Le Covid-19, sans être intégralement responsable de la catastrophe économique actuelle, a révélé les fragilités d’un système monétaire à l’agonie. Les dirigeants du monde doivent rapidement prendre la pleine mesure de ce qui est en train de se passer, sous peine de voir les crises sociales et politiques mener à une véritable apocalypse. Dans « Dernière crise avant l’Apocalypse », Jean-Baptiste Giraud et Jacques Bichot ne se contentent pas de lister les problèmes : leur analyse va jusqu’à proposer des solutions d’urgence destinées à rétablir le « bon sens ».
Le Méridional : Jacques Bichot, vous parlez « d’apocalypse » à venir. Pourquoi un terme aussi fort ? La situation de la France et du monde est-elle si catastrophique ? Comment en êtes-vous venu à cette conclusion ?
Jacques Bichot : Le terme « Apocalypse » peut désigner la fin du monde, ou la fin d’un monde. C’est dans ce dernier sens que nous l’employons pour désigner une évolution très importante : un ensemble de changements qui vont nous faire passer non pas dans « L’autre monde », le ciel, l’enfer ou le néant, mais dans « un autre monde », toujours sur notre bonne vieille terre, mais très différent du monde actuel.
En effet, celui-ci devient de moins en moins vivable. Certes, ce n’est pas l’arrivée du Covid qui, à elle seule, provoque des changements majeurs, même si l’impact de la pandémie est important, obligeant à bien des changements dans les manières d’être et de faire. C’est surtout l’inadéquation entre la croissance de la population et de l’exploitation des ressources naturelles, et notre organisation.
Par exemple, nous expliquons l’archaïsme de nos systèmes monétaires, multiples et mal synchronisés, alors que la monnaie est l’un des facteurs-clés d’organisation de la vie en société. De même, nous constatons le hiatus qui existe entre les « ressources naturelles », limitées, et les besoins fortement croissants. Par exemple, quand nous aurons quasiment exterminé les poissons, comme nos pères ont exterminé les baleines, il y aura un sérieux problème alimentaire. Il faut éviter cette extermination, développer la pisciculture comme nos ancêtres ont développé l’élevage.
Autrement dit, l’apocalypse menace, il faut en avoir conscience pour agir intelligemment, laisser tomber toutes sortes de querelles mortifères et construire une civilisation compatible avec dix milliards d’êtres humains sur notre bonne vieille Terre.
L.M : Vous présentez des solutions pour éviter cette crise : pouvez-vous nous en dire plus ?
J. B : Nous ne prétendons pas avoir la clé de tous les problèmes ! Nous avons signalé quelques pistes, qui sont loin de suffire, mais qui montrent que tout n’est pas perdu si nous œuvrons intelligemment. Prenons par exemple l’organisation monétaire, essentielle pour construire une économie capable de faire vivre des milliards de terriens. Actuellement, elle est déplorable : l’économie de trop nombreux pays est minée par l’inflation ou par l’absence de formes de crédit adaptées aux populations pauvres – dans des pays que l’on dit souvent « en développement », alors qu’en fait la misère n’y recule pas. Aujourd’hui, ce n’est pas le bitcoin qui va sortir de la misère des paysans africains, indiens ou sud-américains ! Nous lançons un appel au réalisme, à la compétence.
Dans le domaine agricole, névralgique, il y a également des possibilités. Nous avons eu la chance d’être éclairés dans ce domaine par un agronome très compétent et conscient des enjeux. Nous lançons un appel pour que nos dirigeants écoutent des hommes comme lui, qui s’y connaissent. Pour échapper à l’apocalypse, il faudrait que les énarques et les anciens élèves de Princeton se mettent un peu à l’école de ces véritables « sachants ».
L.M : Vous dites qu’il faut faire des choix et ne pas aborder tous les sujets en même temps. Quelle est selon vous la solution d’urgence à mettre en place ?
J. B : Le plus urgent est d’améliorer notre organisation, notre gouvernance et la formation que nous donnons à nos enfants. Le proverbe relatif au poisson qui pourrit par la tête est très important : les élites de notre planète ne sont pas à la hauteur des défis que nous avons à relever. Visiblement, le système de sélection et de formation des dirigeants requiert, sur toute la planète, des améliorations très conséquentes.
Prenons le problème des retraites : sur la terre entière nous avons des responsables qui se satisfont d’un système absurde attribuant des pensions non parce que vous avez contribué à former des enfants et des jeunes, qui devenus actifs payeront les pensions, mais parce que vous avez versé des cotisations au profit de vos aînés. Or ces cotisations ne servent en rien à préparer les retraites de ceux qui les versent. Le droit positif est totalement déconnecté de la réalité, la législation des retraites de quasiment tous les pays est absurde.
Ce qu’il faut, dans ce domaine et dans d’autres, c’est une croissance rapide du bon sens. Si un homme politique soutient une législation des retraites qui en fait un système de Ponzi – l’escroc qui eut Madoff pour successeur – il est un danger public. Il faut lui apprendre le B. A -BA de l’économie ou le faire changer de métier. Le poisson pourrit par la tête, et le plus grand danger qui nous menace provient du déficit d’intelligence et de bon sens de trop de nos dirigeants. Ce sont ces hommes et ces femmes parvenus au pouvoir sans posséder les qualités requises pour diriger qui nous font courir le risque d’une apocalypse.
Propos recueillis par Raphaëlle PAOLI
« Dernière crise avant l’Apocalypse », Jean-Baptiste Giraud et Jacques Bichot, Ring, 16 septembre 2021, 18€.
Jean-Baptiste Giraud est journaliste économique depuis 25 ans, directeur de la rédaction d’Economie Matin qu’il a fondée en 2004. Passé par Radio France, BFM, TF1, Atlantico, Sud Radio et RTL, il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages de vulgarisation scientifique et économique dont Combien ça coûte, combien ça rapporte (Eyrolles) ou encore Les Grands esprits ont toujours tort (Editions du moment).
Jacques Bichot, professeur émérite à l’université Jean-Moulin-Lyon III, docteur en mathématiques et en économie, est reconnu comme spécialiste des retraites, de la sécurité sociale et de la monnaie. Il a publié une vingtaine d’ouvrages, dont Huit siècles de monétarisation (Economica) et Cure de jouvence pour la Sécu (L’Harmattan). Il est chevalier de la Légion d’honneur.