Suicide ou assassinat ? Quarante-deux ans après, la justice n’a toujours pas rendu un verdict définitif. Officiellement, les Français ignorent donc si Robert Boulin, 59 ans, ministre du Travail et de la Participation au sein du troisième gouvernement de Raymond Barre, s’est donné la mort dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979 en se noyant dans l’étang Rompu en forêt de Rambouillet ou s’il a été drogué puis battu à mort avant d’être traîné dans cet étang pour faire croire à un suicide.
Si M. Boulin avait été un citoyen lambda, inconnu au bataillon, il y a belle lurette que les policiers, les gendarmes et les juges auraient résolu cette énigme. Mais s’agissant d’un ministre gaulliste, ancien résistant, qui avait pris le parti de se dresser contre certains amis de Jacques Chirac, leader du Rassemblement pour la République à l’époque, le soupçon du règlement de comptes affleure comme une évanescence venimeuse sur les brumes de l’étang.
D’autant plus que la majorité présidentielle était divisée en deux clans ennemis entre les Giscardiens et les Chiraquiens en vue de la présidentielle de 1981. Les journaux parlaient alors de « lutte à mort » entre les belligérants sans se douter que les deux protagonistes concernés finiraient au tapis le 10 mai 1981 avec le triomphe de Mitterrand. Ce contexte politique délétère a eu tôt fait de transformer le « mystère Boulin » en scandale d’Etat.
Fabienne Boulin-Burgeat, fille du ministre, est persuadée depuis la tragique nuit du drame que son père a bel et bien été assassiné par ses adversaires politiques. Elle a relevé la bagatelle de 75 anomalies ou failles de procédure dans l’enquête (bâclée ?) sur le décès suspect de son père. Et elle continue de se battre bec et ongles avec l’aide de son avocate Marie Doisé pour tenter de faire éclater la vérité. Selon elle, l’assassinat de Robert Boulin aurait été commandité par une officine de barbouzes pour empêcher le ministre de révéler l’existence d’un réseau de fausses factures visant à financer le RPR mais aussi d’autres partis politiques. « De quoi faire sauter la République »…
Selon certaines sources, les douze lettres que Boulin a déposées la veille de sa mort dans le bureau de poste de Montfort-l’Amaury en région parisienne ne seraient jamais parvenues à destination.
Peut-être y dénonçait-il des magouilles susceptibles de briser la carrière de plusieurs dirigeants de partis ? « En tout cas, confie Fabienne Boulin-Burgeat, je suis convaincue que cette guerre des droites est à l’origine de la mort de mon père. » Selon elle, Robert Boulin a été harcelé par la presse à propos d’une affaire immobilière montée de toutes pièces pour le discréditer.
Boulin dérangeait des puissants
« Un jour, mon père m’a dit : Fabienne, ce sont des assassins en face, on y passera tous… Je pense qu’il a été piégé par des hommes en qui il avait toute confiance. Il dérangeait des gens puissants qui n’avaient aucun scrupule à éliminer des adversaires susceptibles d’entraver la marche en avant de leurs leaders », raconte Fabienne Boulin-Burgeat. De fait, la scène de crime a été tellement saccagée qu’aucune preuve formelle n’a pu être rapportée de la noyade supposée du ministre dans cinquante centimètres d’eau. A-t-elle été délibérément sabotée ?
En revanche, les traces d’hématomes au visage, les griffures sur le dos, le coup violent asséné sur la nuque, la fracture du poignet et la présence massive de tranquillisants injectés dans le sang du ministre n’ont jamais été élucidés. Mais ce n’est pas tout. Des pièces essentielles du dossier ont mystérieusement disparu, des années d’archives du ministère se sont volatilisées, et les poumons de M. Boulin ont été dérobés par des inconnus, probablement pour empêcher toute analyse susceptible de prouver que le ministre n’était pas mort noyé…
Le 19 janvier 2016, le médecin-réanimateur dépêché à l’époque sur les lieux aux côtés des sapeurs-pompiers a signalé au juge Aude Mondrieux que « la position de Robert Boulin n’était pas celle d’un noyé ». « Il était à quatre pattes, un bras en l’air, se souvient-il, il était presque à genoux, comme s’il était assis, et son visage était hors de l’eau, on avait la nette impression qu’il avait été placé mort dans l’eau. Pour moi, vu sa position, il est impossible qu’il s’agisse d’un suicide. »
Pour Raymond Barre, en revanche, aucun doute : « Robert Boulin s’est suicidé. » Certains observateurs de renom réfutent aussi ce qu’ils appellent la théorie du « complot organisé ». Pour eux, la succession d’approximations et de maladresses des autorités policières et judiciaires est liée à la volonté « d’enterrer hâtivement Robert Boulin » et d’éteindre les rumeurs galopantes dans l’opinion. Le Canard Enchaîné dirige ses sarcasmes contre les tenants de l’exécution du ministre : « Il faut rendre un hommage appuyé aux assassins de Boulin, écrit le palmipède, car ils sont nombreux et talentueux. »
« Ils ont écrit eux-mêmes les lettres dactylographiées sur la machine à écrire du ministre, ils ont imité son écriture pour les ajouts personnels en marge, ils ont ensuite envoyé une équipe dans un centre de tri postal des Yvelines pour y récupérer les vraies lettres postées à Montfort par Boulin quelques heures avant sa mort et les remplacer par des fausses annonçant son suicide. Un complice a volé le Valium et déposé dans la corbeille du ministre le faux brouillon de la fausse lettre, avant de déposer le mot d’adieu dans la voiture et de noyer le ministre dans moins d’un mètre d’eau »…
Assassinat ou suicide ? L’imbroglio demeure inextricable. On a l’impression d’une sorte de « suicide assisté », comme si l’issue fatale de Robert Boulin avait été accompagnée de A à Z par des individus chargés de veiller à la bonne fin d’un suicide programmé par une caste d’intouchables de tous bords. Le ministre « devait » se suicider après des mois de harcèlement médiatique et de calomnies sur sa prétendue immoralité. Il « devait » disparaître. Jacques Paquet, son ancien directeur de cabinet, a sans doute lâché une bribe de vérité lorsqu’il a déclaré au juge d’instruction : « Quelqu’un a aidé Boulin à se suicider… »
Le témoignage d’un jeune policier en faction cette nuit-là devant le ministère de l’Intérieur et qui s’est confié au Méridional a été transmis à l’avocate de Fabienne Boulin-Burgeat et il permettra espérons-le, une avancée positive dans ce douloureux et interminable dossier de « vrai-faux suicide ».
> A suivre dans Le Méridional : Affaire Boulin : le témoignage troublant d’un ancien policier
José D’Arrigo, rédacteur en chef du Méridional