Marc Charuel a été grand reporter pour Valeurs actuelles. Il a sillonné le monde, surtout comme correspondant de guerre. Il est l’auteur de nombreux livres : Les Cercueils de toile et Le Jour où tu dois mourir ont connu le succès. Chiens enragés a manqué, de deux voix seulement, le grand prix de la littérature policière. Son dernier roman s’intitule Le Disparu du Mékong et a pour cadre principal un pays que l’auteur connaît particulièrement bien, le Vietnam.
Marc Charuel a passé deux mois en Afghanistan en 1988, juste avant le retrait soviétique, avec l’un des groupes pachtounes qui allaient fonder le mouvement des Taliban. Puis en 2006 une semaine, lors d’une visite du ministre de la Défense de l’époque et enfin quinze jours en 2008, en opération avec le 8ème Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine juste après l’embuscade d’Uzbin (une patrouille française tombe dans une embuscade de Taliban). Il évoque pour Le Méridional son séjour en Afghanistan, avec des opinions singulières, parfois tranchantes.
Le Méridional : Qu’est-ce qui vous a poussé à partir pour l’Afghanistan en 1988 ?
Marc Charuel : Le fait que les Soviétiques étaient sur le départ. Je voulais absolument voir quelle était la situation sur le terrain à ce moment-là. Tous les medias français évoquaient depuis des années la résistance héroïque des Afghans et j’avais fini par y croire, moi aussi. De plus, je nourrissais un certain tropisme pour les mouvements rebelles que j’avais suivis un peu partout dans le monde, en Birmanie, au Laos, au Cambodge, aux Philippines… Cela me paraissait donc normal d’essayer de rejoindre l’un des groupes afghans qui s’opposaient aux Russes. J’avais d’abord pensé à celui du commandant Massoud, puis mes contacts m’ont proposé de suivre les opérations du Mahaze e-islami, le plus important mouvement pachtoune à l’époque. Cela semblait aussi plus facile que d’aller chez Massoud. La Mahaze était directement installé sur la frontière pakistanaise, donc facile d’accès. Après une dizaine de jours de tractations à Peshawar, j’ai été conduit à Quetta pour franchir clandestinement la frontière.
LM : Quels souvenirs marquants en gardez-vous ?
MC : Je crois que j’ai commencé à douter de tout ce que j’avais lu ou entendu sur les Afghans dès mon séjour à Peshawar. Plus encore lorsque j’ai dû attendre mon passage une semaine à Quetta, mais c’était alors trop tard pour faire marche arrière. Certains de mes passages dans des guérillas asiatiques n’avaient pas été faciles, mais il y avait là quelque chose de nouveau, de stressant. Une hostilité à peine dissimulée de la part de certains moudjahidines à l’égard du reporter occidental que j’étais. Et aucun moyen de communiquer avec eux. La seule personne habilitée à me parler étant mon fixeur, un gamin d’une vingtaine d’années, lui-même ouvertement fondamentaliste.
LM : L’idée que vous vous faisiez du combat à mener là-bas a-t-elle évolué au cours de ce premier séjour ?
MC : Cela n’a pas été long. Si j’ai heureusement fini par découvrir quelques combattants vraiment sympathiques et plein d’empathie pour moi au fil de ce périple, j’ai rapidement réalisé le fossé culturel et civilisationnel qui les séparait dans leur ensemble des valeurs que prônaient les Occidentaux venus pour les aider. Le monde pour eux se divisait en deux catégories : les seuls musulmans attachés aux origines de leur religion et à l’application pure et dure de la Charia, et les mécréants, c’est à dire tous les autres, quels qu’ils soient : chrétiens, bouddhistes, juifs, athées, chiites, et sunnites si ces derniers faisaient montre d’une quelconque acceptation du monde moderne. Le paradoxe de cette aventure est que j’en suis revenu persuadé que la vérité était, sur cette question purement afghane, du côté soviétique ! Et le plus extraordinaire de l’affaire est que j’ai pu publier à mon retour, un grand papier dans Le Spectacle du monde pour l’expliquer grâce à l’ouverture d’esprit de son fondateur Raymond Bourgine. Je crois qu’aucun autre patron de presse à cette époque n’aurait accepté un tel reportage qui s’inscrivait à l’opposé de la doxa. Il est vrai également que cela n’avait pas été facile. Mais l’une des qualités de Raymond Bourgine, et non des moindres, était de se méfier des idées toutes faites et des emballements médiatiques autour du prêt à penser. Le premier papier pour alerter l’opinion publique sur la dangerosité de ces groupes et leur volonté d’exporter leur révolution islamiste dans le monde occidental fut ainsi publié dans un magazine conservateur…
LM : Plus tard, les opposants aux Américains et à leurs alliés étaient-ils les mêmes que ceux qui s’opposaient aux Soviétiques ?
MC : À l’évidence, oui. Pour la première raison qu’aucune force étrangère n’a jamais été admise en Afghanistan, même celles venues pour aider. Soigner, instruire, bâtir ont toujours été des notions incompréhensibles dans les vallées profondes du pays, exception faite, peut-être, de la zone du commandant Massoud.
> A suivre : Marc Charuel, ancien reporter de guerre (2) : l’Afghanistan, un pays ingérable.
Propos recueillis par Raphaëlle PAOLI