisme nous font avaler le venin de la servitude.

> A voir aussi : Peut-on se libérer de la « servitude volontaire » ?

Georges Suffert, dès 1989, avait pressenti cette dérive : « Il faut laisser les spécialistes des sanglots collectifs traire l’émotionnel, cette vache à lait de l’époque », écrivait-il dans « Le Figaro ». Désormais, ce sont les lobbies qui imposent leur loi à la majorité par la force de la répétition : lobby écolo, lobby LGBT, lobby socialiste, lobby islamo-gauchiste, lobby antiraciste, lobby féministe… Dans ce fatras idéologique, la vérité n’est plus qu’une opinion comme une autre.

On oublie que l’objectivité en journalisme c’est une préférence délibérée pour ce qui est par rapport à ce que l’on voudrait qui soit. C’est voir les choses comme elles sont et savoir les dire comme on les a vues. Si les médias ne se réfèrent pas de façon plus positive aux sources de notre culture occidentale et au dynamisme spirituel de notre civilisation, ils finiront par exténuer leur propre message et par s’autodétruire.

Que constatons-nous le plus souvent en observant nos téléviseurs ou en écoutant les radios ?

L’apparence et le spectacle

Nous constatons que la presse organise son propre cinéma en vase clos : elle officialise des rumeurs par souci de l’instantanéité, elle s’évertue à promouvoir l’apparence et le spectacle, elle ne prend aucun recul par rapport aux événements, elle encombre l’espace médiatique sans aucune mise en perspective et elle terrorise ceux qui refusent d’être les acteurs manipulables  de cette mise en scène.

« Ce qui relève du devoir civique dans toute autre démocratie est sournoisement interdit en France, écrivait le regretté Jean-Edern Hallier, au lieu d’être au service du peuple le journaliste s’est mué insidieusement en fonctionnaire d’Etat. A l’impératif de vérité, il a substitué le devoir de réserve. » La collusion entre les pouvoirs  médiatique, économique et politique met l’information, qui oriente l’opinion, dans un état de dépendance et de vassalité. Quand les détenteurs du pouvoir caressent les journalistes, c’est pour les utiliser, quand ils se satisfont des médias, c’est qu’ils les contrôlent.

Oui, le journalisme est mort en France. Il faudra le réinventer en ressuscitant notre nation. Mais je voudrais malgré tout rester optimiste et conclure ce bref récit d’une disparition annoncée, par ces magnifiques propos de Victor Hugo dans la préface des « Châtiments » en 1853 :

« Quoi que fassent ceux qui règnent chez eux par la violence et hors de chez eux par la menace, quoi que fassent ceux qui se croient les maîtres des peuples et ne sont que des tyrans des consciences, l’homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d’accomplir son devoir tout entier.

« La toute-puissance du mal n’a jamais abouti qu’à des efforts inutiles. La pensée échappe toujours à qui tente de l’étouffer. Elle se fait insaisissable à la compression.

« Le flambeau rayonne et si on l’éteint, le flambeau devient une voix et l’on ne fait pas la nuit sur la parole. Si l’on met un bâillon à la bouche qui parle, la parole se change en lumière et l’on ne bâillonne pas la lumière. Rien ne dompte la conscience de l’homme, car la conscience de l’homme, c’est la pensée de Dieu.« 

José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional