L’ouvrage de la cheffe Georgiana Viou Le goût de Cotonou, Ma cuisine du Bénin est plus qu’un beau livre de recettes : c’est une véritable fenêtre ouverte sur le Bénin et la gastronomie africaine, carrefour des influences.
J’ai attendu quelques minutes avant d’oser ouvrir le livre à la tranche orangée. Les yeux baissés, la cuisinière de la couverture a l’air si sérieusement concentrée qu’on a plutôt envie d’attendre qu’elle nous invite à entrer dans son univers. Sa physionomie rappelle celle de la Laitière de Vermeer.
Georgiana Viou est née en 1977 au Bénin. Sa grand-mère (« Georgette ») dirige alors une florissante entreprise d’import-export à Cotonou, grande ville portuaire située sur la côte sud du Bénin. Georgiana rêve de partir étudier à Londres. Le destin en décide autrement : sa grand-mère perd son affaire ; et la jeune fille, à 22 ans, s’envole finalement pour la France, suivant son amoureux. Paris, puis Marseille.
Transformer son savoir-faire culinaire en profession n’était pas une évidence à l’origine : « Le goût de Cotonou, multiple et foisonnant, a enveloppé mon enfance. J’étais tout le temps fourrée en cuisine mais je n’imaginais pas en faire mon métier : je désirais devenir interprète de conférence. » Mais l’idée s’impose peu à peu d’elle-même : des chefs l’aident à mettre le pied à l’étrier, le talent de Georgina Viou fait le reste. En 2015, le restaurant Chez Georgiana lui obtient le trophée Jeune Talent et deux toques Gault&Millau. En 2016, elle compose la carte du restaurant de Florent Manaudou (La Piscine) situé sur le Vieux-Port de Marseille. Le succès est là.
Au Bénin, la transmission s’accomplit par tradition orale et surtout par le geste. Dans la famille de Georgiana Viou, la cuisine n’est pas réservée aux femmes : tout le monde doit savoir composer les plats simples ou plus élaborés, choisir les bons produits. Marchés et cuisine de rue reflètent le Bénin comme carrefour des influences et des saveurs : royaume du Dahomey (XVIIe-XIXe), origines « afro-brésiliennes » issues d’anciens esclaves revenus du Brésil au XIXe siècle ou de négriers portugais ou brésiliens installés sur le territoire. Un certain « syncrétisme culinaire » existe aussi, venant des traditions religieuses, qu’elles soient animistes, chrétiennes ou musulmanes. Enfin, les influences françaises, dont le Bénin a été une colonie jusqu’en 1960.
Le repas au Bénin ne se conçoit pas forcément sur le schéma européen du « entrée-plat-dessert ». Et comme le relève la cheffe, on mange moins sucré que salé au pays. Le sommaire donne un bon aperçu de ces habitudes. Une place de choix est accordée aux légumineuses, aux légumes, aux viandes et aux poissons. L’ouvrage est illustré de superbes photos de plats, mais aussi de scènes de la vie quotidienne béninoise.
Tout le monde peut cuisiner les recettes de Giorgiana Viou, guidé avec pédagogie mais avec une liberté certaine. Le mantindjan (reine des sauces feuilles), le yèkè-yèkè (couscous blanc de maïs), les ata (beignets salés de haricots), les kohuncadas (bonbons de cacahuètes caramélisées)… Certains produits peuvent être remplacés, mais on peut acheter la plupart sans problème dans les épiceries africaines ou en ligne (carnet d’adresses inclus).
« Ce livre, c’est le carnet de recettes que ma grand-mère et ma mère n’ont jamais écrit (…) Les parfums du Bénin ne cesseront jamais de vivre en moi et, je l’espère, dans les marmites et le cœur de mes petits. » Oui, Georgiana Viou transmet une cuisine du cœur !
Jeanne RIVIERE
Georgiana Viou, Le goût de Cotonou, Ma cuisine du Bénin, 249 pages, 67 recettes, Alain Ducasse éditions, 28€90, mai 2021. Préface d’Alain Ducasse.